Fabrice Burgaud : l'honneur d'un juge















Un juge et une police sans moyens d'enquête, un dogme du " croire la parole de l'enfant " ( alors qu'il faudrait un principe de l'écoute de la parole de l'enfant et de l'enquête sur les faits, avec les moyens pour ces enquêtes ! ), des législateurs intervenant sans vergogne dans le judiciaire dans une affaire précise, accusant un juge précis, alors ... qu'ils ont voté pour eux mêmes l'impossibilité de la mise en cause de leur responsabilité.
Ou comment une société règle sur le dos d'un jeune homme consciencieux, et des enfants qui sont malmenés à l'audience, ses problèmes avec l'enfance et la sexualité au lieu de les affronter.

Il faut repenser à cette triste affaire, au moment où le législateur s'entête à voter les lois les plus floues et abérrantes sur la "violence psychologique" : avec de telles "lois", l'on prépare les procédures les plus hasardeuses, avec toutes leurs conséquences pour les plus vulnérables ...

Extraits de propos lors de la commission d'enquête sur Outreau :
http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-enq/r3125-t2.asp#P11397_3722237

Mme Michèle-Laure RASSAT, professeur émérite des facultés de droit
(Procès-verbal de la séance du 21 mars 2006)

Mme Michèle-Laure RASSAT :

.... J'ai été un rapporteur officiel de la République, et j'aurais aimé qu'on me donne ce titre, et surtout le temps pour expliquer ce qu'il y avait à dire. Car je vous rappelle que mes lettres de mission, que je possède ici, me chargeaient de promouvoir une réforme générale du code de procédure pénale, depuis le soupçon de commission d'infraction pénale jusqu'à la fin de l'exécution des peines. ...

J'en viens aux deux ou trois déclarations qu'on m'a demandé de faire ici. Cela ne va pas détendre l'atmosphère, mais je n'y peux rien, c'est pour cela que je suis venue.

Ma première déclaration individuelle concerne Fabrice Burgaud. J'ai été trente ans directeur des instituts d'études judiciaires des facultés dans lesquelles j'enseignais : Dijon, Nantes, Rouen et Paris-XII. J'ai la prétention d'avoir une petite idée sur la question, sur ce que sont les fonctions de magistrat et ceux qui les exercent. Compte tenu de ses fonctions, de ses compétences, des pouvoirs qui étaient les siens et des moyens dont il pouvait disposer, Fabrice Burgaud a fait son travail, et il l'a remarquablement fait. Et il a bien du mérite. Car il y a un élément qui semble avoir échappé à tout le monde, et qui pourtant est capital dans cette affaire, c'est que Fabrice Burgaud n'est pas issu d'une faculté de droit et d'un institut d'études judiciaires. Il est issu d'un institut d'études politiques. Ce qui veut dire qu'au moment où il est entré à l'École nationale de la magistrature - et il a eu bien du mérite d'y entrer -, sa culture juridictionnelle ressemblait à un gruyère. Comme on fait beaucoup de choses à l'École, mais peu de droit, ce n'est pas là qu'il a comblé ses lacunes. Autrement dit, Fabrice Burgaud s'est fait tout seul. Eh bien, permettez-moi de vous dire que le résultat est plutôt flatteur !
Je tenais à le dire parce que le malheureux n'a été soutenu par personne. Pas par sa hiérarchie. On vous a dit ici qu'elle était pesante. Cela doit dépendre de ce qu'elle fait, parce que là, elle a été merveilleusement absente. Pas par ses pairs, qui l'ont soutenu avec des pincettes : on ne sait pas ce qui peut arriver, il vaut mieux ne pas se mouiller. Il n'a été soutenu par personne. Alors, je ne suis pas grand-chose. Je suis, je le répète, directeur d'instituts d'études judiciaires depuis trente ans. Je lui donne acte qu'il a bien fait ce qu'il avait à faire. Je précise qu'à ma connaissance, je ne connais pas Fabrice Burgaud. Je dis « à ma connaissance », parce que quand on a l'habitude de s'exprimer devant des auditoires de plusieurs centaines de personnes, il est très difficile de savoir à qui on parle. Donc, à ma connaissance, je n'ai jamais rencontré Fabrice Burgaud.
(....)
Reste la dernière déclaration, dans laquelle je sais que je m'exprime au nom d'un très grand nombre, sans doute du plus grand nombre des professeurs de droit pénal français, puisque beaucoup ont écrit dans nos revues scientifiques des articles sur la question, et que d'autres, sachant que vous étiez constitués, m'ont téléphoné pour me dire : « Michèle-Laure, vous qui serez entendue, n'oubliez pas de leur dire ! » Alors, je ne suis pas entendue, mais je vais quand même vous dire ceci. Quand on a eu, disons le front, pour rester courtois, de voter à l'unanimité des groupes parlementaires représentés dans les assemblées - ce qui, soit dit en passant, en dit long sur le corporatisme des parlementaires, parce que le corporatisme, on le voit toujours chez les autres, mais jamais chez soi - deux lois successives, la première n'ayant pas été jugée suffisamment protectrice, pour mettre officiellement, au moins vous n'avez pas été hypocrites, à l'abri des conséquences des infractions pénales qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions les élus locaux, tout en laissant reposer cette responsabilité pénale sur les collectivités qu'ils dirigent, on n'est peut-être pas les mieux placés pour venir donner des leçons de responsabilité aux autres. Je suis désolée de devoir vous le dire, mais je sais, et vous le savez aussi, parce que vous avez dû lire les articles en question, que c'est l'avis du plus grand nombre des pénalistes français.

http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-enq/r3125-t2.asp#P6162_1784957

M. Gérald LESIGNE :

Bien évidemment, il faut chercher quels mécanismes ont pu conduire une collectivité à adopter un positionnement de cette nature, qu'il s'agisse des enfants ou des adultes. Je ne vois qu'une seule explication, celle du mythe, du mythe de la pédophilie. Un mythe très puissant, qui serait venu s'alimenter, s'autoalimenter par les indications fournies par les uns et les autres et par l'incapacité de tout un système à poser cette analyse.
Ce mythe, comme toujours, puise ses racines dans la réalité. La réalité première, c'est incontestablement la maltraitance sexuelle du couple Delay, qui est évidente, qui n'est d'ailleurs pas contestée, et qui est partagée par deux personnes qui étaient conviées à ces ébats et qui ont été sanctionnées par la cour d'assises.
Ce mythe a aggloméré d'autres petits éléments, à caractère anodin, qui ont pu être interprétés comme des charges. C'est un mythe auquel toute une collectivité adhère, même ceux qui protestent de leur innocence, à de rares exceptions près. C'est un mythe tout-puissant, qui a intégré le fait que la boulangère avait des heures de travail tardives et qu'elle fréquentait le domicile du couple Delay, le fait que M. Franck Lavier avait des approximations éducatives, le fait que certains avaient des interrogations sur le célibat de l'abbé Wiel. Tout cela a été récupéré, transformé, et est devenu une vérité. Une vérité dans la tête des enfants de la Tour du Renard, une vérité aux yeux d'un certain nombre d'adultes, une vérité aux yeux des services sociaux, et par ce biais, une vérité au sein de tout le système judiciaire.
Car nous étions, en ce qui concerne la parole de l'enfant, sur une autre analyse que celle que nous portons aujourd'hui. Il y avait une présomption de vérité. Il y avait une culture qui conduisait à ce que toutes les institutions aient tendance à considérer que la parole de l'enfant était une parole de vérité. Je crois d'ailleurs que certaines initiatives politiques allaient dans ce sens. Aujourd'hui, si le réveil est aussi brutal, c'est parce qu'une interaction entre différents éléments, dans un conglomérat de faits, est devenue une vérité.

Me Jacqueline LEDUC-NOVI : avocate de l'association « Enfance Majuscule »

On fait le procès du juge d'instruction. Je ne suis pas son avocat, et j'ai suffisamment prouvé, en faisant condamner l'État français, à quel point je pouvais me méfier de la juridiction. Mais je trouve profondément injuste cette espèce de lynchage médiatique dont fait l'objet ce juge, qui, lorsqu'il a été saisi, en février 2001, avançait en terrain complètement miné. Miné, pourquoi ? Parce que durant l'enquête préliminaire, il aurait fallu mettre l'immeuble de la Tour du Renard sous surveillance, il aurait fallu procéder à des écoutes téléphoniques, il aurait fallu faire des filatures. Et cela n'a pas été fait. Et pourquoi ? Parce qu'on manque de moyens, parce qu'il n'y a pas suffisamment de policiers. Il a fallu attendre mai 2001 pour que le SRPJ débarque dans ce dossier.
(…) ce que je veux vous dire, sans me noyer dans les détails, c'est qu'on attend des mois et des mois avant de faire les premières écoutes téléphoniques, par exemple.
En mai 2004, quand s'ouvre le procès de Saint-Omer, il n'y avait quasiment pas de preuve matérielle. Vous savez tous que pour qu'une enquête de police ait des chances d'aboutir, les investigations doivent être menées dans les premiers temps, et pas après. Après, les gens s'organisent, ils savent qu'il y a une enquête, ils s'évaporent dans la nature, et c'est fini.
Il faut donc être très prudent. Ce dossier était extraordinairement complexe. Je ne suis pas d'accord pour faire aujourd'hui le procès d'un homme. Je dis que ni les policiers, ni le juge d'instruction, n'avaient les moyens de travailler. Tant que des budgets sérieux ne seront pas votés, il y aura d'autres Outreau.
(...)
J'ai vu un spectacle insoutenable. Vous savez tous que la procédure, aux assises, est orale. En conséquence, il faut que les victimes viennent s'exprimer devant la cour. Vous savez tous également que le président a accès au dossier, mais pas les jurés ni les assesseurs. Donc, les enfants devaient venir témoigner.
(... ) Parce que moi, je les ai vus, ces enfants, qui étaient tout petits, et dont certains étaient complètement terrifiés. Ils étaient sur une petite estrade et devaient parler dans un micro, face à la salle dans laquelle se trouvaient leurs parents, avec leurs avocats. J'ai demandé à ce que les parents sortent, comme les textes le permettent, tout en laissant leurs avocats dans la salle. Cela a été refusé. Ces enfants, c'est tellement facile de s'en moquer ! C'est tellement facile qu'ils se sont contredits, qu'ils se sont rétractés ! Mais il faut voir les conditions dans lesquelles ils ont été auditionnés. C'est purement et simplement scandaleux. Comment voulez-vous que des enfants puissent mettre en accusation leurs parents, avec le degré de culpabilité que cela suppose, et la peur ? Lorsqu'ils se sont retrouvés à la cour d'assises, la plupart d'entre eux étaient tétanisés. Il y a un petit que j'ai dû consoler. Il était en larmes parce que son frère, qui venait de passer avant lui, s'était fait traiter de sale menteur. Il faut voir aussi ce qu'on a vécu. Cela a vraiment été très dur pour les enfants. C'était une foire d'empoigne, disons les choses telles qu'elles sont. Il faut essayer de se replacer dans le contexte de l'époque et voir ce qui s'est passé, jour après jour. Je pense que ces enfants n'ont pas eu la défense qu'ils méritaient.

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