QU'EST CE QU'UNE LOI UNIVERSELLE ?
Définition
Une loi est universelle lorsqu'elle est, de par son champ d'application et son contenu, susceptible de s'appliquer également à tout le monde, sans discrimination.
Pour résumer l'idée principale de cette définition, on peut écrire :
UNE LOI UNIVERSELLE EST UNE LOI FAITE POUR TOUT LE MONDE.
Tout le monde : tous les humains.
Problème
Au nom de l'universalisme, les femmes réclamant des lois pour assurer leurs droits, sont régulièrement accusées de vouloir élaborer un "droit spécifique". Ceux qui se prétendent universalistes leur opposent que "la loi doit être la même pour tous", que la loi existante leur donnerait déjà les droits qu'elles réclament, qu'un corpus de texte pensé uniquement pour répondre aux besoins spécifiques des femmes serait contraire au principe d'égalité.
Or les femmes savent que malgré les lois proclamant de beaux principes généraux et une égalité idéale, leurs droits fondamentaux : égalité des salaires, intégrité physique, santé… sont bafoués.
D'où la question : que représente la notion de loi universelle ?
UNIVERSEL
Une situation de domination peut engendrer de pseudo-universalismes, qui ne sont que l'expression de la vision du groupe dominant .
La déformation de la notion d'universel par le groupe dominant prend des allures comiques en ce qui concerne les femmes :
Le dominant est transparent :
« L’oppresseur n’a pas d’existence apparente (...) Incarnation de l’universel, le dominant constitue aussi l’unique Sujet, l’Individu », le seul qui n’a rien de « spécifique »
Le féminin est « le deuxième sexe », spécifique, secondaire, sexuel : « Il est le Sujet, il est l’Absolu : elle est l’Autre.» , "le beau sexe","une personne du sexe"..
Le masculin est donc universel, général, générique, neutre, …et même asexué.
Pour Georges Dumézil : "Il n'y a pas de subordination. Le masculin ne conquiert pas l'autre sexe, il efface le sien. C'est simplement un moyen grammatical d'éviter des longueurs. " : L'homme n'a pas de sexe, c'est bien connu.
L’idée d’universel « concret » opposé à « abstrait » ou d’ « universel sexué », a été avancée pour fonder une législation de lutte contre la discrimination. Il s’agissait de dénoncer une conception de l’universalisme niant toute prise en compte des différences sociales.
Malheureusement ces concepts ne paraissent en réalité ni clairs, ni efficaces.
Qu’est ce qu’un universel « sexué », comment imaginer la contradiction même de la division dans ce qui désigne le tout ? La notion de « commun » ou de « tout » ne peut pas être comprise dans le même concept que ce qui indique les critères de distinction et les différents objets.
Qu’est ce qu’un universel « concret » par opposition à un universel « abstrait » ? Tout universel n’est il pas à la fois « abstrait » en tant qu’il est la notion, l’ « idée » de se qui est commun à des réalités distinctes, et « concret » en tant qu’il représente tous les objets désigné par cet idée, donc par définition tous les objets, dans leurs infinies différences concrètes ?
A quoi sert la notion d’universel sexué, sinon à nier la possibilité de penser un universel complet, donc à revenir s’enfermer dans le différentialisme ?
A quoi sert il de dire que l’universel doit être concret ? Il faut aller plus loin pour trouver comment il peut l’être, ou plutôt, comment la notion d’universel doit être utilisée dans la réalité concrète pour permettre de réaliser réellement l’idéal universel dont elle est le symbole.
ABSTRACTION
L'abstraction est un outil nécessaire au droit, mais la finalité de la loi n'est pas la préservation de ses instruments de pensée. La finalité de la loi c'est la vie, le bien-être, des êtres humains vivants, des personnes concrètes qu'elle aide à vivre ensemble.
L'abstraction doit servir l'universalisme pour servir la liberté des êtres humains. Les êtres humains ne doivent pas être sacrifiés sur l'autel de l'abstraction, et encore moins des intérêts particuliers qu'elle masque.
L'abstraction, comme l'universalisme, ne peuvent réellement servir aux objectifs qu'on en escompte qu'à certaines conditions, il ne suffit pas pour cela d'apparence d'abstraction, d'apparence d'universalisme, il faut savoir ce que l'on entend vraiment par universalisme et en quoi l'abstraction peut le servir.
L’universel ne peut être sexué, concret ou abstrait.
Par contre, l’universalisme, c'est-à-dire les conceptions valorisant l’universel, peuvent elles être attachées ou pas à l’idée d’étude des situations concrètes, ou ne valoriser que l’abstrait.
L’universel est l’abstraction de caractères particuliers, l’universalisme n’est pas nécessairement « abstractionalisme ».
Parler "abstraitement" ne suffit pas à parler de tous et de toutes. Parler abstraitement c'est parler de toutes et tous, si et seulement si l'abstraction a été élaborée après l'étude du cas, de la situation de toutes et tous.
Abstraire suppose de connaître toutes les données concrètes de la réalité. L'abstraction qui ne connaît pas son objet n'est pas n'est qu'une vue parcellaire qui se prétend globale.
Le prétendu universel de 1789 ( qui refuse aux femmes la citoyenneté du droit de vote) n'est pas abstrait : il est borgne. En rang par deux, je ne veux voir qu'une seule tête…
INDIVIDU-E HUMAIN-E
L’universalisme est la reconnaissance de l’existence d’une commune humanité, sans laquelle aucune notion d’égalité n’est possible, sans laquelle aucune liberté n'est possible.
Les qualités universelles reconnues à l'être humain sont la raison, la dignité, la liberté... L'universalisme, en considérant chaque personne dans ses qualités universelles, est le fondement de la reconnaissance de la liberté de chaque individu-e humain-e.
L'universalisme permet de considérer chaque personne comme libre, par la raison et la liberté de l'esprit, de s'abstraire de tout enfermement. Il permet de récuser tout enfermement d'une personne, au nom de la dignité qu'il lui reconnaît.
Seule la vision universalisme permet de refuser l'emprisonnement des femmes dans un droit différent au nom de la féminité, l'emprisonnement des noirs dans un droit différent au nom de la négritude etc...
L’être réel est un individu traversé par des qualités particulières, des particularismes, il se trouve au croisement de ces fictions que sont les groupes sociaux, et subit les effets bien concrets de ces constructions.
L’injustice qu'il ou elle subit est toujours particulière. Pour contrer l’injustice il faut rentrer dans l’étude des particularités individuelles y compris celles résultant du croisement des particularités de groupe, donc il faut rentrer dans les particularités de groupe.
Il s’agit non de changer la conception de l’individu en lui imposant de rentrer dans des groupes et en organisant des rapports intergroupes, mais de voir en quoi l’existence « sociale » de ces construction peut créer, imposer des contraintes à des individus.
Et ce, afin de l’en libérer, de lui faire retrouver ses libertés individuelles, et par là sa personnalité propre, individuelle, (individuel dans le sens de personnel, non pas de séparé de la nation), par le droit commun.
EGALITE
Pourquoi l’égalité devant la loi ?
L’égalité est une reconnaissance de l’égale dignité des êtres humains.
L'égalité a pour objet de faire bénéficier chaque individu de la même liberté qu'autrui, et non pas d'une forme particulière de "liberté", restreinte au nom de telle ou telle appartenance réelle ou supposé.
Elle reflète la liberté intrinsèque de chaque être humain, liberté par rapport notamment aux déterminismes de groupe. Cette liberté qui elle même fonde la dignité de l'être humain.
FASCISME DE L'IDENTITE
La destruction de la démocratie et de l'universel naît au coeur même de ses valeurs. L'individu, sa liberté, son droit au bonheur, son "identité"...
Nous parlons ici du fascisme de l’expansion de soi, de soi et de son identité.
Que disent les païens nazis ? Que la race supérieure doit l'emporter, que les gènes supérieurs doivent l'emporter. Qu'il est bon que le plus fort l'emporte, qu'il importe d'être fort et supérieur, en étant soi, "identitaire", ce qui vaut est l'expansion du moi.
Que dit la psychanalyse, peut être pas volontairement ? Si vous êtes bien, c'est bien, si vous êtes malheureux, vous avez tort. C'est l'idéologie du bien être individuel comme norme, comme obligation envers soi même, sans considération du reste. Je dois "m'éclater".
L’appel à l’exaltation identitaire, qu’elle soit nationale, religieuse ou autre, est de la même nature que l’exaltation raciste ou la vénération du plus fort : fasciste. Elle légitime l’écrasement des autres. Si mon premier devoir est d’être moi, d'être bien moi, peu importe que je prive l’autre de quelque chose pour parvenir a cette fin, cette fin est sacrée.
Les bombes humaines ne s’autodétruisent pas, ils s'explosent, ils explosent, ils amplifient leur moi, bien loin de s'anéantir, ils se projettent dans l'éternité, rien à f.. des assassinés...
Autrefois, il parait que l'"écriture sulpicienne" était très répandue. Une écriture où les lettres, représentant les scripteurs, leur moi, étaient étroites, et non arrondies et ventrues. Le moi se faisait petit, modeste, pensant aux autres, réservant la place des autres. Il paraîtrait que l'écriture arrondie, des moi grossis, se répande.
Or il est vrai de penser que parfois être mal, se sentir mal, être restreint, est bon, que c'est aussi une forme de réalisation de soi, tout en étant un sacrifice de soi, que c'est un choix valable et non malade, non pas une maladie masochiste, mais une manière de vivre une vie qui aura valu d'être vécue.
Etait il idiot, malsain, méprisable, de mourir, de se faire torturer, pour la liberté des autres ?
Le problème est que pour vivre ensemble, il faut accepter une réduction de soi.
Des mystiques parlent même de la réduction de dieu : pour que la création existe, il fallait bien que dieu se réduise...
Pour vivre ensemble, que ce soit dans un couple, une famille, un groupe, une nation, il faut accepter de se réduire. Il faut accepter de tuer une part de soi, de se mutiler, de ne pas vivre sa propre vie dans toutes ses potentialités, de ne pas réaliser sa propre identité dans toutes ses dimensions. Il faut se tuer en partie. Pour donner vie à une vie ensemble. Il faut renoncer à vivre de qui est inconciliable avec la vie dans le groupe.
Une vie où l'égalité des individus est envisageable, au nom de l'universel, sans leur écrasement au nom des pseudos nécessités d'"identités".
QU'EST CE QU'UNE LOI UNIVERSELLE ?
a) FORMALISME DU PSEUDO-UNIVERSALISME
La loi n'est pas universelle à la seule condition de déclarer les règles qu'elle édicte applicables à tous et toutes.
L’égalitarisme du pseudo-universalisme n’est que formel. Or il ne suffit pas d’appliquer les mêmes règles à tout le monde pour traiter tout le monde également. Encore faut il avoir pris la peine de savoir quelles pouvaient être les conséquences de ces règles pour tout le monde, compte tenu de la situation de chacun, compte tenu de la situation des individus de chaque catégorie de la société.
b) DEFINITION
La loi n'est universelle que si, en plus de l'égalité formelle de l'application à tous et toutes :
- elle édicte des règles conformes à, cohérentes avec ses propres principes fondamentaux,.
- elle garantit, donne effectivement à tous et toutes les droits qu'elle énonce,
- elle permet effectivement que l’exercice de la liberté des plus forts n’empêche pas les plus faibles de jouir des mêmes libertés
- elle ne crée pas elle même, malgré ses déclarations de principe, les conditions matérielles, structurelles, d'apparition d'inégalités et de discriminations, et au contraire,
- elle prévoit, créé les conditions matérielles et structurelles permettant que droits et devoirs qu'elle prévoit soient effectivement les mêmes pour tout le monde, pour toutes les personnes qu'elle régit,
- elle contient l'obligation de lutter contre les idées qui entretiennent les discriminations,
La loi doit être pensée en fonction de ses effets sur toutes et tous.
c) SOCIOLOGIE
Pour être vraiment universaliste, vraiment égalitariste, il faut connaître toutes les particularités.
La loi ne peut être universelle que si elle a été élaborée en prenant en compte la situation de tout le monde, après étude de toutes les différentes situations concrètes des êtres humains concrets qu'elle souhaite régir.
Pour que les règles assurent le respect des droits fondamentaux de tout le monde, pour que les conditions créées par la loi permettent à toutes et tous d'avoir effectivement les mêmes droits, il faut que le législateur connaisse la réalité. Qu'il fasse de la sociologie, comme l'y incite le Doyen Carbonnier, non pas pour calquer la loi sur les mœurs, mais pour connaître la réalité des personnes, des individus concrètes qu'elle régit.
A ce niveau du travail de législation, la différence est une notion effectivement capitale. Il faut connaître, recenser les différences de situation, pour s'assurer que l'on a bien pensé à tout le monde, qu'on n'a oublié personne en chemin.
"Il faut sortir du neutre et reprendre une vision sexuée, pour identifier les problèmes et développer les politiques en conséquences."
Si la justice est représentée comme aveugle, la loi ne peut en aucun cas l'être, sous peine de n'être que la loi du plus fort, la loi est vision et réflexion de ce qu'elle doit voir avant de prescrire.
Il faut d'abord en connaissance de cause des situations particulières, penser la règle générale que l'on souhaite voir applicable à tous et toutes, qui permettra à tous et toutes d'avoir les mêmes droits ensemble en même temps. Il faut s'assurer que l'on a trouvé les modalités qui lui permettent d'être applicables à toutes et tous, compte tenu de la situation concrète de chacun ou plutôt de chaque type de situation. Alors on peut trouver sa formulation en termes abstraits, universaux, et dire qu'elle s'applique à toute personne, universellement.
C'est ainsi que la loi peut être une loi universelle, que ses modalités d’élaboration permettent de considérer l’universalité de l’humain et de respecter concrètement les droits des individus pris dans leurs situations, individuelles et de groupes sociaux.
C'est-à-dire d’articuler la liberté de l’être humain « universel » avec les réalisations concrètes de ces libertés ou les obstacles concrets qu’il ou elle rencontre dans l’exercice de ces libertés.
PERSPECTIVES
Pour Elisabeth Badinter, en 1994 : "Le mouvement féministe français est en effet dans une impasse. Pour la meilleure raison possible : nous n’avons plus rien à demander du point de vue du droit. Sauf peut être la parité en politique. Nous avons obtenu un arsenal de lois très puissant, très égalitaire, qui couvre tous les domaines. Pourquoi descendrions nous aujourd’hui dans la rue ? Pour clamer que nos compagnons n’en fichent pas une rame à la maison ? Pour gueuler contre notre patron alors qu’existe une excellente loi sur le harcèlement sexuel et que le droit à l’égalité du salaire est acquis ? Tout n’est plus maintenant qu’une question de négociation personnelle entre hommes et femmes. (..) A chacune de nous de faire appliquer nos droits.".
Le diagnostic semble étrange de prime abord. Le féminisme sans objet en 1994 ? La situation des femmes il y a dix ans, comme maintenant ne parait pas confirmer cette vision.
Ce qui était acquis en 1994 ( sous réserve de la législation concernant le nom, les droits à retraites et quelques autres points tout de même...), c'était l'égalité formelle. Ce qui n'est pas rien, certainement. Mais qui n'est pas tout ce que l'on doit attendre du, et demander au droit.
Toutes les institutions que crée ou perpétue le droit, et qui enferment les femmes dans l'exploitation du travail féminin, doivent être remises en cause.
Il nous faut penser, et instituer par la loi entre autres, également par la "négociation" ou tout simplement, l'innovation, l'imagination personnelles, ( les secondes permettant d'inventer la première) des institutions, des organisations, des règles, qui n'enferment pas les femmes dans ce cercle vicieux de la domination économique (et politique).
L'imagination et la bonne volonté des couples, des hommes individuellement, ne peut rien si les règles posées forment un cadre d'airain qui fausse la loi économique.
Il n'y a rien non plus à attendre de la bonne volonté des patron (et patronnes), ni d'une critique ou d'une sanction des entreprises, si structurellement, les lois créent une antinomie entre rentabilité des entreprises et égalité des sexes.
Il faut revoir notre mode de vie, la logique de nos institutions, repenser la cohérence entre leur logique économique ou autre, et le principe d'égalité, des sexes entre autres. Et traduire ces idées à naître en droit.
Le féminisme a encore du travail, y compris dans le droit.
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ELISSEIEVNA