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LA PSYCHANALYSE COMME POSSESSION SPIRITUELLE
Par Jacques Corraze.[1]
« Il est sans doute à regretter, il n’est assurément pas à méconnaître, que la première vertu soit d’ordre strictement intellectuel, qu’elle consiste à surmonter l’orgueil dogmatique d’où procèdent les privilèges imaginaires d’une personne ou d’un peuple, d’un culte ou d’une génération ». Léon Brunschvicg, Les âges de l’intelligence.
INTRODUCTION
Aujourd’hui, deux voies d’entrée dans la psychanalyse s’avèrent possibles. L’une est la voie historique, offrant l’histoire des hommes, de la formation de leurs idées et leur diffusion. L’autre est l’abord épistémologique, visant la légitimité logique intrinsèque du système. La deuxième voie, celle que l’on va suivre, consiste à faire abstraction de l’histoire et à examiner le système, sa signification et sa valeur intrinsèques au nom de cette évidence qu’un théorème de mathématique est vrai ou faux indépendamment de l’état mental de son inventeur.
Il y a trois façons de concevoir la psychanalyse : comme une science intimement dépendante d’une pratique psychothérapique, comme une herméneutique, comme une narration. De toutes ces façons, aucune ne permet, à partir d’un même matériel, d’aboutir à une conception unique. « Avouons le, il est souvent très difficile d’aboutir à une décision, ce qui d’ailleurs se traduit par de nombreux désaccords entre les psychanalystes. »[2]
Je partirai simplement de la psychanalyse, celle que Freud a bâtie.
Je voudrais montrer comment, par essence constructive, le système est beaucoup plus qu’une immense aberration intellectuelle. Le psychanalyste est celui par lequel l’intimité gardée secrète à la conscience même du sujet lui est dévoilée. Cet homme qui sait va donner un savoir qui est et sera un pouvoir. Mais un pouvoir partagé. Ce pouvoir fascine l’acteur comme le spectateur qui sont dans un jeu interactif. Freud a toujours dit, et avec raison, que l’on ne peut comprendre la psychanalyse qu’en se plaçant en elle, c’est à dire dans sa relation. C’est une entreprise de possession spirituelle, par là je tente d’expliquer et la logique du système, sa perversité et son succès. « La psychanalyse essaie de s’infiltrer en revêtant l’uniforme de la science, afin d’étrangler cette dernière de l’intérieur. »[3]
TOTALITARISME ET PRIMARISATION DE LA PENSEE
Né en 1856, mort en 1939, Freud est un homme tout à la fois du XIXème siècle et du XXème siècle, dont il partage les deux illusions. Celle du premier fut le scientisme, celle du second le totalitarisme et leur corollaire, la primarisation de la pensée.
À Vienne, des contemporains de Freud chargèrent violemment sa construction et portèrent l’accusation de totalitarisme[4]. Ce qui est singulier c’est que les plus violents contempteurs se trouvèrent être des juifs. Il s’agit en l’occurrence de Karl Kraus[5] et de Egon Friedel[6]. En 1937, Kraus stigmatise l’association de « la swastika et de l’entreprise sans valeur de la psychanalyse[7]. En 1939, il voit dans Freud « un collectiviste et un totalitaire. »[8]
Le système de Freud est un scientisme totalitaire.[9] Comme il s’agit d’un système psychologique, c’est un système de possession spirituelle au service d’une idée unique.[10] Or, comme l’écrivait Hippolyte Taine, en préambule à son examen du ’’programme jacobin ’’ :
–« Rien de plus dangereux qu’une idée générale dans des cerveaux étroits et vides : comme ils sont vides, elle n’y rencontre aucun savoir qui lui fasse obstacle ; comme ils sont étroits, elle ne tarde pas à les occuper tout entier. Dès lors ils ne s’appartiennent plus, ils sont maîtrisés par elle ; elle agit en eux, et par eux ; au sens propre du mot, l’homme est possédé. »[11]
Freud a toujours été fasciné par le monoïdéisme de l’hypnose. Il permet de comprendre et son propre fonctionnement mental et sa méthode de persuasion conforme et à la nature de sa construction et aux moyens de sa diffusion. Comme pour tous les régimes totalitaires, il convient de « s’incliner devant une idéologie à la cohérence extrêmement rigide et fantastiquement fictive ».[12]
Ce primarisme de la pensée interdit tout esprit scientifique, ce dont Freud était totalement dépourvu. Sa clinique nous en donne de multiples exemples. On trouve dans son livre « Psychopathologie de la vie quotidienne »[13] un cas tout à fait significatif. Il dit qu’il a eu, en psychanalyse, une jeune fille de 14 ans qui faisait état d’une plainte abdominale et qu’il diagnostiqua comme hystérique avérée. Déclarée guérie mais toujours porteuse de la même plainte, elle devait mourir deux mois plus tard avec un diagnostic de « sarcome des glandes abdominale ». Freud affirme alors que d’une part l’hystérie avait utilisé la douleur comme cause déclenchante et d’autre part que l’hystérie l’avait empêché de voir la maladie.[14] Son analyse d’Emma Eckstein, après l’opération nasale de Fliess est de la même rigueur. Il affirme, sans preuve, que les hémorragies nasales sont bien connues chez les masturbatrices[15], qu’elles sont une manifestation hystérique, alors qu’elles résultent de l’oubli d’une compresse par Fliess qui avait réalisé son opération de la cloison pour supprimer les masturbations ! ! Dans le cas Dora, commentée dans toutes les formations psychanalytiques, on lui signale une perte de connaissance, après une discussion avec son père (p.14), aussitôt : « je crois que lors de cette crise, on put aussi observer des convulsions et un état délirant. Mais l’analyse n’ayant pas pénétré jusqu’à cet événement, je ne sais rien de certain là-dessus. » Dora est atteinte de difficultés respiratoire, c’est nerveux, de toux, c’est nerveux, une aphonie, c’est nerveux, aucune autre hypothèse n’est offerte (p.13).
Ce primarisme fut parfaitement traduit par Wittgenstein : –« Freud a rendu un mauvais service avec ses pseudo-explications fantastiques. N’importe quel âne a maintenant ces images sous la main pour expliquer, grâce à elles, des phénomènes pathologiques ».[16].D’autres ont dû passer par la dure épreuve de leur propre expérience et de celle d’autrui enrichie par la fréquentation des adeptes. Judith Rapoport estime qu'au début, « quelques figures étaient titanesques », mais qu’il y eut une chute en qualité : « à partir des années 50, la majorité de ceux qui entraient dans ce cadre avaient un Q.I. de 40 points inférieurs à celui de leurs prédécesseurs. » Et elle poursuivait : « une des raisons pour lesquelles les gens brillants abandonnent la psychanalyse est que vous êtes cérébralement mort à la fin du premier jour. Vous ne pouvez simplement pas supporter d’entendre des gens dire la même chose depuis 40 ans. Si vous voulez cela vous n’avez qu’à aller à l’église. »[17] Cette primarisation de la pensée a été dénoncée par Hannah Arendt :–« Le totalitarisme, une fois au pouvoir, remplace invariablement tous les vrais talents …par ces illuminés et ces imbéciles dont le manque d’intelligence et d’esprit créateur reste la meilleure garantie de leur loyauté. »[18]
Outre le niveau du QI dont parle Rapoport, rappelons les mots mêmes du maître à Binswanger : « Enfin ma cinquième question : ’’pourquoi, parmi les psychanalystes, certains avaient des allures extravagantes’’ ? » –il répondit : « J’ai toujours pensé que ce seraient les porcs et les spéculateurs qui se jetteraient en premier sur ma doctrine. »[19]
Freud voyait loin. Aujourd’hui, la France, toujours plus ardente aux expériences extrêmes, est envahie par l’immense armée des gueux autoproclamant l’avènement du lacanisme, renouant avec ’’l’escholier limosin qui contrefesoit le langaige françoys ’’, et qui, agitant la crécelle du désir, ont fait du vide intellectuel arrogant et du néant thérapeutique l’essence de leur art.
Heidegger, dont Lacan avait cherché vainement à susciter l’intérêt, disait que Lacan était un psychiatre qui avait besoin d’un psychiatre.
LA REVENDICATION D’UN CREATEUR D’UNE SCIENCE NATURELLE
ET D’UNE THERAPEUTIQUE DEFINITIVE
L’analyse épistémologique se doit évidemment de mettre en évidence la construction de la théorie au plus près de la réalité empirique, du matériel même sur lequel s’appuie et se fonde Freud. En effet s’en prendre d’emblée ou exclusivement au système, sans tenir compte des faits, serait faire la part trop belle à la critique puisqu’une partie de la théorie occupe le domaine de ce que Freud avait appelé la métapsychologie. Persister dans cette voie conduirait à s’ensevelir dans les nuées. Cette singularité est parfaitement illustrée par la travail de Ricœur, qui, chaussant les lunettes de Kant, nous fait croire qu’il fera l’analytique d’une science qui aurait les mérites que la mécanique rationnelle avait pour son prédécesseur. C’est pourquoi la réflexion de Ricœur atteint un niveau d’irréalité grandiose, d’autant qu’il appelle, par un glissement sémantique pervers, « épistémologie », une réflexion abstraite sur une doctrine qui pourrait être aussi bien la construction d’un Rousseau ou d’un Fichte.
Freud a affirmé avec force que son champ exclusif d’investigation était la relation psychanalytique[20], il rejeta d’autres méthodes, comme celle des tests, parce qu’inutiles. Il considérait que « la richesse des observations fiables sur lesquelles les affirmations de la psychanalyse reposent les rendent indépendantes de vérifications expérimentales. »[21] Freud s’est présenté essentiellement comme un scientifique et un thérapeute, aux sens les plus parfaitement entendus par les milieux professionnels. Dans le premier cas, il présente la psychanalyse comme « une science empirique »[22], voire, « une science spécialisée »[23], « une partie de la science de l’esprit, la psychologie »[24], donc « une science naturelle »[25], dans le second comme « une discipline médicale »[26], ou « une procédure thérapeutique ». Freud a prétendu qu’il avait créé une nouvelle science et il revendiqua pour la psychanalyse ce titre à plusieurs reprises. Il va, dit-il, même faire profiter la psychiatrie de sa construction : « La psychanalyse veut donner à la psychiatrie la base scientifique qui lui manque. »[27]
Il a toujours proclamé que la psychanalyse était analogue aux autres sciences, dans la mesure où elle atteignait une vérité objective, établie par une méthode rigoureuse d’observation : « J’ai toujours éprouvé comme une injustice grossière le fait qu’on ne voulût pas traiter la psychanalyse à l’instar de n’importe quelle autre science de la nature »[28]. Dans un des derniers textes qu’il ait écrit[29], il affirme que « La psychanalyse fait partie de la science mentale qu’est la psychologie ». Donc, c’est « une science naturelle ». La psychanalyse est une science empirique... Elle est toujours incomplète et se trouve toujours prête à corriger ou à modifier ses théories. »[30].La psychanalyse est la science de « l’esprit inconscient ».[31]
Or Freud travailla conjointement à une œuvre thérapeutique et théorique. « Au départ, le seul objet de la psychanalyse était la compréhension et l’amélioration des symptômes névrotiques »[32].
Il lui arriva de faire prévaloir tour à tour l’une de ces dimensions sur l’autre : « Une psychanalyse n’est pas une recherche scientifique impartiale mais un acte thérapeutique, elle ne cherche pas, par essence, à prouver mais à modifier quelque chose »[33]. Il lui arriva d’inverser le sens de ces relations et de ne voir dans la relation thérapeutique qu’un moyen d’investigation théorique. Il écrit à Ferenczi : « les patients ne sont bons qu’à nous faire vivre et ils sont du matériel pour apprendre. Nous ne pouvons pas les aider ». « J’ai dit souvent que je tiens la signification scientifique de l’analyse pour plus importante que sa signification médicale et, dans la thérapeutique, son action de masse par l’explication et l’exposition des erreurs pour plus efficaces que la guérison des personnes isolées ».[34]
Le 28 mai 1911, Freud écrit à Binswanger : « Une vieille blague courante chez nous : on appelle la cure psychanalytique ’’un blanchissement de nègre’’. Pas tout à fait à tort si nous nous élevons au-dessus du niveau reconnu de la médecine interne. Je me console souvent en me disant que si nous sommes si peu performants au niveau thérapeutique, nous apprenons au moins pourquoi on ne peut pas l’être davantage. Dans cet esprit, notre thérapie me semble être la seule rationnelle ». Bref l’important n’est pas de guérir mais de comprendre et nous sommes les seuls à le faire ; et la sortie par la réussite théorique est une constante.
Enfin, à cela il convient d’ajouter le cynisme.
H.Arendt (système totalitaire, p.109 sq.) a bien analysé le « mélange de crédulité et de cynisme » caractérisant les esprits engagés dans l’entreprise totalitaire. « Un mélange de crédulité et de cynisme prévaut à tous les échelons des mouvements totalitaires, et plus l’échelon est élevé et plus le cynisme l’emporte sur la crédulité » (ibid, p.110). « La fausseté et le mensonge, connus aux plus hauts niveaux, pour s’imposer aux autres comme vérités incontestables exigent la croyance absolue au chef identifié à la vérité. Les sympathisants croient sincèrement les paroles du chef mais les membres du parti ne croient jamais les déclarations officielles » (ibid, p.111). A l’affirmation de la propagande, selon laquelle tous les événements sont scientifiquement prévisibles selon les lois de la nature, « l’organisation totalitaire ajoute la position d’un homme unique qui a monopolisé cette connaissance et dont la première qualité est qu’il a toujours eu raison et qu’il aura toujours raison. » (ibid, p.111).
« Une autre fois », écrit Binswanger à propos de Sigmund Freud[35], « je lui ai demandé en quels termes il était avec ses patients ». Réponse : ’’Je leur tordrais bien le cou, à tous’’. « Les patients c’est de la racaille », déclara Freud à Ferenczi[36], et Freud ajouta « les patients ne sont bons qu’à nous faire vivre et ils sont le matériel pour apprendre, nous ne pouvons les aider ». Ferenczi conclut : « C’est du nihilisme thérapeutique et, malgré cela, par la dissimulation de ces doutes et l’éveil d’espoirs, des patients se laissent prendre ».
On peut même aller au-delà et stigmatiser le malade. Le diagnostic médical devient synonyme de stigmatisation. Dostoïevski fut un antisémite, un barbare décadent, un esprit faible (’’geringere Geister’’), masochiste et homosexuel latent, « névrosé, moraliste et pécheur », témoignant d’une sympathie « sans limite » pour les criminels ; et ses soi-disant crises comitiales, symptômes de l’hystérie, ne peuvent être comprises que par la science freudienne, pure et civilisée.
Un tel traitement débouchant sur la condamnation morale suscitait l’indignation de Karl Kraus : –« La psychanalyse est une passion non une science. Il lui manque la fermeté de l’investigateur. En fait, c’est précisément ce défaut qui singularise le psychanalyste. Il aime et déteste son patient, il envie sa liberté et son pouvoir et son affaire est de ramener ses forces au niveau de sa propre faiblesse. Elle affirme que l’artiste sublime un défaut parce qu’il se sent incapable. La psychanalyse est, en réalité, un acte de revanche par lequel l’infériorité du psychanalyste est transformée en supériorité. Le patient tend naturellement à se soumettre au médecin. C’est pourquoi, aujourd’hui, n’importe quel idiot veut traiter son génie. Peu importe comment le médecin s’efforce d’expliquer le génie, tout ce qu’il arrive à faire est de montrer qu’il en est dépourvu ».[37]
LA REVELATION ORIGINELLE DES CONCEPTS : L’AUTO ANALYSE
Les vérités de la psychanalyse ne résultent pas d’une opération intellectuelle mais d’une révélation qui apparaît à l’esprit libéré. L’autoanalyse est un rituel d’initiation individuel au cours duquel l’âme se libère des voiles qui entravaient sa vision. C’est, selon Gellner, la quintessence du freudisme.[38] La psychanalyse ne se livre pas à la recherche de relations conceptuelles forgées par le progrès de l’intelligence mais à un dévoilement. La génération spontanée régénérée par la psychologie. La nouvelle théorie surgie définitivement prouvée et de portée universelle de l’auto-analyse.
Les assertions psychanalytiques sont le produit d’une illumination originelle indépendante de l’observation objective. Les faits ne résultent ni de la clinique ni d’un approfondissement méthodique et critique mais d’une appréhension subjective identique à une révélation religieuse. C’est ce dogmatisme subjectif auquel on se réfère comme une autoanalyse.[39]
Comment a-t-il obtenu ce savoir ? Par « auto illumination » (Svedenborg)[40]
Mais cette révélation demandait un héroïsme sans précédent, dénoncer les interdits du milieu social pesant sur la manifestation de la vérité, lever les résistances. De ce fait, la psychanalyse est une entreprise de libération. Freud a révélé non ce qui était caché mais ce qu’on cachait, ce que des années de censure puritaine avait dissimulé. « La populace [affirma H.Arendt[41], qui y voyait la cible du totalitarisme], croyait réellement que la vérité était tout ce que la société respectable avait hypocritement passé sous silence, ou couvert par la corruption ». « Et, précise-t-elle, tout ce qui était caché devenait hautement significatif, sans considération d’importance intrinsèque. »
Paul Ricœur a prétendu que Nietzsche, Marx et Freud avaient en commun la conviction qu’il fallait détruire la conscience fausse « pour un nouveau règne de la vérité ».[42] Là où Ricœur sombre dans la confusion, c’est quand il qualifie ces entreprises de « science », précisément de « science médiate du sens ».[43] Cette inconséquence livre tout ce qu’elle a de redoutable quand, quelques pages plus loin, voilà nos trois compagnons associés à « la leçon de Spinoza »[44].La libération du dernier était celle qui débouchait sur l’illumination de la raison, les victimes des trois autres pourraient témoigner de ce qu’il advint de la promesse d’une libération de la raison opérée par nos trois imposteurs modernes.[45]
La transposition logique conduit à prétendre que Freud aurait découvert des vérités incontestables en utilisant une méthode dont il fit profiter le reste du monde. C’est bien la même méthode, mais c’est celle de l’arbitraire absolu, de la folle du logis, faite de révélations qui témoignent non d’un caractère scientifique mais de la richesse fantasmatique de Freud, de sa dextérité rhétorique et des traits remarquables de sa personnalité narcissique et mythomane au service d’une intelligence verbale qui devait être élevée. « Je ne suis en réalité pas du tout un homme de science[46], pas un observateur, pas un expérimentateur, pas un penseur. Je ne suis par tempérament rien d’autre qu’un conquistador — un aventurier, si tu préfères — avec toute la curiosité, l’audace, et la ténacité caractéristiques d’un homme de cette trempe. De tels individus ne sont habituellement estimés que s’ils ont réussi, ont découvert quelque chose, sinon ils sont abandonnés sur le bord du chemin… pour le moment, la chance m’a abandonné et je ne découvre rien qui vaille ».[47] Les identifications qu’il a présentées, durant sa longue vie, sont innombrables : depuis les divinités comme Zeus aux héros comme Moïse, Joseph, Xerxès, Alexandre le Grand, Hannibal, Léonard de Vinci, Nansen, Cromwell, Napoléon, Bismarck, Copernic, Kepler, Newton, Darwin, Guillaume le Conquérant, Danton, Garibaldi, Stanley.[48]
Léon Brunschvicg[49] évoquait « la nécessité psychologique qui fait que le soit-disant prophète ne peut emprunter sa figuration de l’avenir qu’aux ombres du passé ». Il opposait « le positivisme de raison » au « positivisme d’Église fondé tout entier sur le sentiment de confiance qu’un homme éprouve (et fait partager) dans la valeur unique de sa pensée et où il puise l’illusion de pouvoir créer la méthode et dicter à l’avance les résultats des disciplines qui ne sont pas encore constituées à l’état de science. »
C’est à dire que chez Freud les connaissances fondamentales résultent d’abord et exclusivement d’une auto persuasion qui se développe dans le cadre d’un délire de fabulation. C’est son confident Fliess qui prit le risque de la rupture en allant au cœur du problème : « Le lecteur de pensées lit simplement ses propres pensées dans celles des autres »[50] et, l’on pourrait ajouter, inversement, celles des autres dans les siennes. Josef Breuer disait en 1907 de son confrère « Freud est un homme aux formulations absolues et exclusives. C’est un besoin psychologique qui, pour moi, conduit à des généralisations excessives ».[51]
LA REVELATION DU COMPLEXE D’ŒDIPE
La première publication où apparaît le « complexe d’Œdipe » est « L’Interprétation des Rêves », terminée en 1899.[52] Il est question longuement de la tragédie de Sophocle. Les lettres à Fliess nous apprennent que cette idée, Freud a commencé à se l’appliquer à lui-même. Dans la lettre à Fliess où il renonce à la séduction (21/9/1897), il évoque « une solution possible que le fantasme sexuel se joue toujours autour du thème des parent ». Mais c’est au travers de trois lettres du mois d’octobre (3, 4 et 15) de la même année (1897) que nous découvrons les bases de la nouvelle construction. Freud se livre à ce qu’il appelle son ’’autoanalyse’’. Au départ Fliess a fait part à Freud d’une observation concernant son fils, né en décembre 1895. Il s’agissait d’une érection de l’enfant en présence de sa mère. Peut-être a-t-il audacieusement établi un rapport de cause à effet[53]. Freud flambe à cette constatation et reconstruit un événement qui aurait du se produire, alors, qu’à 2 ans et demi, il fit un voyage avec sa mère de Leipzig à Vienne[54], c’est à dire avoir vu sa mère nue. Douze jours plus tard, le 15 octobre, la construction est accomplie : « J’ai découvert en moi, aussi, un amour porté à ma mère et de la jalousie envers mon père. Je considère, à présent, qu’il s’agit d’un événement universel, au cours de la petite enfance ». On notera, le « aussi », que la traduction française rend par « partout ailleurs » et « événement universel ». Ricœur, avec sa foi naïve, ne dissimule pas son enthousiasme, devant « le caractère fulgurant de la découverte de l’Œdipe, atteint d’un seul coup et en bloc, comme un drame individuel et comme un destin collectif de l’humanité. »[55]
Cette auto-analyse atteint des niveaux proprement étonnants d’investigation. En témoigne une lettre à Fliess du 8-2-1897[56]. Cette lettre est caviardée dans la première édition pour des raisons qui peuvent jeter des doutes sur le caractère objectif de telles découvertes. « Le mal de tête hystérique, avec les sensations de pression sur le sommet du crane, les tempes, etc. est caractéristique des scènes où la tête est tenue immobile aux fins d’actions dans la bouche (de là le refus à l’exigence des photographes à maintenir la tête sur un support). Malheureusement, mon propre père était un de ces pervers et il est responsable de l’hystérie de mon frère (dont tous les symptômes sont des identifications) et de celles de plusieurs de mes jeunes sœurs. La fréquence de cette circonstance fait mon étonnement ». Ou bien la séduction précoce, bien évidemment ici non induite par les malades, est une preuve du caractère irréfutable de la méthode dite auto analyse ou bien il faut douter de la véracité des autres révélations.
LES FAITS ORIGINELS SONT DEDUITS DE LA THEORIE
La construction, en psychanalyse, est celle d’un policier malhonnête qui dissimule les pièces à conviction dans le domicile du suspect. Dans cette analyse si singulière du « petit Hans » , Freud énonce clairement sa méthode : « Au cours d’une psychanalyse, le médecin donne toujours au malade, dans une mesure plus ou moins grande selon les cas, les représentations conscientes anticipées à l’aide desquelles il sera à même de reconnaître et de saisir ce qui est inconscient »[57].
Dans un envoi à Fliess, de 1893[58] il précise sa règle : –« Décris, par anticipation, le résultat tel qu’il est vraiment. » Ricœur estime « qu’à proprement parler, il n’existe pas de faits en psychanalyse, car l’analyste n’observe pas, il interprète ». En réalité, il s’agit de bien autre chose. On ne peut pas dire que la psychanalyse se singularise parce qu’elle construit ses faits de départ. La perception est elle-même une appréhension de la réalité au travers de cadres préalables et il ne convient pas d’opposer, comme le fait la philosophie empirique, le fait pur au fait élaboré. La particularité méthodologique de la psychanalyse est ailleurs. Elle réside dans son traitement rétroactif des faits.
Le fait en psychanalyse n’est pas l’observé mais ce qui est déduit de la théorie, le psychanalyste n’écoute pas il écoute, ou voit, ce qu’il a déjà interprété. Pour corriger Ricœur, le psychanalyste n’interprète pas, il a déjà interprété. La science expérimentale part du fait de départ et va aux faits d’arrivée au travers du passage obligé par l’hypothèse. Le fait de départ est bien sûr perçu, c’est à dire inséré, dans un schéma préalable et nous savons que le fait brut est lui même appréhendé au travers d’un schéma. Ce qui singularise Freud c’est que le fait d’arrivée constitue le fait de départ. Contrairement à la méthode de Sherlok Holmes, qu’il revendique comme sienne, Freud sait, avant de commencer, quels sont les faits de départ qui vont favoriser sa théorie. Il ne les cherche pas, il les a déjà trouvés (cf. Holmes : « je les ai trouvés, Watson, parce que je les cherchais »).
Comme le dit H. Arendt[59], les chefs d’un parti totalitaire « vont plier la réalité à leurs mensonge… la propagande se distingue par un mépris radical pour les faits…les faits dépendent entièrement du pouvoir de celui qui peut les fabriquer. »
Dans une lettre à Jung[60], Freud accorde qu’on peut utiliser les mythes, encore faut-il les élaborer avant de les intégrer. Par exemple, « la création d’Ève a quelque chose de tout à fait particulier et singulier — Rank m’a dernièrement rendu attentif au fait que dans le mythe cela aurait pu facilement s’énoncer autrement. Alors la chose serait claire, Ève serait la mère dont naît Adam, et nous nous trouverions devant l’inceste maternel qui nous est familier. » Voici donc le fait d’arrivée devenu le fait de départ, ce qui confirme le complexe d’Œdipe.
La lecture d’Œdipe Roi de Sophocle ou celle d’Hamlet procèdent de la même manipulation. Car Œdipe tue un homme et il apprend, ensuite, qu’il s’agit de son père, tout comme il ignore que celle qu’il a épousé est sa mère. Pour y voir la confirmation de l’Œdipe, il faut affirmer que ces ignorances résultent d’un refoulement, donc de supposer, auparavant, ce que Freud nomme le complexe d’Œdipe.[61] Le personnage d’Hamlet est soumis au même régime : Hamlet peut agir mais il ne saurait se venger d’un homme qui a écarté son père et pris la place de celui-ci auprès de sa mère, d’un homme qui a réalisé les désirs refoulés de son enfance. Mais Hamlet veut tuer le mari de sa mère et non son père, le premier est un meurtrier la seconde adultérine. A cette critique, on opposera avec force, la naïveté insupportable de celui qui n’est pas psychanalysé, c’est à dire de quelqu’un qui ne procède pas à la manipulation le plus naturellement du monde.
Dans sa préface à la 4ème édition des ’’Trois essais sur la théorie de la sexualité’’[62] on comprend ce qu’il entend par une ’’observation directe’’. Il affirme que « si l’espèce humaine avait été capable d’apprendre à partir de l’observation directe des enfants, ces trois essais n’auraient jamais été écrits. Il importe dit-il que l’observateur ait une formation psychanalytique.
Par exemple, que se passe t-il au début du traitement ?[63]
« De même que les premières résistances, les premiers symptômes, les premiers actes fortuits des patients peuvent susciter un intérêt particulier parce qu’ils trahissent les complexes régissant la névrose. Lors de la première séance, un jeune et spirituel philosophe aux goûts artistiques exquis se hâte d’arranger le pli de son pantalon. Je constatai que ce jeune homme était un coprophile des plus raffinés, comme il fallait s’y attendre dans le cas de ce futur esthète. Une jeune fille, en s’allongeant, se dépêche de recouvrir de sa jupe ses chevilles visibles, révélant ainsi ce que l’analyse ne tarde pas à découvrir ; ses tendances exhibitionnistes et la fierté narcissique que lui inspire sa beauté corporelle »[64]
Dans la traduction anglaise (Collected Papers) on lit « he reveals himself as an erstwhile coprophiliac of the highest refinement, as was to be expected of the developed aesthete »[65] Dans la Standard Edition, on lit « he is revealing himself as a former coprophilic of the highest refinement-which was to expected from the later aesthete »[66] Ici Freud fait l’interprétation au moment même où il s’allonge (forme progressive) et dans la traduction anglaise il le fait au présent (he reveals) alors qu’en français le passé simple permet l’ambiguïté sur le moment où l’interprétation est faite. Mais dans le texte allemand on trouve le verbe au présent : « er erweist sich als dereinstiger Koprophile von höchstem Raffinement, wie es für den spärten Ästheten zu erwarten stand ».
« Les femmes, que les événements de leur vie passée ont préparées à une agression sexuelle, ou les hommes à très forte homosexualité refoulée seront, entre tous les patients, les plus enclins à arguer, dans l’analyse, d’un manque d’idées » (id.trd.fr.p.98). D’emblée l’interprétation est faite et pénètre le symptôme : « Une attaque de diarrhée au commencement d’une analyse, annonce le sujet important de l’argent ».[67]
LES REGLES D’UNE MENTALITE PRIMITIVE
Freud reconnut que « la psychanalyse est comme le Dieu de l’Ancien Testament, elle ne peut tolérer qu’il y ait d’autres dieux »[68]. Pour y parvenir, il a immunisé sa construction vis à vis de toute possibilité de critique rationnelle. Il s’agit d’un système qui jouit d’une propriété épistémologique remarquable celle d’être logiquement invérifiable. L’administration de la preuve est rendue impossible car toutes ses propositions sont également vraies ou également fausses. Aucune proposition ne sera de nature a être réfutée, tout fait sera favorable à la théorie, à l’hypothèse de départ Freud n’a jamais énoncé quel était le fait qui pouvait contredire sa théorie. C’est le principe du verrouillage parfait.[69]
La psychanalyse est une construction opérée par Sigmund Freud, qui livre les troubles mentaux à la domination de la compréhension. Sur le plan théorique on est totalement en dehors de la science. Une telle situation résulte de la construction même du système.[70] Sur le plan pratique, il s’agit d’une entreprise de suggestion remarquable dont le but est d’induire chez les autres la conviction que les croyances de Freud sont des vérités établies ou démontrées à valeur universelle. C’est l’exemple même d’une possession spirituelle. Ayant réussi à devenir une véritable dimension culturelle occidentale, la critique de la psychanalyse se heurte à une défense qui est l’expression d’un véritable interdit culturel. Freud nous avait prévenu.
Sur le plan épistémologique, on a multiplié les preuves qui démontrent les faiblesses intrinsèques ; mots mal définis, ou objets de définitions différentes, concept utilisé avec des sens différents (narcissisme, sexualité) et passages d’un sens à un autre pour les besoins de la démonstrations, (fantasmes ou réalité ?) refus d’admettre des vérités scientifiques pour ne pas modifier son système (Lamarck contre Darwin, niant en toute conscience ce qu’il sait de la vérité biologique), extrapolation, passage arbitraire du singulier au général (Œdipe)[71], glissements sémantiques, projection de fantasmes dans un passé historique fabuleux et utilisation d’idées sans en connaître le sens (Totem et Tabou), aberrations logiques (contraires aux canons de Stuart Mill), contradictions patentes, etc…
La méthodologie freudienne jouant des mécanismes de la pensée primitive aboutit aux résultats conformes au désir. Dans « L’Interprétation des Rêves », il met en avant « le renversement » (Verkehung), propre en effet à la pensée primitive.[72] De cette façon une pensée peut se prendre telle qu’elle est ou comme son opposé.
L’identification par le prédicat est aussi fréquente. Le coït est mouvement rythmique, la masturbation est un mouvement rythmique, tout mouvement rythmique est le symbole de l’un comme de l’autre (monter un escalier, monter une échelle, se gratter, claudiquer, etc.). Ce mode de pensée a été qualifié d’heuristique de la représentation.[73] Il s’agit de l’erreur consistant à faire de certains caractères d’un objet des éléments essentiels à la définition de la catégorie à laquelle il appartient. La baleine nage, le thon nage, on identifie la baleine et le thon dans la catégorie des poissons et non dans la catégorie de ce qui nage.
Le symbolisme règne en maître et le signifiant s’associe au signifié par affinité thématique (meaning connexions). De telles connexions sont identifiées par Freud à des rapports de causalité : le chapeau renvoie au phallus. Cette erreur a été stigmatisée par Stuart Mill, elle consiste à croire que les causes d’un phénomène doivent ressembler à ce phénomène. Comment ne pas évoquer ce passage de Bouvard et Pécuchet (IV), de Gustave Flaubert (mort en 1880) : « Anciennement, les tours, les pyramides, les cierges, les bornes, les routes, et même les arbres avaient la signification de phallus, et pour Bouvard et Pécuchet, tout devint phallus. Ils recueillirent des palonniers de voiture, des jambes de fauteuil, des verrous de cave, des pilons de pharmaciens. Quand on venait les voir, ils demandaient: ’’A qui trouvez-vous que cela ressemble ?’’ Puis confiaient le mystère, et, si l’on se récriait, ils levaient de pitié les épaules. »
Qu’il s’agisse d’associations ou de symbolique, Freud a toujours eu la certitude qu’il découvrait la cause et, selon lui, la psychanalyse ne saurait se passer de cette révélation[74].
Freud s’est défendu d’utiliser, dans une très large mesure, la relation symbolique. Dans ses premiers travaux sur l’hystérie, il oppose le déterminisme associatif et le déterminisme symbolique. Dans les rêves[75], il reconnaît, d’une part, que sans la symbolique, il est difficile d’interpréter un rêve et, en même temps, il met « en garde contre la tendance à surestimer l’importance des symboles, à abandonner l’utilisation des idées qui se présentent à l’esprit du rêveur pendant l’analyse ». Il ajoute que si les deux techniques doivent se compléter, l’association des idées est primordiale et l’autre « n’intervient qu’à titre auxiliaire »(ibid.).
Freud a consacré le chapitre X de ’’l’Introduction à la Psychanalyse’’ à l’étude du symbolisme dans le rêve. Il nous dit que lorsque la libre association « se trouve en défaut », sans doute quand elle ne convient pas à la théorie, on peut y suppléer par la symbolique. C’est alors qu’on a l’impression d’obtenir un sens satisfaisant » (p.166). De telles affirmations sont des déclarations d’intention mais toute la méthode de Freud consiste effectivement à manipuler le libre jeu des associations[76]. Freud sait toujours et parfaitement à quoi doit aboutir: sa symbolique. Dans la quasi totalité des cas, on débouche sur une signification sexuelle, et les associations d’idées soit sont manipulées à cette fin, soit sont interprétées selon ce principe. Freud insiste sur le rôle joué par son expérience qui lui fait se passer de l’association des idées: « On s’aperçoit qu’il s’agit d’interprétations qu’on aurait pu obtenir en se basant uniquement sur ce qu’on sait soi-même et que pour les comprendre on n’avait pas besoin de recourir aux souvenirs du rêveur »[77]. Depuis Freud, ce procédé s’est généralisé dans ce qu’on pourrait appeler la vulgate psychanalytique. L’analyse du sujet, si jamais elle a lieu, ne servira qu’à confirmer ce que la lecture symbolique élémentaire, désormais irréfutable, nous fournit d’emblée. C’est ainsi que dans la dysgraphie, on va greffer une signification ’’kit’’, toute montée, grâce à laquelle « la signification symbolique de l’écrit et du crayon pris en main deviennent prévalant »[78].
La symbolique — dont William James affirmait : « En ce qui me concerne, je ne peux rien faire de ces théories des rêves et de toute évidence le symbolisme est une méthode très dangereuse » (A Most Dangerous Method)[79] — autorise de multiples interprétations. Freud en était conscient mais sous la pression de ses disciples, dont Steckel et Jung mais également de sa propre technique et orientation, il finit par imaginer qu’il trouvait dans l’histoire des mythes et des religions, comme dans une théorie linguistique, très aventureuse, des confirmations à l’universalité de sa propre symbolique.
Freud finit par fonder cette symbolique sur le langage selon des racines qu’il estimait universelles. Cette symbolique, Freud affirme que le rêveur l’utilise mais que sa connaissance est inconsciente[80]. Il faut chercher son origine dans le sens primitif des mots[81], dans « une langue fondamentale »[82]. De nombreuses racines se seraient ainsi formées, à l’origine, à signification sexuelle mais ayant fini par la perdre : « Les mythes ont également une origine sexuelle. Les mythes sont les rêves d’un peuple ».[83] Dès lors le symbolisme est fondé « sur la pensée archaïque universelle, folklore, mythes, religions, langage »[84].
En tant que tel un symbole peut avoir totalement perdu sa signification. Un pin dans les cimetières, symbole d’immortalité ? symbole d’érection phallique ? Même si historiquement le premier sens est le plus certain, le psychanalyste ne va-t-il pas dire que le vrai se cache derrière, c’est à dire le sexuel ? puisque le symbole cache de toute façon sa vérité à la conscience. La conscience dit immortalité et l’inconscient proclame phallus. Mais si on peut tout voir dans les symboles, comment peuvent-ils encore être saisis ? De toute évidence, nous n’en avons plus conscience. Si Freud affirme qu’ils sont vivants dans l’inconscient, c’est qu’il croit à l’hérédité des caractères acquis.
Cette pensée primitive a eu pour effet d’engendrer des commentaires spontanés déniant à Freud la découverte d’une réalité cachée parce que claire à beaucoup de ses lecteurs. Webster cite, à cette occasion, Wittgenstein notant que les rêves à contenus sexuels lui sont « aussi communs que la pluie », Orwell déclarant : « Pourquoi pensait-il rêver de pêche pour le sexe alors que j’y pense en veillant ? », H.Gompertz qui, s’offrant à l’interprétation de ses propres rêves, constate que Freud découvre tout ce qui lui est parfaitement connu.[85]
C’est évidemment la propriété de cette pensée primitive d’engendrer des phénomènes observables, symptômes, rêves, jeux d’esprits, comportements, etc. qui posent problème, problème qui est au cœur de « l’interprétation » (Deutung) . Or interpréter, c’est donner un « sens » (Bedeutung). Interpréter un rêve, c’est lui donner un sens, c’est à dire « le remplacer par quelque chose qui peut s’insérer dans la chaîne de nos actions psychologiques, chaînon important semblables à d’autres et d’égale valeur »[86] En effet il ne peut s’agir que du rationnel. Qui s’exprime tout à la fois dans les moyens qui permettent l’interprétation et dans la véracité du passage du contenu inconscient à la réalité manifeste. Comme l’écrit Laplanche, « l’interprétation est au cœur de la doctrine et de la technique freudienne. On pourrait caractériser la psychanalyse par l’interprétation ».
Dans l’introduction à son livre « Les Progrès de la Conscience dans la philosophie occidentale », Léon Brunschvicg définit ce qu’est pour la philosophie l’opposition entre l’homme venant d’occident et celui venant d’orient : « Un homme qui, n’ayant d’autre intérêt que le vrai, s’appuie à l’intellectualité croissante d’un savoir scientifique pour s’efforcer de satisfaire l’exigence d’un jugement droit et sincère ; l’autre qui s’adresse à l’imagination et à l’opinion, se donnant toute licence pour multiplier les fictions poétiques, les analogies symboliques et leur conférer l’apparence grave de mythes religieux » [p. viii].
SEJOUR SUR LE DIVAN OU LA POSSESSION D’UN ESPRIT
La suggestion hypnotique est le paradigme fondateur de la psychanalyse, elle a poursuivi Freud jusqu’à sa fin et il s’est laissé finalement à dire : « Rien n’a pu jusqu’ici remplacer l’hypnose »[87] et ce, en 1937, alors qu’il avait 80 ans. Freud a, toute sa vie durant, repris le récit d’une expérience de suggestion post-hypnotique qu’il avait vu chez Bernheim, à Nancy, en 1889[88]. Dans un livre que la mort ne lui permit pas d’achever, il y revient.[89] Le médecin entre, pose son parapluie dans la pièce, hypnotise un malade et lui dit : « Je vais sortir maintenant, quand je reviendrai, vous viendrez à ma rencontre avec le parapluie ouvert et vous le tiendrez au-dessus de ma tête ». Le médecin extrait alors le malade de l’hypnose. Le malade à l’entrée du médecin fait exactement ce qu’il avait ordonné. Quand le médecin lui demande pourquoi il agit ainsi, il lui répond, manifestement embarrassé, « Je pensais seulement, docteur, qu’il pleuvait dehors et que vous pourriez ouvrir votre parapluie dans la pièce avant de sortir »[90]. Freud commente en disant que le témoin d’une telle observation ne l’oubliera jamais et que nous avons ici la preuve expérimentale que des actes inconscients mentaux existent et que la conscience n’est pas une condition indispensable à notre activité. Il est clair que le malade dit ignorer les motifs exacts de son acte. Par contre les témoins les connaissent « alors que lui-même ne sait rien de la réalité qui agit en lui ».
La psychanalyse a deux buts, faire admettre au sujet le sens de ses actions et faire disparaître les symptômes. Freud estime que le second procède du premier. La condition nécessaire de la marche de la psychanalyse, ce que Grünbaum appelle l’argument d’adéquation (Tally Argument), a été parfaitement énoncé dans ’’L’Introduction à la Psychanalyse’’, au chapitre 28[91], où parlant du patient, Freud affirme : « La solution de ses conflits et la suppression de ses résistances ne réussit que lorsqu’on lui a donné des idées, convenant à son attente, et qui chez lui coïncident avec la réalité ». La psychanalyse prétend donc donner la vraie explication au sujet, ce qui coïncide avec la réalité, et c’est pour cette raison qu’elle réussit.
Après avoir découvert le sens d’une action, il faut faire admettre ce sens à ce patient. C’est ce que Freud prétend faire. Il n’en est rien, ce que le psychanalyste veut ce sont des aveux, obtenus par quelqu’un qui sait, avant toute enquête, ce qui doit être, auprès de quelqu’un qui refuse d’admettre ce que l’autre veut qui soit. Comme nous le savons, cette résistance devient la preuve du refoulement. On est exactement dans les procès bolcheviques. Il faut absolument persuader l’autre d’admettre une vérité dans l’intérêt du système dont il fait partie grâce au transfert. Tout le sens de la technique est là. Freud procède par « association libre » (la règle fondamentale : dire tout ce qui passe par l’esprit) et interprétation symbolique.
Il suffit de lire les quelques observations reportées par Freud pour s’apercevoir qu’il guide l’association des idées, en prétendant toujours qu’il y a encore quelque chose à découvrir, en orientant le sujet vers ce que le psychanalyste attend, si besoin en lui fournissant le sens symbolique de son contenu. On va donc du symbole à l’association libre et de l’association libre orientée et guidée au symbole.
Tout le système de persuasion va donc s’opérer dans le cadre du transfert, relation présente avec l’analyste, écran, peut être, mais écran actif, et interactif. Le transfert se définit comme une lutte pour le pouvoir, « champ de bataille sur lequel doivent se heurter toutes les forces en présence »[92] Toute sa vie, Freud est revenu sur le problème de la suggestion, pour la récuser, pour s’en défendre et pour finalement l’admettre : « Les résultats de la psychanalyse se fondent sur la suggestion » , mais ajoute-t-il « dans le cadre du transfert », ce qui veut dire que le sujet est en face d’une interprétation vraie et qu’il voit la disparition des symptômes. C’est une suggestion, oui, mais, par bonheur, la suggestion de la vérité. Il admet aussi que « les patients eux-mêmes sont faciles à convaincre ; il n’y a que trop d’occasions de le faire au cours du traitement. Mes clients sont des malades et de ce fait irrationnels et suggestibles ».[93] A l’époque où il croyait à la séduction par un adulte, il disait obtenir l’aveu grâce à « une très forte contrainte » (durch den stärksten Zwang).
Le transfert est la relation même qui conduit le récepteur, cérébralement vidé de toute possibilité de réflexion rationnelle et soumis au maître, à partager l’idée que lui offre l’analyste doté de la connaissance parfaite et infaillible. L’isolement cognitif et affectif livre le disciple au maître. C’est ainsi que se présente le chef d’un totalitarisme : « Le chef est infaillible, il ne commet pas d’erreur, il a toujours raison »[94].
Contredire, c’est résister et résister demande expressément une psychanalyse et seule une psychanalyse réussie fait cesser toute opposition. Il est hors de doute que le critère de réussite d’une psychanalyse est l’obtention de l’accord parfait. C’est-à-dire que la notion théorique de résistance rend totalement impossible une proposition contraire au système, ce qui pourrait s’entendre tout aussi bien comme l’affirmation qu’aucune proposition ne peut être contraire au système ou encore qu’il n’existe aucune proposition qui ne soit déjà contenue dans le système.
Le témoignage de Leo Einsenberg, professeur de psychiatrie de l’enfant à Harvard, n’a donc rien d’original : « Ici, les chaînes étaient à l’intérieur. Pour devenir un chercheur en psychiatrie, vous deviez être psychanalysé et si l’analyse était pratiquée par quelqu’un qui savait que sa théorie était vraie, une des choses qu’il avait faite était de traiter votre scepticisme comme un symptôme ». Et il ajoutait : « De cette façon, il n’y avait pas de moyen de s’en sortir, vous étiez piégé par votre intérêt à faire des recherches de valeur ».[95]
La psychanalyse n’use pas des moyens habituels d’administration de la preuve en raison même de son essence propre qui lui interdit cette voie. Sa transmission à autrui, sa propagation, son acceptation passe nécessairement par une relation duelle au cours de laquelle l’enseignant se mue en maître spirituel et l’enseigné en disciple.[96] Cette relation privilégiée et obligée est centrée sur le transfert qui va du disciple au maître. Sans transfert, pas d’acceptation par un esprit rationnel, bien entendu, du contenu de la doctrine. Au cours du transfert, on va isoler à deux titres le disciple d’une part du fonctionnement de sa raison d’autre part de toute relation sociale autre que celle qu’il entretient avec la maître.
L’isolement du thérapeute et du malade a été loué par certains esprits, par exemple Michel Foucault, qui n’y ont pas saisi une condition nécessaire à la réussite de la manipulation affective.
Pour posséder dans sa totalité un esprit il convient de le vider, de le séparer de toute attache qui réduirait et rendrait impossible l’œuvre de possession. H. Arendt considérait que le totalitarisme avait besoin d’individus isolés et acculturés : « Le principe caractéristique de l’homme de masse n’est pas la brutalité ou le retard mental mais l’isolement et le manque de rapports sociaux normaux ». « L’atomisation sociale et l’individualisation extrême précèdent les mouvements de masse ». Elle continue « le totalitarisme, ce sont des organisations massives d’individus atomisés et isolés »[97]. Hippolyte Taine montrait que le jacobinisme détruisait toute réalité sociale organique : « Entre les individus il ne doit subsister qu’un lien, celui qui les attache au corps social ; tous les autres nous les brisons nous ne souffrons pas d’agrégat particulier ; nous défaisons de notre mieux le plus tenace de tous, la famille ».[98]
Freud isole le sujet, le réduit à sa relation à lui en donnant de la famille une peinture effroyable.
Mais ces deux leviers ne produiraient pas leurs effets si les interprétations données au sujet sur sa vie secrète et ses intentions profondes ne produisaient un bouleversement émotionnel, souvent dramatique, où ses plus sincères attachements balayés, ruinés, vont apparaître comme autant d’illusions forgées par lui-même et destinées à dissimuler ses atroces et odieux désirs d’incestes, de meurtres, d’aberrations sexuelles insupportables, le tout engendrant une culpabilité insoutenable.
Freud trouva dans les pratiques de l’inquisition son modèle thérapeutique « Je rêve ainsi d’une religion du diable extrêmement primitive dont les rites s’exercent en secret et je comprends maintenant la thérapeutique rigoureuse qu'appliquaient les juges aux sorcières. Les liens de connexions ne manquent pas »[99].Freud utilisait les 3 croix pour conjurer le malin[100]. Dès lors l’évidence est manifeste pour Freud : « Pourquoi est-ce que les confessions faites sous la torture, ressemblent tant aux communications faites par nos malades en cours de traitement ? »[101]
Dès lors, le psychanalyste s’offre comme la seule solution à la névrose désespérée qu’elle a engendrée. « Le patient apparaît désorienté, dépendant et avide de trouver une solution réconfortante venant du thérapeute ».[102] Ici encore on voit les effets du concept central de défense, de résistance. On se défend contre des idées inavouables, dont on a honte et la psychanalyse brise les défenses et vous met à nu.
Il s’agit donc d’une entreprise de suggestion où la vérité est imposée au disciple par un rituel initiatique et une manipulation affective jusqu’au terme où la vérité de la psychanalyse est révélée tout à la fois au maître et au disciple dont les existences se renforcent et se justifient. De la sorte le seul moyen permettant de prouver les assertions psychanalytiques est la relation sur le divan qui est elle-même biaisée par Freud qui va suggérer aux sujet ses propres idées pour paraître les retrouver ensuite.
Ce qui nous trompe c’est qu’une fois installée l’idéologie totalitaire n’a plus à prouver sa véracité, elle est admise comme allant de soi, à l’instar des vérités éternelles, et tout doute devient un sacrilège laïque : « Les mouvements totalitaires cessent d’être obsédés par les preuves ’’scientifiques’’ dès qu’ils sont au pouvoir »[103]. Le terme de l’initiation est la fin de la psychanalyse, le moment où l’analysé est devenu lui-même psychanalyste selon les critères définis par les organes détenteur du pouvoir à un certain moment donné et en un lieu donné. La vérité de la psychanalyse est donc confirmée, encore une fois, puisque le disciple est devenu maître.
SEULE FAÇON DE REPONDRE AUX OPPOSANTS : LE DIVAN
Freud a prétendu que s’il avait appliqué à ses critiques la méthode qu’il appliquait à ses malades c’est parce que leur opposition avait la même source et qu’on l’avait mis au « pilori »[104]. La vérité est toute autre. Freud a toujours estimé que sa vérité se dévoilerait à tout un chacun s’il parvenait à éliminer les résistances. Une opposition doit être traitée non comme une opposition fondée sur un contenu logique, demandant une argumentation, mais comme une attaque exigeant une défense dans un rapport relationnel procédural. Dans ’’L’Interprétation des Rêves’’, un rêve échappant à l’explication par le désir est récupéré par le désir de s’opposer à sa théorie.
La Sainte Inquisition permettait la défense de la personne accusée de sorcellerie mais le défenseur ne pouvait être que l’incarnation de la sorcellerie donc son existence même, en tant que défenseur d’un sorcier, confirmait le bien fondé de l’accusation.[105] « Un manuel manuscrit à l’usage des inquisiteurs leur enjoint de poursuivre comme fauteurs d’hérésie les avocats qui accepteraient de défendre des hérétiques »[106] Ce devint « un principe reconnu du droit canonique qu’un avocat d’hérétique devait être suspendu de ses fonctions et noté d’infamie à perpétuité »[107] On comprend l’admiration de Freud pour cette vénérable institution.
Toute opposition extérieure, toute mise en question sera la vérification du système puisque la proposition adverse sera traitée comme l’opposition d’un adversaire qui sera discrédité comme affecté d’incompétence mentale[108] –« Les hommes en général se comportaient à l’égard de la psychanalyse précisément de la même façon que les névrosés en cours de traitement pour leurs troubles... La situation était à la fois alarmante et réconfortante. Alarmante parce que ce n’était pas un mince affaire que d’avoir tout le genre humain comme patient et réconfortante parce tout se réalisait après tout comme les prémisses établies par la psychanalyse l’avaient prévu. »[109]
« Nous traitons nos adversaires comme des malades ». Ce qui signifie deux choses.
D’abord, que tout énoncé théorique est intégré à la relation avec l’analyste. Mais, ensuite et par là même, la proposition est intégrée au système totalitaire où une opposition à l’analyste est totalement exclue puisque parfaitement conforme au système. Être en accord ou être en désaccord est parfaitement compatible avec le système. En effet, toute opposition dans ce système est, par essence, une résistance à l’interprétation de l’analyste. Le totalitarisme renferme l’homme tout entier et ne laisse rien en dehors de lui-même. « Les mouvements totalitaires posèrent leur supériorité, dans la mesure où ils étaient porteurs d’une Weltanschauung qui leur permettait de pendre possession de l’homme dans sa totalité ».[110]
En cherchant à définir la singularité du jacobinisme, Hippolyte Taine le compare aux despotismes de l’histoire, il trouve que ce qui le caractérise c’est qu’il ne laisse rien à l’homme en dehors de ce qu’il lui impose, « ne rien laisser en lui qui ne soit prescrit, conduit et contraint ».[111]
Un tel mécanisme caractérise à ce point le mouvement totalitaire que le piège se referme naturellement sur l’accusateur qui devient accusé à son tour. Depuis son origine, le mouvement psychanalytique connut des opposants qui se virent appliquer le broyeur totalitaire et rejeter dans la catégorie infamante des perturbés mentaux. O.Rank, Ferenczi, Bleuler, Jung furent, parmi d’autres les victimes de ce procès, eux qui, avant de succomber à leur tour, avaient porté les mêmes accusations sur d’autres. Bien évidemment, les victimes pouvaient aussi bien se défendre en mettant l’accusateur dans la même situation. La fin de la correspondance entre Freud et Jung en témoigne, à merveille.
Freud fut séduit par l’affirmation de l’avocat de la défense dans ’’Les frères Karamazov’’ qui, récusant l’accusation, rejette toute argumentation psychologique parce qu’on peut y défendre des thèses contraires, la psychologie étant « une arme à double tranchant » (en Russe, littéralement, un bâton à deux bouts).[112] L’avocat en effet, répondant au procureur, évoque « la subtilité de la psychologie qui nous attribue dans telles circonstances la férocité et la vigilance de l’aigle, et l’instant d’après la timidité et l’aveuglement de la taupe ».[113] C’est alors que Freud, adoptant sans état d’âme cette tactique, quand il reçoit en retour ses propres arguments retournés contre lui, dit « pouce ! », et siffle la fin du jeu.
Dans une note de son article « La sexualité féminine » (1931)[114], il prévient les critiques qui, s’opposant à sa théorie, tenteraient de le faire en le psychanalysant. En effet il vient d’affirmer que la femme, dans son évolution, doit renoncer au phallus atrophié, que représente le clitoris, pour admettre le vagin. Il avertit les psychanalystes, féministes ou femmes, qu’il n’admettra pas le genre de critique, lui reprochant de justifier théoriquement un « complexe de masculinité », visant à dominer et à réduire les femmes. Car « cette espèce d’argument psychanalytique nous rappelle ici, comme il le fait souvent, le fameux argument de Dostoïevski de l’arme à double tranchant. Les opposants, de leur côté, penseront qu’il est tout à fait compréhensible que les membres du sexe féminin puissent refuser une notion qui semble contredire une égalité si ardemment convoitée avec les hommes. L’utilisation de l’analyse comme arme de controverse manifestement n’aboutit à aucune décision ».
CONCLUSION
Parler de psychanalyse, comme j’en parle depuis 60 ans, me laisse l’impression et ce, de plus en plus au cours du temps, de me déplacer dans une atmosphère irréelle.
En 1949, je soutenais un ’’DES’’ sur « Les rapports de Freud et de Schopenhauer » et je n’aurais pas pu imaginer le moins du monde que je tiendrais un jour les propos que je viens de tenir devant vous. Compte tenu, bien sûr, de la critique que nous en faisons et de son importance sans cesse décroissante dans la psychologie et dans la psychiatrie mondiale. Mais nous sommes en France.
A plusieurs reprises, on a tenté de sauver le soldat Freud. D’aucuns qui s’en réclament encore l’ont abandonné, ce qui s’est passé sur tous les champs de bataille.
Je revois encore Daniel Lagache, dans son bureau du Boulevard Saint Germain se demandant, devant moi, sur quoi fonder la psychanalyse. Comme il envisageait la philosophie, je me suis permis de lui faire remarquer que la philosophie n’avait jamais rien fondé jusqu’ici, à quoi il me répondit : –« Vous, Vous savez ! »
Ce que j’ai su, depuis, c’est que d’autres ont cherché dans les sciences cognitives[115] et les neurosciences ce fondement ou du moins, une quelconque confirmation, un sauvetage. C’est un oxymoron. Comment une science dont les incertitudes sont encore si nombreuses pourrait fonder un dogmatisme religieux ? Dans le numéro de mars 2001 de « American Journal of Psychiatry », on trouve un article de Reiser qui a cherché cet accord, sur ’’Le Rêve dans la Psychiatrie Contemporaine’’ où, bien évidemment, les thèmes freudiens sont omniprésents. La conclusion de l’article est d’autant plus remarquable qu’elle confirme ce qu’on savait. Elle affirme que les théories de Freud sur le rêve « ne sont ni directement validées ni réfutées par les données empiriques revues dans cet article. De ce fait, je me demande s’il ne serait pas judicieux d’éviter de se préoccuper de savoir si les données des neurosciences réfutent ou confirment les formulations et la théorie originelles de Freud. » …Bene, optime, recte !
Je ne suis pas venu ici pour vous annoncer la mort de Freud ou de la psychanalyse. Nous savons, aujourd’hui, que ce genre d’arrogance ridiculise définitivement son porteur. On a annoncé périodiquement la mort des dieux, « nouvelle très exagérée », aurait dit Mark Twain.
Plutarque raconte qu’un soir le pilote égyptien d’un navire a été appelé, près de l’île de Paxos, trois fois par une voix qui lui demanda de proclamer que le grand Pan était mort. Comme le dit Ramsay Macmullen « Le paganisme est mort, c’est un fait, mais comme le dernier des stégosaures ou comme un récif corallien ? »
Auguste Comte a fait là dessus une réflexion essentielle :
–« Personne, sans doute, n’a jamais démontré logiquement la non-existence d’Apollon, de Minerve, ni des fées orientales ou des diverses créations poétiques ; ce qui n’a nullement empêché l’esprit humain d’abandonner les dogmes antiques quand ils ont enfin cessé de convenir à l’ensemble de sa situation ».[116]
Bref, on n’a pas démontré qu’ils n’existaient pas : on a cessé d’y croire.
Nous sommes dans une culture dont la psychanalyse est une partie, même les auteurs critiques de Freud peuvent encore ressentir sa séduction et rêver, avec Ernest Renan, qu’on est quitte envers sa foi, « quand on l’a soigneusement roulée dans ce linceul de pourpre où dorment les dieux morts ».
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________________________________________
[1] Professeur honoraire des Universités, Agrégé de philosophie, Docteur es lettres et sciences humaines, Docteur en médecine, Psychiatre. Conférence donnée le 10 juin 2001.
[2] Freud, Abrégé de psychanalyse, trad.fr., 71-72
[3] Knight Dunlap, 1920 : Mysticism, Freudianism, and Scientific Psychology.
[4] Sur cette question voir T.Szasz, « Anti-freud ».
[5]Très connu comme journaliste satirique (Die Fackel, le Flambeau) Karl Kraus (1874-1936) fut un écrivain prolixe aussi acharné contre la psychiatrie que la psychanalyse.
[6] Egon Friedel, né Friedman (1873-1938) de parents juifs, se convertit au christianisme et se suicida lors de l’entrée des allemands en Autriche (cf. Szasz, p.70).
[7] Cit. in Szasz, p.30
[8] id., p.39
[9] H.Arendt a insisté sur « le scientisme de la propagande totalitaire », Arendt p.71
[10]Au cours du XX° siècle on a beaucoup discuté pour savoir si l’on avait affaire à des systèmes politiques totalement nouveaux eu égard à la tyrannie ou au despotisme. La communication de Élie Halévy est de novembre 1936 et l’article de Jacques Bainville, « L’Allemagne totalitaire », du 1er juillet 1933.
[11] Taine, 1884, volume 2, Livre deuxième (premières lignes du chapitre 1, vol.2, pages 47-48).
[12]H. Arendt, p.79
[13]VII, A, note p.102-103 (trad. angl.)
[14]cf.id.p.37
[15]Correspondance avec Fliess, édition Masson, p.76 et sq. La correspondance avec Fliess est manifestement un délire à deux qui explique parfaitement bien la construction de la psychanalyse. Cf. Wilcocks, 1994, Bénesteau, 2002.
[16]Cit. in Bouveresse, p.13-14. Prédiction, hélas, confirmée au quotidien.
[17]Cit. in Dolnick, p.240
[18] in Dolnick, p.240
[18]Arendt, Le système totalitaire, p.66
[19]Correspondance Freud-Binswanger: p.188.
[20]1« Tous les …travaux et théories du professeur Freud sont fondés sur des investigations cliniques… Une inflexible détermination l’a toujours guidé, celle de rester en contact des plus étroits avec le matériel réel apporté quotidiennement à son observation. » E. Jones, Préface au C.P., T.I, p3-4
[21] Lettre à Rosenzweig (1934)
[22]« Nouvelles conférences sur la psychanalyse», Trad. angl., p.129
[23] id., p.203
[24]« Leçons élémentaires de psychanalyse», 1938, C.P.V, 377
[25]ibid., p.378
[26]Nouvelles conférences, p.128
[27]« Introduction », p.31
[28] « Sigmund Freud présenté par lui-même », Gallimard, p.98
[29]« Leçons élémentaires sur la psychanalyse » 1938, in C.P., V, 376
[30]Psychanalyse, 1922, C.P., V, p.129-130
[31]ibid.128
[32] ibid
[33]Cinq psychanalyses, trad. fr. p.167
[34]Lettre de Freud à Pfister, p.175-176
[35] Correspondance avec Freud, p.154
[36] Ferenczi « Journal clinique », p.148
[37]Cit. in Szasz, p.106
[38]in Crews,1995 p.394.
[39] « L’interprétation », Préface à la deuxième édition
[40]H.Arendt signale, dans le totalitarisme, « le mépris radical pour les faits en tant que tels » car, ajoute-t-elle, « les faits dépendent entièrement du pouvoir de celui qui peut les fabriquer », p.76
[41] ibid, p.77
[42]Ricoeur, p.41
[43]id., p.42
[44]id., p.44
[45]Je ne dis évidemment pas que Nietzsche a inspiré Hitler. Je veux dire que l’idéologie Nazi renvoie à Nietzsche : « Les nazis utilisèrent Nietzsche : la- dessus il n’y a rien à dire. Plus encore : pour qu’une chose soit utilisable dans une fin précise, il faut que quelque chose se prête en elle à l’utilisation.» Philonenko (Nietzsche au miroir de la Belle Époque) in Nietzsche, 1892-1914, (Maisonneuve et Larose, 1997), p.14
[46]A un journaliste, Papini, il avouait : « Mon âme, de par sa constitution, est portée vers les essais, le paradoxe, le dramatique et est extérieure à la rigueur pédante qui est le propre de l’homme de science » et il ajoutait que ses livres « ressemblaient davantage à des ouvrages d’imagination qu’à des traités de psychologie » et enfin, « bien que j’eusse l’apparence d’un scientifique je fus et je reste un poète, un romancier » Cité in J.L. Rice, p.216. Selon Frederick Crews (communication personnelle), il s'agirait d'un faux brillant certes mais dont l'origine reste néanmoins mystérieuse.
[47]Lettre à Fliess, 1/02-1900 (éliminée, elle ne se trouve que dans l’édition complète de Masson). Dans cette lettre, Freud se plaint de n’être pas reconnu dans sa ville et reproche même à Fliess de l’avoir surestimé, l’humeur est dépressive puis brutalement arrive le passage sur ce qu’il estime être réellement en tant que figure héroïque et de ce fait, c’est certain, sa grandeur ne sera reconnue que plus tard. Le narcissisme rebondit comme c’est habituel chez ces personnalités.
[48]Cf. Bakan, 1958 ; M Robert 1974 ; Klein, 1981 ; Rice (Emmanuel), 1990 ; Farrell (John) 1996 Freud’s paranoid quest.
[49]« Les âges de l’intelligence » ; p.7
[50]Citation de Fliess par Freud in lettre à Fliess du 7/8/1901 (édit.Masson, p.447). Selon sa méthode habituelle, Freud considère que le refus d’une interprétation ne tient pas à sa valeur mais aux intentions du dénégateur : « Si, dès qu’une de mes interprétations vous gêne, vous vous empressez d’affirmer que ’’le lecteur de pensées’’ ne perçoit chez les autres que ce qu’il projette de ses propres pensées, vous cessez d’être mon public et vous ne devez accorder à ma méthode de travail pas plus de valeur que lui en accordent les autres », lettre à Fliess du 19/9/1901, ed. Masson, p.450
[51]In Dolnick, p.36
[52] Traumdeutung, Chapitre V, IV, 2 : « Les rêves de la mort de personnes chères »
[53]Nous savons aujourd’hui qu’il s’agit d’un événement physiologique spontané, comme les érections au cours du sommeil paradoxal.
[54]« Ma libido envers ma mère (matrem) fut éveillée à l’occasion d’un voyage, avec elle, de Leipzig à Vienne, durant lequel nous avons du passer une nuit ensemble et où il dut y avoir l’opportunité de la voir nue (nudam) » la traduction française dit « sans doute » (3/10/97).
[55]Ricœur, p.188
[56]Trad. Masson, 230-231
[57]« Cinq psychanalyses », trad. fr., p.167
[58]Manuscrit C, trad. fr., p.68
[59]H. Arendt, p.70
[60]17/12/1911, 288F
[61]J.P.Vernant note que « cette démonstration a toute l’apparente rigueur d’un raisonnement fondé sur un cercle vicieux » Œdipe et ses mythes, p.2 et Vernant de préciser, tout naturellement, « Pour que le cercle ne fut pas vicieux, il eût fallu que l’hypothèse freudienne, au lieu de se présenter au départ comme une interprétation évidente et allant de soi, apparaisse au terme d’un minutieux travail d’analyse comme une exigence imposée par l’œuvre elle-même, une condition d’intelligibilité de son ordonnance dramatique, l’instrument d’un entier décryptage du texte ».
[62] Trois essais sur la théorie de la sexualité, tr.fr.p.12 ; Macmillan, p.316, Cioffi, p.122.
[63]Sigmund Freud. 1913: « Weitere Ratschläge zur Technik der Pychoanalyse: zur Einleitung der Behandlung » in S. Freud. Gesammelte Werke, Volume VIII pp. 454-478.
[64]1913, Le début du traitement. in « la technique psychanalytique » trad. fr., PUF, p.98
[65]Collected Papers II, p.359
[66]Standard Edition, vol.12, p.138
[67]Ruth Mack Brunswick (cit. in Dolnick, p.255-256)
[68]Cité par Reik, 1956
[69]« Tout l’art consiste à utiliser, et en même temps à transcender les éléments de réalités et d’expériences vérifiables empruntées la fiction choisie puis à les généraliser pour les rendre définitivement inaccessibles à tout contrôle de l’expérience individuelle » H.Arendt, p.88-89
[70]Le système possède toujours un moyen de prouver qu’une assertion qui lui est contraire est vraie. Par exemple, Freud construit une explication des rêves selon laquelle le rêve est l’expression d’un désir. Devant des obstacles qui rendent difficile cette application, il affirme que des rêves peuvent être dus au désir de lui donner tort.
[71]« J’ai eu récemment des soupçons sur l’explication d’un cas de fétichisme, pour l’instant seulement un cas de vêtement et un cas de botte. Mais ce devrait être le cas général » (correspondance à Jung, p.278)
[72]« Dans l’analyse préscientifique, les agents curatifs peuvent ressembler soit aux propriétés de la maladie soit aux propriétés opposées » Nisbett et Ross, p.116. Dès lors, l’interprétation pourra se satisfaire de l’un ou de l’autre et passer de la sorte d’un jugement à son contraire : « On ne sait jamais à l’avance, s’il faut admettre l’un ou l’autre, le contexte seul en décide » Interprétation des Rêves, p.401.
[73]Nisbett et Ross, p.24 ; 243
[74]Études sur l’hystérie 1895, p.121 et p.140
[75]Introduction à la psychanalyse, p.309
[76]Introduction à la psychanalyse p.165 et sq.
[77]Id, p.166
[78]Marcelli, p.96
[79]1Cf. Kerr (, 1994), p.245
[80]Introduction à la psychanalyse, p.183
[81]id., p.184 et sq.
[82]id., p.186
[83]Cf. Forrester « Le langage aux origines de la psychanalyse » (Gallimard), p.171
[84] Introduction à la psychanalyse, p.185
[85]Webster, p.270. Freud avait échoué dans l’interprétation des rêves du philosophe Gompertz, lequel n’avait pas offert de « résistance » ; le Viennois expliqua à Fliess qu’il « est aisé pour un philosophe de transformer une résistance interne en réfutation logique » (lettre à Fliess, 9/12-1899).
[86]« L’Interprétation », p.90
[87]Analyse terminée analyse interminable, tr. fr., p.16b
[88]Cf. par ex., Introduction à la psychanalyse, p.300; L’Inconscient, C.P.IV, 101 et Quelques leçons élémentaires sur la psychanalyse, 1938, C.P., V, 381
[89]Freud « Leçons élémentaires sur la psychanalyse », 1938, CP,V, p.376
[90]Freud, 1938, 381
[91]Introduction à la psychanalyse Trad. fr., p.484
[92]Introduction à la psychanalyse
[93]à Fliess, 7/08/1901 : étrangement, la traduction française donne « tous sont des malades donc des êtres particulièrement irrationnels et dont les réactions sont imprévisibles ».
[94]H. Arendt, p.74
[95]Dolnick, p 279
[96]Aujourd’hui, plus qu’autrefois encore, des individus se donnent spontanément à la croyance et s’attribuent le titre de psychanalystes, se sont des « transférés de profession ». Le psychanalyste, disait Lacan, s’autorise de lui-même. Nous sommes d’emblée dans le fanatisme commercial. Un spécialiste les dévoile au premier coup d’œil
[97]H. Arendt, pages 39 et 47. cf. 74
[98]Taine, Les Origines…, vol.2, p.68 et « Dès lors les affections et les obéissances ne se dispersent plus en frondaisons vagabondes ; les mauvais supports auxquels elles s’accrochaient comme des lierres, castes, églises, corporations, provinces, communes ou familles, sont ruinés et rasés, sur ce sol seul nivelé l’État seul reste debout et offre seul un point d’attache ; tous ces lierres rampants vont s’enlacer en un seul faisceau autour du grand pilier central », id., p.68-69
[99]1Lettre à Fliess, 24-1-1897 ; la dernière phrase a disparu de la trad.fr.p.167.
[100]Kerr, 1994, p.470. Bénesteau (2002) chap 6, 7, 8.
[101]à Fliess, 17/01/97. Des esprits facétieux disent que le mérite de Fliess est d’avoir stimulé la créativité de Freud, nous en voyons les bienheureux effets !!! Les caviardages sont certainement des coquilles !!
[102]Hoehn-Sarie, cit.in Am. J. Psychiatry, 1986, 6, 691.
[103]H. Arendt, p.71
[104]« Nouvelles Conférences », trad. angl., p.177
[105]« Les conciles de Valence et d’Albi, en 1248 et 1254, tout en prescrivant aux inquisiteurs de ne pas se laisser arrêter par les vaines chicanes des avocats, rappelèrent d’une manière significative la disposition de la loi canonique, en la déclarant applicable à l’avocat qui oserait défendre un hérétique » H.C. Lea, Histoire de l’Inquisition, I, p.504-505
[106]ibid.
[107]ibid.
[108]« La plupart de ce qui est opposé à la psychanalyse, même dans les travaux scientifiques, part d’une information insuffisante qui semble, à son tour, fondée par des résistances affectives » C.P., V, p.127. En ce siècle de barbarie, on se contente d’imbéciles ou de « diseurs de bêtises », l’esprit est le même mais la sémantique s’appauvrit.
[109]Freud « Les résistances à la psychanalyse » 1925
[110]H. Arendt, p.63
[111]Taine, vol.2 page 93.
[112]Cf. James Rice, p.217 et sq.
[113]« Les frères Karamazov », p.631 et « Voilà, messieurs les jurés, une autre sorte de psychologie. C’est à dessein que je recours moi-même à cette science pour démontrer clairement qu’on peut en tirer n’importe quoi. Tout dépend de celui qui opère »
[114]2C.P., V, p.258. trad. fr., p.143-144.
[115]K.M. Colby, R.J. Stoller, « Cognitive science and psychoanalysis », The analytic Press, 1988.
[116]A.Comte « Discours sur l’Esprit Positif »
LA PSYCHANALYSE COMME POSSESSION SPIRITUELLE
Par Jacques Corraze.[1]
« Il est sans doute à regretter, il n’est assurément pas à méconnaître, que la première vertu soit d’ordre strictement intellectuel, qu’elle consiste à surmonter l’orgueil dogmatique d’où procèdent les privilèges imaginaires d’une personne ou d’un peuple, d’un culte ou d’une génération ». Léon Brunschvicg, Les âges de l’intelligence.
INTRODUCTION
Aujourd’hui, deux voies d’entrée dans la psychanalyse s’avèrent possibles. L’une est la voie historique, offrant l’histoire des hommes, de la formation de leurs idées et leur diffusion. L’autre est l’abord épistémologique, visant la légitimité logique intrinsèque du système. La deuxième voie, celle que l’on va suivre, consiste à faire abstraction de l’histoire et à examiner le système, sa signification et sa valeur intrinsèques au nom de cette évidence qu’un théorème de mathématique est vrai ou faux indépendamment de l’état mental de son inventeur.
Il y a trois façons de concevoir la psychanalyse : comme une science intimement dépendante d’une pratique psychothérapique, comme une herméneutique, comme une narration. De toutes ces façons, aucune ne permet, à partir d’un même matériel, d’aboutir à une conception unique. « Avouons le, il est souvent très difficile d’aboutir à une décision, ce qui d’ailleurs se traduit par de nombreux désaccords entre les psychanalystes. »[2]
Je partirai simplement de la psychanalyse, celle que Freud a bâtie.
Je voudrais montrer comment, par essence constructive, le système est beaucoup plus qu’une immense aberration intellectuelle. Le psychanalyste est celui par lequel l’intimité gardée secrète à la conscience même du sujet lui est dévoilée. Cet homme qui sait va donner un savoir qui est et sera un pouvoir. Mais un pouvoir partagé. Ce pouvoir fascine l’acteur comme le spectateur qui sont dans un jeu interactif. Freud a toujours dit, et avec raison, que l’on ne peut comprendre la psychanalyse qu’en se plaçant en elle, c’est à dire dans sa relation. C’est une entreprise de possession spirituelle, par là je tente d’expliquer et la logique du système, sa perversité et son succès. « La psychanalyse essaie de s’infiltrer en revêtant l’uniforme de la science, afin d’étrangler cette dernière de l’intérieur. »[3]
TOTALITARISME ET PRIMARISATION DE LA PENSEE
Né en 1856, mort en 1939, Freud est un homme tout à la fois du XIXème siècle et du XXème siècle, dont il partage les deux illusions. Celle du premier fut le scientisme, celle du second le totalitarisme et leur corollaire, la primarisation de la pensée.
À Vienne, des contemporains de Freud chargèrent violemment sa construction et portèrent l’accusation de totalitarisme[4]. Ce qui est singulier c’est que les plus violents contempteurs se trouvèrent être des juifs. Il s’agit en l’occurrence de Karl Kraus[5] et de Egon Friedel[6]. En 1937, Kraus stigmatise l’association de « la swastika et de l’entreprise sans valeur de la psychanalyse[7]. En 1939, il voit dans Freud « un collectiviste et un totalitaire. »[8]
Le système de Freud est un scientisme totalitaire.[9] Comme il s’agit d’un système psychologique, c’est un système de possession spirituelle au service d’une idée unique.[10] Or, comme l’écrivait Hippolyte Taine, en préambule à son examen du ’’programme jacobin ’’ :
–« Rien de plus dangereux qu’une idée générale dans des cerveaux étroits et vides : comme ils sont vides, elle n’y rencontre aucun savoir qui lui fasse obstacle ; comme ils sont étroits, elle ne tarde pas à les occuper tout entier. Dès lors ils ne s’appartiennent plus, ils sont maîtrisés par elle ; elle agit en eux, et par eux ; au sens propre du mot, l’homme est possédé. »[11]
Freud a toujours été fasciné par le monoïdéisme de l’hypnose. Il permet de comprendre et son propre fonctionnement mental et sa méthode de persuasion conforme et à la nature de sa construction et aux moyens de sa diffusion. Comme pour tous les régimes totalitaires, il convient de « s’incliner devant une idéologie à la cohérence extrêmement rigide et fantastiquement fictive ».[12]
Ce primarisme de la pensée interdit tout esprit scientifique, ce dont Freud était totalement dépourvu. Sa clinique nous en donne de multiples exemples. On trouve dans son livre « Psychopathologie de la vie quotidienne »[13] un cas tout à fait significatif. Il dit qu’il a eu, en psychanalyse, une jeune fille de 14 ans qui faisait état d’une plainte abdominale et qu’il diagnostiqua comme hystérique avérée. Déclarée guérie mais toujours porteuse de la même plainte, elle devait mourir deux mois plus tard avec un diagnostic de « sarcome des glandes abdominale ». Freud affirme alors que d’une part l’hystérie avait utilisé la douleur comme cause déclenchante et d’autre part que l’hystérie l’avait empêché de voir la maladie.[14] Son analyse d’Emma Eckstein, après l’opération nasale de Fliess est de la même rigueur. Il affirme, sans preuve, que les hémorragies nasales sont bien connues chez les masturbatrices[15], qu’elles sont une manifestation hystérique, alors qu’elles résultent de l’oubli d’une compresse par Fliess qui avait réalisé son opération de la cloison pour supprimer les masturbations ! ! Dans le cas Dora, commentée dans toutes les formations psychanalytiques, on lui signale une perte de connaissance, après une discussion avec son père (p.14), aussitôt : « je crois que lors de cette crise, on put aussi observer des convulsions et un état délirant. Mais l’analyse n’ayant pas pénétré jusqu’à cet événement, je ne sais rien de certain là-dessus. » Dora est atteinte de difficultés respiratoire, c’est nerveux, de toux, c’est nerveux, une aphonie, c’est nerveux, aucune autre hypothèse n’est offerte (p.13).
Ce primarisme fut parfaitement traduit par Wittgenstein : –« Freud a rendu un mauvais service avec ses pseudo-explications fantastiques. N’importe quel âne a maintenant ces images sous la main pour expliquer, grâce à elles, des phénomènes pathologiques ».[16].D’autres ont dû passer par la dure épreuve de leur propre expérience et de celle d’autrui enrichie par la fréquentation des adeptes. Judith Rapoport estime qu'au début, « quelques figures étaient titanesques », mais qu’il y eut une chute en qualité : « à partir des années 50, la majorité de ceux qui entraient dans ce cadre avaient un Q.I. de 40 points inférieurs à celui de leurs prédécesseurs. » Et elle poursuivait : « une des raisons pour lesquelles les gens brillants abandonnent la psychanalyse est que vous êtes cérébralement mort à la fin du premier jour. Vous ne pouvez simplement pas supporter d’entendre des gens dire la même chose depuis 40 ans. Si vous voulez cela vous n’avez qu’à aller à l’église. »[17] Cette primarisation de la pensée a été dénoncée par Hannah Arendt :–« Le totalitarisme, une fois au pouvoir, remplace invariablement tous les vrais talents …par ces illuminés et ces imbéciles dont le manque d’intelligence et d’esprit créateur reste la meilleure garantie de leur loyauté. »[18]
Outre le niveau du QI dont parle Rapoport, rappelons les mots mêmes du maître à Binswanger : « Enfin ma cinquième question : ’’pourquoi, parmi les psychanalystes, certains avaient des allures extravagantes’’ ? » –il répondit : « J’ai toujours pensé que ce seraient les porcs et les spéculateurs qui se jetteraient en premier sur ma doctrine. »[19]
Freud voyait loin. Aujourd’hui, la France, toujours plus ardente aux expériences extrêmes, est envahie par l’immense armée des gueux autoproclamant l’avènement du lacanisme, renouant avec ’’l’escholier limosin qui contrefesoit le langaige françoys ’’, et qui, agitant la crécelle du désir, ont fait du vide intellectuel arrogant et du néant thérapeutique l’essence de leur art.
Heidegger, dont Lacan avait cherché vainement à susciter l’intérêt, disait que Lacan était un psychiatre qui avait besoin d’un psychiatre.
LA REVENDICATION D’UN CREATEUR D’UNE SCIENCE NATURELLE
ET D’UNE THERAPEUTIQUE DEFINITIVE
L’analyse épistémologique se doit évidemment de mettre en évidence la construction de la théorie au plus près de la réalité empirique, du matériel même sur lequel s’appuie et se fonde Freud. En effet s’en prendre d’emblée ou exclusivement au système, sans tenir compte des faits, serait faire la part trop belle à la critique puisqu’une partie de la théorie occupe le domaine de ce que Freud avait appelé la métapsychologie. Persister dans cette voie conduirait à s’ensevelir dans les nuées. Cette singularité est parfaitement illustrée par la travail de Ricœur, qui, chaussant les lunettes de Kant, nous fait croire qu’il fera l’analytique d’une science qui aurait les mérites que la mécanique rationnelle avait pour son prédécesseur. C’est pourquoi la réflexion de Ricœur atteint un niveau d’irréalité grandiose, d’autant qu’il appelle, par un glissement sémantique pervers, « épistémologie », une réflexion abstraite sur une doctrine qui pourrait être aussi bien la construction d’un Rousseau ou d’un Fichte.
Freud a affirmé avec force que son champ exclusif d’investigation était la relation psychanalytique[20], il rejeta d’autres méthodes, comme celle des tests, parce qu’inutiles. Il considérait que « la richesse des observations fiables sur lesquelles les affirmations de la psychanalyse reposent les rendent indépendantes de vérifications expérimentales. »[21] Freud s’est présenté essentiellement comme un scientifique et un thérapeute, aux sens les plus parfaitement entendus par les milieux professionnels. Dans le premier cas, il présente la psychanalyse comme « une science empirique »[22], voire, « une science spécialisée »[23], « une partie de la science de l’esprit, la psychologie »[24], donc « une science naturelle »[25], dans le second comme « une discipline médicale »[26], ou « une procédure thérapeutique ». Freud a prétendu qu’il avait créé une nouvelle science et il revendiqua pour la psychanalyse ce titre à plusieurs reprises. Il va, dit-il, même faire profiter la psychiatrie de sa construction : « La psychanalyse veut donner à la psychiatrie la base scientifique qui lui manque. »[27]
Il a toujours proclamé que la psychanalyse était analogue aux autres sciences, dans la mesure où elle atteignait une vérité objective, établie par une méthode rigoureuse d’observation : « J’ai toujours éprouvé comme une injustice grossière le fait qu’on ne voulût pas traiter la psychanalyse à l’instar de n’importe quelle autre science de la nature »[28]. Dans un des derniers textes qu’il ait écrit[29], il affirme que « La psychanalyse fait partie de la science mentale qu’est la psychologie ». Donc, c’est « une science naturelle ». La psychanalyse est une science empirique... Elle est toujours incomplète et se trouve toujours prête à corriger ou à modifier ses théories. »[30].La psychanalyse est la science de « l’esprit inconscient ».[31]
Or Freud travailla conjointement à une œuvre thérapeutique et théorique. « Au départ, le seul objet de la psychanalyse était la compréhension et l’amélioration des symptômes névrotiques »[32].
Il lui arriva de faire prévaloir tour à tour l’une de ces dimensions sur l’autre : « Une psychanalyse n’est pas une recherche scientifique impartiale mais un acte thérapeutique, elle ne cherche pas, par essence, à prouver mais à modifier quelque chose »[33]. Il lui arriva d’inverser le sens de ces relations et de ne voir dans la relation thérapeutique qu’un moyen d’investigation théorique. Il écrit à Ferenczi : « les patients ne sont bons qu’à nous faire vivre et ils sont du matériel pour apprendre. Nous ne pouvons pas les aider ». « J’ai dit souvent que je tiens la signification scientifique de l’analyse pour plus importante que sa signification médicale et, dans la thérapeutique, son action de masse par l’explication et l’exposition des erreurs pour plus efficaces que la guérison des personnes isolées ».[34]
Le 28 mai 1911, Freud écrit à Binswanger : « Une vieille blague courante chez nous : on appelle la cure psychanalytique ’’un blanchissement de nègre’’. Pas tout à fait à tort si nous nous élevons au-dessus du niveau reconnu de la médecine interne. Je me console souvent en me disant que si nous sommes si peu performants au niveau thérapeutique, nous apprenons au moins pourquoi on ne peut pas l’être davantage. Dans cet esprit, notre thérapie me semble être la seule rationnelle ». Bref l’important n’est pas de guérir mais de comprendre et nous sommes les seuls à le faire ; et la sortie par la réussite théorique est une constante.
Enfin, à cela il convient d’ajouter le cynisme.
H.Arendt (système totalitaire, p.109 sq.) a bien analysé le « mélange de crédulité et de cynisme » caractérisant les esprits engagés dans l’entreprise totalitaire. « Un mélange de crédulité et de cynisme prévaut à tous les échelons des mouvements totalitaires, et plus l’échelon est élevé et plus le cynisme l’emporte sur la crédulité » (ibid, p.110). « La fausseté et le mensonge, connus aux plus hauts niveaux, pour s’imposer aux autres comme vérités incontestables exigent la croyance absolue au chef identifié à la vérité. Les sympathisants croient sincèrement les paroles du chef mais les membres du parti ne croient jamais les déclarations officielles » (ibid, p.111). A l’affirmation de la propagande, selon laquelle tous les événements sont scientifiquement prévisibles selon les lois de la nature, « l’organisation totalitaire ajoute la position d’un homme unique qui a monopolisé cette connaissance et dont la première qualité est qu’il a toujours eu raison et qu’il aura toujours raison. » (ibid, p.111).
« Une autre fois », écrit Binswanger à propos de Sigmund Freud[35], « je lui ai demandé en quels termes il était avec ses patients ». Réponse : ’’Je leur tordrais bien le cou, à tous’’. « Les patients c’est de la racaille », déclara Freud à Ferenczi[36], et Freud ajouta « les patients ne sont bons qu’à nous faire vivre et ils sont le matériel pour apprendre, nous ne pouvons les aider ». Ferenczi conclut : « C’est du nihilisme thérapeutique et, malgré cela, par la dissimulation de ces doutes et l’éveil d’espoirs, des patients se laissent prendre ».
On peut même aller au-delà et stigmatiser le malade. Le diagnostic médical devient synonyme de stigmatisation. Dostoïevski fut un antisémite, un barbare décadent, un esprit faible (’’geringere Geister’’), masochiste et homosexuel latent, « névrosé, moraliste et pécheur », témoignant d’une sympathie « sans limite » pour les criminels ; et ses soi-disant crises comitiales, symptômes de l’hystérie, ne peuvent être comprises que par la science freudienne, pure et civilisée.
Un tel traitement débouchant sur la condamnation morale suscitait l’indignation de Karl Kraus : –« La psychanalyse est une passion non une science. Il lui manque la fermeté de l’investigateur. En fait, c’est précisément ce défaut qui singularise le psychanalyste. Il aime et déteste son patient, il envie sa liberté et son pouvoir et son affaire est de ramener ses forces au niveau de sa propre faiblesse. Elle affirme que l’artiste sublime un défaut parce qu’il se sent incapable. La psychanalyse est, en réalité, un acte de revanche par lequel l’infériorité du psychanalyste est transformée en supériorité. Le patient tend naturellement à se soumettre au médecin. C’est pourquoi, aujourd’hui, n’importe quel idiot veut traiter son génie. Peu importe comment le médecin s’efforce d’expliquer le génie, tout ce qu’il arrive à faire est de montrer qu’il en est dépourvu ».[37]
LA REVELATION ORIGINELLE DES CONCEPTS : L’AUTO ANALYSE
Les vérités de la psychanalyse ne résultent pas d’une opération intellectuelle mais d’une révélation qui apparaît à l’esprit libéré. L’autoanalyse est un rituel d’initiation individuel au cours duquel l’âme se libère des voiles qui entravaient sa vision. C’est, selon Gellner, la quintessence du freudisme.[38] La psychanalyse ne se livre pas à la recherche de relations conceptuelles forgées par le progrès de l’intelligence mais à un dévoilement. La génération spontanée régénérée par la psychologie. La nouvelle théorie surgie définitivement prouvée et de portée universelle de l’auto-analyse.
Les assertions psychanalytiques sont le produit d’une illumination originelle indépendante de l’observation objective. Les faits ne résultent ni de la clinique ni d’un approfondissement méthodique et critique mais d’une appréhension subjective identique à une révélation religieuse. C’est ce dogmatisme subjectif auquel on se réfère comme une autoanalyse.[39]
Comment a-t-il obtenu ce savoir ? Par « auto illumination » (Svedenborg)[40]
Mais cette révélation demandait un héroïsme sans précédent, dénoncer les interdits du milieu social pesant sur la manifestation de la vérité, lever les résistances. De ce fait, la psychanalyse est une entreprise de libération. Freud a révélé non ce qui était caché mais ce qu’on cachait, ce que des années de censure puritaine avait dissimulé. « La populace [affirma H.Arendt[41], qui y voyait la cible du totalitarisme], croyait réellement que la vérité était tout ce que la société respectable avait hypocritement passé sous silence, ou couvert par la corruption ». « Et, précise-t-elle, tout ce qui était caché devenait hautement significatif, sans considération d’importance intrinsèque. »
Paul Ricœur a prétendu que Nietzsche, Marx et Freud avaient en commun la conviction qu’il fallait détruire la conscience fausse « pour un nouveau règne de la vérité ».[42] Là où Ricœur sombre dans la confusion, c’est quand il qualifie ces entreprises de « science », précisément de « science médiate du sens ».[43] Cette inconséquence livre tout ce qu’elle a de redoutable quand, quelques pages plus loin, voilà nos trois compagnons associés à « la leçon de Spinoza »[44].La libération du dernier était celle qui débouchait sur l’illumination de la raison, les victimes des trois autres pourraient témoigner de ce qu’il advint de la promesse d’une libération de la raison opérée par nos trois imposteurs modernes.[45]
La transposition logique conduit à prétendre que Freud aurait découvert des vérités incontestables en utilisant une méthode dont il fit profiter le reste du monde. C’est bien la même méthode, mais c’est celle de l’arbitraire absolu, de la folle du logis, faite de révélations qui témoignent non d’un caractère scientifique mais de la richesse fantasmatique de Freud, de sa dextérité rhétorique et des traits remarquables de sa personnalité narcissique et mythomane au service d’une intelligence verbale qui devait être élevée. « Je ne suis en réalité pas du tout un homme de science[46], pas un observateur, pas un expérimentateur, pas un penseur. Je ne suis par tempérament rien d’autre qu’un conquistador — un aventurier, si tu préfères — avec toute la curiosité, l’audace, et la ténacité caractéristiques d’un homme de cette trempe. De tels individus ne sont habituellement estimés que s’ils ont réussi, ont découvert quelque chose, sinon ils sont abandonnés sur le bord du chemin… pour le moment, la chance m’a abandonné et je ne découvre rien qui vaille ».[47] Les identifications qu’il a présentées, durant sa longue vie, sont innombrables : depuis les divinités comme Zeus aux héros comme Moïse, Joseph, Xerxès, Alexandre le Grand, Hannibal, Léonard de Vinci, Nansen, Cromwell, Napoléon, Bismarck, Copernic, Kepler, Newton, Darwin, Guillaume le Conquérant, Danton, Garibaldi, Stanley.[48]
Léon Brunschvicg[49] évoquait « la nécessité psychologique qui fait que le soit-disant prophète ne peut emprunter sa figuration de l’avenir qu’aux ombres du passé ». Il opposait « le positivisme de raison » au « positivisme d’Église fondé tout entier sur le sentiment de confiance qu’un homme éprouve (et fait partager) dans la valeur unique de sa pensée et où il puise l’illusion de pouvoir créer la méthode et dicter à l’avance les résultats des disciplines qui ne sont pas encore constituées à l’état de science. »
C’est à dire que chez Freud les connaissances fondamentales résultent d’abord et exclusivement d’une auto persuasion qui se développe dans le cadre d’un délire de fabulation. C’est son confident Fliess qui prit le risque de la rupture en allant au cœur du problème : « Le lecteur de pensées lit simplement ses propres pensées dans celles des autres »[50] et, l’on pourrait ajouter, inversement, celles des autres dans les siennes. Josef Breuer disait en 1907 de son confrère « Freud est un homme aux formulations absolues et exclusives. C’est un besoin psychologique qui, pour moi, conduit à des généralisations excessives ».[51]
LA REVELATION DU COMPLEXE D’ŒDIPE
La première publication où apparaît le « complexe d’Œdipe » est « L’Interprétation des Rêves », terminée en 1899.[52] Il est question longuement de la tragédie de Sophocle. Les lettres à Fliess nous apprennent que cette idée, Freud a commencé à se l’appliquer à lui-même. Dans la lettre à Fliess où il renonce à la séduction (21/9/1897), il évoque « une solution possible que le fantasme sexuel se joue toujours autour du thème des parent ». Mais c’est au travers de trois lettres du mois d’octobre (3, 4 et 15) de la même année (1897) que nous découvrons les bases de la nouvelle construction. Freud se livre à ce qu’il appelle son ’’autoanalyse’’. Au départ Fliess a fait part à Freud d’une observation concernant son fils, né en décembre 1895. Il s’agissait d’une érection de l’enfant en présence de sa mère. Peut-être a-t-il audacieusement établi un rapport de cause à effet[53]. Freud flambe à cette constatation et reconstruit un événement qui aurait du se produire, alors, qu’à 2 ans et demi, il fit un voyage avec sa mère de Leipzig à Vienne[54], c’est à dire avoir vu sa mère nue. Douze jours plus tard, le 15 octobre, la construction est accomplie : « J’ai découvert en moi, aussi, un amour porté à ma mère et de la jalousie envers mon père. Je considère, à présent, qu’il s’agit d’un événement universel, au cours de la petite enfance ». On notera, le « aussi », que la traduction française rend par « partout ailleurs » et « événement universel ». Ricœur, avec sa foi naïve, ne dissimule pas son enthousiasme, devant « le caractère fulgurant de la découverte de l’Œdipe, atteint d’un seul coup et en bloc, comme un drame individuel et comme un destin collectif de l’humanité. »[55]
Cette auto-analyse atteint des niveaux proprement étonnants d’investigation. En témoigne une lettre à Fliess du 8-2-1897[56]. Cette lettre est caviardée dans la première édition pour des raisons qui peuvent jeter des doutes sur le caractère objectif de telles découvertes. « Le mal de tête hystérique, avec les sensations de pression sur le sommet du crane, les tempes, etc. est caractéristique des scènes où la tête est tenue immobile aux fins d’actions dans la bouche (de là le refus à l’exigence des photographes à maintenir la tête sur un support). Malheureusement, mon propre père était un de ces pervers et il est responsable de l’hystérie de mon frère (dont tous les symptômes sont des identifications) et de celles de plusieurs de mes jeunes sœurs. La fréquence de cette circonstance fait mon étonnement ». Ou bien la séduction précoce, bien évidemment ici non induite par les malades, est une preuve du caractère irréfutable de la méthode dite auto analyse ou bien il faut douter de la véracité des autres révélations.
LES FAITS ORIGINELS SONT DEDUITS DE LA THEORIE
La construction, en psychanalyse, est celle d’un policier malhonnête qui dissimule les pièces à conviction dans le domicile du suspect. Dans cette analyse si singulière du « petit Hans » , Freud énonce clairement sa méthode : « Au cours d’une psychanalyse, le médecin donne toujours au malade, dans une mesure plus ou moins grande selon les cas, les représentations conscientes anticipées à l’aide desquelles il sera à même de reconnaître et de saisir ce qui est inconscient »[57].
Dans un envoi à Fliess, de 1893[58] il précise sa règle : –« Décris, par anticipation, le résultat tel qu’il est vraiment. » Ricœur estime « qu’à proprement parler, il n’existe pas de faits en psychanalyse, car l’analyste n’observe pas, il interprète ». En réalité, il s’agit de bien autre chose. On ne peut pas dire que la psychanalyse se singularise parce qu’elle construit ses faits de départ. La perception est elle-même une appréhension de la réalité au travers de cadres préalables et il ne convient pas d’opposer, comme le fait la philosophie empirique, le fait pur au fait élaboré. La particularité méthodologique de la psychanalyse est ailleurs. Elle réside dans son traitement rétroactif des faits.
Le fait en psychanalyse n’est pas l’observé mais ce qui est déduit de la théorie, le psychanalyste n’écoute pas il écoute, ou voit, ce qu’il a déjà interprété. Pour corriger Ricœur, le psychanalyste n’interprète pas, il a déjà interprété. La science expérimentale part du fait de départ et va aux faits d’arrivée au travers du passage obligé par l’hypothèse. Le fait de départ est bien sûr perçu, c’est à dire inséré, dans un schéma préalable et nous savons que le fait brut est lui même appréhendé au travers d’un schéma. Ce qui singularise Freud c’est que le fait d’arrivée constitue le fait de départ. Contrairement à la méthode de Sherlok Holmes, qu’il revendique comme sienne, Freud sait, avant de commencer, quels sont les faits de départ qui vont favoriser sa théorie. Il ne les cherche pas, il les a déjà trouvés (cf. Holmes : « je les ai trouvés, Watson, parce que je les cherchais »).
Comme le dit H. Arendt[59], les chefs d’un parti totalitaire « vont plier la réalité à leurs mensonge… la propagande se distingue par un mépris radical pour les faits…les faits dépendent entièrement du pouvoir de celui qui peut les fabriquer. »
Dans une lettre à Jung[60], Freud accorde qu’on peut utiliser les mythes, encore faut-il les élaborer avant de les intégrer. Par exemple, « la création d’Ève a quelque chose de tout à fait particulier et singulier — Rank m’a dernièrement rendu attentif au fait que dans le mythe cela aurait pu facilement s’énoncer autrement. Alors la chose serait claire, Ève serait la mère dont naît Adam, et nous nous trouverions devant l’inceste maternel qui nous est familier. » Voici donc le fait d’arrivée devenu le fait de départ, ce qui confirme le complexe d’Œdipe.
La lecture d’Œdipe Roi de Sophocle ou celle d’Hamlet procèdent de la même manipulation. Car Œdipe tue un homme et il apprend, ensuite, qu’il s’agit de son père, tout comme il ignore que celle qu’il a épousé est sa mère. Pour y voir la confirmation de l’Œdipe, il faut affirmer que ces ignorances résultent d’un refoulement, donc de supposer, auparavant, ce que Freud nomme le complexe d’Œdipe.[61] Le personnage d’Hamlet est soumis au même régime : Hamlet peut agir mais il ne saurait se venger d’un homme qui a écarté son père et pris la place de celui-ci auprès de sa mère, d’un homme qui a réalisé les désirs refoulés de son enfance. Mais Hamlet veut tuer le mari de sa mère et non son père, le premier est un meurtrier la seconde adultérine. A cette critique, on opposera avec force, la naïveté insupportable de celui qui n’est pas psychanalysé, c’est à dire de quelqu’un qui ne procède pas à la manipulation le plus naturellement du monde.
Dans sa préface à la 4ème édition des ’’Trois essais sur la théorie de la sexualité’’[62] on comprend ce qu’il entend par une ’’observation directe’’. Il affirme que « si l’espèce humaine avait été capable d’apprendre à partir de l’observation directe des enfants, ces trois essais n’auraient jamais été écrits. Il importe dit-il que l’observateur ait une formation psychanalytique.
Par exemple, que se passe t-il au début du traitement ?[63]
« De même que les premières résistances, les premiers symptômes, les premiers actes fortuits des patients peuvent susciter un intérêt particulier parce qu’ils trahissent les complexes régissant la névrose. Lors de la première séance, un jeune et spirituel philosophe aux goûts artistiques exquis se hâte d’arranger le pli de son pantalon. Je constatai que ce jeune homme était un coprophile des plus raffinés, comme il fallait s’y attendre dans le cas de ce futur esthète. Une jeune fille, en s’allongeant, se dépêche de recouvrir de sa jupe ses chevilles visibles, révélant ainsi ce que l’analyse ne tarde pas à découvrir ; ses tendances exhibitionnistes et la fierté narcissique que lui inspire sa beauté corporelle »[64]
Dans la traduction anglaise (Collected Papers) on lit « he reveals himself as an erstwhile coprophiliac of the highest refinement, as was to be expected of the developed aesthete »[65] Dans la Standard Edition, on lit « he is revealing himself as a former coprophilic of the highest refinement-which was to expected from the later aesthete »[66] Ici Freud fait l’interprétation au moment même où il s’allonge (forme progressive) et dans la traduction anglaise il le fait au présent (he reveals) alors qu’en français le passé simple permet l’ambiguïté sur le moment où l’interprétation est faite. Mais dans le texte allemand on trouve le verbe au présent : « er erweist sich als dereinstiger Koprophile von höchstem Raffinement, wie es für den spärten Ästheten zu erwarten stand ».
« Les femmes, que les événements de leur vie passée ont préparées à une agression sexuelle, ou les hommes à très forte homosexualité refoulée seront, entre tous les patients, les plus enclins à arguer, dans l’analyse, d’un manque d’idées » (id.trd.fr.p.98). D’emblée l’interprétation est faite et pénètre le symptôme : « Une attaque de diarrhée au commencement d’une analyse, annonce le sujet important de l’argent ».[67]
LES REGLES D’UNE MENTALITE PRIMITIVE
Freud reconnut que « la psychanalyse est comme le Dieu de l’Ancien Testament, elle ne peut tolérer qu’il y ait d’autres dieux »[68]. Pour y parvenir, il a immunisé sa construction vis à vis de toute possibilité de critique rationnelle. Il s’agit d’un système qui jouit d’une propriété épistémologique remarquable celle d’être logiquement invérifiable. L’administration de la preuve est rendue impossible car toutes ses propositions sont également vraies ou également fausses. Aucune proposition ne sera de nature a être réfutée, tout fait sera favorable à la théorie, à l’hypothèse de départ Freud n’a jamais énoncé quel était le fait qui pouvait contredire sa théorie. C’est le principe du verrouillage parfait.[69]
La psychanalyse est une construction opérée par Sigmund Freud, qui livre les troubles mentaux à la domination de la compréhension. Sur le plan théorique on est totalement en dehors de la science. Une telle situation résulte de la construction même du système.[70] Sur le plan pratique, il s’agit d’une entreprise de suggestion remarquable dont le but est d’induire chez les autres la conviction que les croyances de Freud sont des vérités établies ou démontrées à valeur universelle. C’est l’exemple même d’une possession spirituelle. Ayant réussi à devenir une véritable dimension culturelle occidentale, la critique de la psychanalyse se heurte à une défense qui est l’expression d’un véritable interdit culturel. Freud nous avait prévenu.
Sur le plan épistémologique, on a multiplié les preuves qui démontrent les faiblesses intrinsèques ; mots mal définis, ou objets de définitions différentes, concept utilisé avec des sens différents (narcissisme, sexualité) et passages d’un sens à un autre pour les besoins de la démonstrations, (fantasmes ou réalité ?) refus d’admettre des vérités scientifiques pour ne pas modifier son système (Lamarck contre Darwin, niant en toute conscience ce qu’il sait de la vérité biologique), extrapolation, passage arbitraire du singulier au général (Œdipe)[71], glissements sémantiques, projection de fantasmes dans un passé historique fabuleux et utilisation d’idées sans en connaître le sens (Totem et Tabou), aberrations logiques (contraires aux canons de Stuart Mill), contradictions patentes, etc…
La méthodologie freudienne jouant des mécanismes de la pensée primitive aboutit aux résultats conformes au désir. Dans « L’Interprétation des Rêves », il met en avant « le renversement » (Verkehung), propre en effet à la pensée primitive.[72] De cette façon une pensée peut se prendre telle qu’elle est ou comme son opposé.
L’identification par le prédicat est aussi fréquente. Le coït est mouvement rythmique, la masturbation est un mouvement rythmique, tout mouvement rythmique est le symbole de l’un comme de l’autre (monter un escalier, monter une échelle, se gratter, claudiquer, etc.). Ce mode de pensée a été qualifié d’heuristique de la représentation.[73] Il s’agit de l’erreur consistant à faire de certains caractères d’un objet des éléments essentiels à la définition de la catégorie à laquelle il appartient. La baleine nage, le thon nage, on identifie la baleine et le thon dans la catégorie des poissons et non dans la catégorie de ce qui nage.
Le symbolisme règne en maître et le signifiant s’associe au signifié par affinité thématique (meaning connexions). De telles connexions sont identifiées par Freud à des rapports de causalité : le chapeau renvoie au phallus. Cette erreur a été stigmatisée par Stuart Mill, elle consiste à croire que les causes d’un phénomène doivent ressembler à ce phénomène. Comment ne pas évoquer ce passage de Bouvard et Pécuchet (IV), de Gustave Flaubert (mort en 1880) : « Anciennement, les tours, les pyramides, les cierges, les bornes, les routes, et même les arbres avaient la signification de phallus, et pour Bouvard et Pécuchet, tout devint phallus. Ils recueillirent des palonniers de voiture, des jambes de fauteuil, des verrous de cave, des pilons de pharmaciens. Quand on venait les voir, ils demandaient: ’’A qui trouvez-vous que cela ressemble ?’’ Puis confiaient le mystère, et, si l’on se récriait, ils levaient de pitié les épaules. »
Qu’il s’agisse d’associations ou de symbolique, Freud a toujours eu la certitude qu’il découvrait la cause et, selon lui, la psychanalyse ne saurait se passer de cette révélation[74].
Freud s’est défendu d’utiliser, dans une très large mesure, la relation symbolique. Dans ses premiers travaux sur l’hystérie, il oppose le déterminisme associatif et le déterminisme symbolique. Dans les rêves[75], il reconnaît, d’une part, que sans la symbolique, il est difficile d’interpréter un rêve et, en même temps, il met « en garde contre la tendance à surestimer l’importance des symboles, à abandonner l’utilisation des idées qui se présentent à l’esprit du rêveur pendant l’analyse ». Il ajoute que si les deux techniques doivent se compléter, l’association des idées est primordiale et l’autre « n’intervient qu’à titre auxiliaire »(ibid.).
Freud a consacré le chapitre X de ’’l’Introduction à la Psychanalyse’’ à l’étude du symbolisme dans le rêve. Il nous dit que lorsque la libre association « se trouve en défaut », sans doute quand elle ne convient pas à la théorie, on peut y suppléer par la symbolique. C’est alors qu’on a l’impression d’obtenir un sens satisfaisant » (p.166). De telles affirmations sont des déclarations d’intention mais toute la méthode de Freud consiste effectivement à manipuler le libre jeu des associations[76]. Freud sait toujours et parfaitement à quoi doit aboutir: sa symbolique. Dans la quasi totalité des cas, on débouche sur une signification sexuelle, et les associations d’idées soit sont manipulées à cette fin, soit sont interprétées selon ce principe. Freud insiste sur le rôle joué par son expérience qui lui fait se passer de l’association des idées: « On s’aperçoit qu’il s’agit d’interprétations qu’on aurait pu obtenir en se basant uniquement sur ce qu’on sait soi-même et que pour les comprendre on n’avait pas besoin de recourir aux souvenirs du rêveur »[77]. Depuis Freud, ce procédé s’est généralisé dans ce qu’on pourrait appeler la vulgate psychanalytique. L’analyse du sujet, si jamais elle a lieu, ne servira qu’à confirmer ce que la lecture symbolique élémentaire, désormais irréfutable, nous fournit d’emblée. C’est ainsi que dans la dysgraphie, on va greffer une signification ’’kit’’, toute montée, grâce à laquelle « la signification symbolique de l’écrit et du crayon pris en main deviennent prévalant »[78].
La symbolique — dont William James affirmait : « En ce qui me concerne, je ne peux rien faire de ces théories des rêves et de toute évidence le symbolisme est une méthode très dangereuse » (A Most Dangerous Method)[79] — autorise de multiples interprétations. Freud en était conscient mais sous la pression de ses disciples, dont Steckel et Jung mais également de sa propre technique et orientation, il finit par imaginer qu’il trouvait dans l’histoire des mythes et des religions, comme dans une théorie linguistique, très aventureuse, des confirmations à l’universalité de sa propre symbolique.
Freud finit par fonder cette symbolique sur le langage selon des racines qu’il estimait universelles. Cette symbolique, Freud affirme que le rêveur l’utilise mais que sa connaissance est inconsciente[80]. Il faut chercher son origine dans le sens primitif des mots[81], dans « une langue fondamentale »[82]. De nombreuses racines se seraient ainsi formées, à l’origine, à signification sexuelle mais ayant fini par la perdre : « Les mythes ont également une origine sexuelle. Les mythes sont les rêves d’un peuple ».[83] Dès lors le symbolisme est fondé « sur la pensée archaïque universelle, folklore, mythes, religions, langage »[84].
En tant que tel un symbole peut avoir totalement perdu sa signification. Un pin dans les cimetières, symbole d’immortalité ? symbole d’érection phallique ? Même si historiquement le premier sens est le plus certain, le psychanalyste ne va-t-il pas dire que le vrai se cache derrière, c’est à dire le sexuel ? puisque le symbole cache de toute façon sa vérité à la conscience. La conscience dit immortalité et l’inconscient proclame phallus. Mais si on peut tout voir dans les symboles, comment peuvent-ils encore être saisis ? De toute évidence, nous n’en avons plus conscience. Si Freud affirme qu’ils sont vivants dans l’inconscient, c’est qu’il croit à l’hérédité des caractères acquis.
Cette pensée primitive a eu pour effet d’engendrer des commentaires spontanés déniant à Freud la découverte d’une réalité cachée parce que claire à beaucoup de ses lecteurs. Webster cite, à cette occasion, Wittgenstein notant que les rêves à contenus sexuels lui sont « aussi communs que la pluie », Orwell déclarant : « Pourquoi pensait-il rêver de pêche pour le sexe alors que j’y pense en veillant ? », H.Gompertz qui, s’offrant à l’interprétation de ses propres rêves, constate que Freud découvre tout ce qui lui est parfaitement connu.[85]
C’est évidemment la propriété de cette pensée primitive d’engendrer des phénomènes observables, symptômes, rêves, jeux d’esprits, comportements, etc. qui posent problème, problème qui est au cœur de « l’interprétation » (Deutung) . Or interpréter, c’est donner un « sens » (Bedeutung). Interpréter un rêve, c’est lui donner un sens, c’est à dire « le remplacer par quelque chose qui peut s’insérer dans la chaîne de nos actions psychologiques, chaînon important semblables à d’autres et d’égale valeur »[86] En effet il ne peut s’agir que du rationnel. Qui s’exprime tout à la fois dans les moyens qui permettent l’interprétation et dans la véracité du passage du contenu inconscient à la réalité manifeste. Comme l’écrit Laplanche, « l’interprétation est au cœur de la doctrine et de la technique freudienne. On pourrait caractériser la psychanalyse par l’interprétation ».
Dans l’introduction à son livre « Les Progrès de la Conscience dans la philosophie occidentale », Léon Brunschvicg définit ce qu’est pour la philosophie l’opposition entre l’homme venant d’occident et celui venant d’orient : « Un homme qui, n’ayant d’autre intérêt que le vrai, s’appuie à l’intellectualité croissante d’un savoir scientifique pour s’efforcer de satisfaire l’exigence d’un jugement droit et sincère ; l’autre qui s’adresse à l’imagination et à l’opinion, se donnant toute licence pour multiplier les fictions poétiques, les analogies symboliques et leur conférer l’apparence grave de mythes religieux » [p. viii].
SEJOUR SUR LE DIVAN OU LA POSSESSION D’UN ESPRIT
La suggestion hypnotique est le paradigme fondateur de la psychanalyse, elle a poursuivi Freud jusqu’à sa fin et il s’est laissé finalement à dire : « Rien n’a pu jusqu’ici remplacer l’hypnose »[87] et ce, en 1937, alors qu’il avait 80 ans. Freud a, toute sa vie durant, repris le récit d’une expérience de suggestion post-hypnotique qu’il avait vu chez Bernheim, à Nancy, en 1889[88]. Dans un livre que la mort ne lui permit pas d’achever, il y revient.[89] Le médecin entre, pose son parapluie dans la pièce, hypnotise un malade et lui dit : « Je vais sortir maintenant, quand je reviendrai, vous viendrez à ma rencontre avec le parapluie ouvert et vous le tiendrez au-dessus de ma tête ». Le médecin extrait alors le malade de l’hypnose. Le malade à l’entrée du médecin fait exactement ce qu’il avait ordonné. Quand le médecin lui demande pourquoi il agit ainsi, il lui répond, manifestement embarrassé, « Je pensais seulement, docteur, qu’il pleuvait dehors et que vous pourriez ouvrir votre parapluie dans la pièce avant de sortir »[90]. Freud commente en disant que le témoin d’une telle observation ne l’oubliera jamais et que nous avons ici la preuve expérimentale que des actes inconscients mentaux existent et que la conscience n’est pas une condition indispensable à notre activité. Il est clair que le malade dit ignorer les motifs exacts de son acte. Par contre les témoins les connaissent « alors que lui-même ne sait rien de la réalité qui agit en lui ».
La psychanalyse a deux buts, faire admettre au sujet le sens de ses actions et faire disparaître les symptômes. Freud estime que le second procède du premier. La condition nécessaire de la marche de la psychanalyse, ce que Grünbaum appelle l’argument d’adéquation (Tally Argument), a été parfaitement énoncé dans ’’L’Introduction à la Psychanalyse’’, au chapitre 28[91], où parlant du patient, Freud affirme : « La solution de ses conflits et la suppression de ses résistances ne réussit que lorsqu’on lui a donné des idées, convenant à son attente, et qui chez lui coïncident avec la réalité ». La psychanalyse prétend donc donner la vraie explication au sujet, ce qui coïncide avec la réalité, et c’est pour cette raison qu’elle réussit.
Après avoir découvert le sens d’une action, il faut faire admettre ce sens à ce patient. C’est ce que Freud prétend faire. Il n’en est rien, ce que le psychanalyste veut ce sont des aveux, obtenus par quelqu’un qui sait, avant toute enquête, ce qui doit être, auprès de quelqu’un qui refuse d’admettre ce que l’autre veut qui soit. Comme nous le savons, cette résistance devient la preuve du refoulement. On est exactement dans les procès bolcheviques. Il faut absolument persuader l’autre d’admettre une vérité dans l’intérêt du système dont il fait partie grâce au transfert. Tout le sens de la technique est là. Freud procède par « association libre » (la règle fondamentale : dire tout ce qui passe par l’esprit) et interprétation symbolique.
Il suffit de lire les quelques observations reportées par Freud pour s’apercevoir qu’il guide l’association des idées, en prétendant toujours qu’il y a encore quelque chose à découvrir, en orientant le sujet vers ce que le psychanalyste attend, si besoin en lui fournissant le sens symbolique de son contenu. On va donc du symbole à l’association libre et de l’association libre orientée et guidée au symbole.
Tout le système de persuasion va donc s’opérer dans le cadre du transfert, relation présente avec l’analyste, écran, peut être, mais écran actif, et interactif. Le transfert se définit comme une lutte pour le pouvoir, « champ de bataille sur lequel doivent se heurter toutes les forces en présence »[92] Toute sa vie, Freud est revenu sur le problème de la suggestion, pour la récuser, pour s’en défendre et pour finalement l’admettre : « Les résultats de la psychanalyse se fondent sur la suggestion » , mais ajoute-t-il « dans le cadre du transfert », ce qui veut dire que le sujet est en face d’une interprétation vraie et qu’il voit la disparition des symptômes. C’est une suggestion, oui, mais, par bonheur, la suggestion de la vérité. Il admet aussi que « les patients eux-mêmes sont faciles à convaincre ; il n’y a que trop d’occasions de le faire au cours du traitement. Mes clients sont des malades et de ce fait irrationnels et suggestibles ».[93] A l’époque où il croyait à la séduction par un adulte, il disait obtenir l’aveu grâce à « une très forte contrainte » (durch den stärksten Zwang).
Le transfert est la relation même qui conduit le récepteur, cérébralement vidé de toute possibilité de réflexion rationnelle et soumis au maître, à partager l’idée que lui offre l’analyste doté de la connaissance parfaite et infaillible. L’isolement cognitif et affectif livre le disciple au maître. C’est ainsi que se présente le chef d’un totalitarisme : « Le chef est infaillible, il ne commet pas d’erreur, il a toujours raison »[94].
Contredire, c’est résister et résister demande expressément une psychanalyse et seule une psychanalyse réussie fait cesser toute opposition. Il est hors de doute que le critère de réussite d’une psychanalyse est l’obtention de l’accord parfait. C’est-à-dire que la notion théorique de résistance rend totalement impossible une proposition contraire au système, ce qui pourrait s’entendre tout aussi bien comme l’affirmation qu’aucune proposition ne peut être contraire au système ou encore qu’il n’existe aucune proposition qui ne soit déjà contenue dans le système.
Le témoignage de Leo Einsenberg, professeur de psychiatrie de l’enfant à Harvard, n’a donc rien d’original : « Ici, les chaînes étaient à l’intérieur. Pour devenir un chercheur en psychiatrie, vous deviez être psychanalysé et si l’analyse était pratiquée par quelqu’un qui savait que sa théorie était vraie, une des choses qu’il avait faite était de traiter votre scepticisme comme un symptôme ». Et il ajoutait : « De cette façon, il n’y avait pas de moyen de s’en sortir, vous étiez piégé par votre intérêt à faire des recherches de valeur ».[95]
La psychanalyse n’use pas des moyens habituels d’administration de la preuve en raison même de son essence propre qui lui interdit cette voie. Sa transmission à autrui, sa propagation, son acceptation passe nécessairement par une relation duelle au cours de laquelle l’enseignant se mue en maître spirituel et l’enseigné en disciple.[96] Cette relation privilégiée et obligée est centrée sur le transfert qui va du disciple au maître. Sans transfert, pas d’acceptation par un esprit rationnel, bien entendu, du contenu de la doctrine. Au cours du transfert, on va isoler à deux titres le disciple d’une part du fonctionnement de sa raison d’autre part de toute relation sociale autre que celle qu’il entretient avec la maître.
L’isolement du thérapeute et du malade a été loué par certains esprits, par exemple Michel Foucault, qui n’y ont pas saisi une condition nécessaire à la réussite de la manipulation affective.
Pour posséder dans sa totalité un esprit il convient de le vider, de le séparer de toute attache qui réduirait et rendrait impossible l’œuvre de possession. H. Arendt considérait que le totalitarisme avait besoin d’individus isolés et acculturés : « Le principe caractéristique de l’homme de masse n’est pas la brutalité ou le retard mental mais l’isolement et le manque de rapports sociaux normaux ». « L’atomisation sociale et l’individualisation extrême précèdent les mouvements de masse ». Elle continue « le totalitarisme, ce sont des organisations massives d’individus atomisés et isolés »[97]. Hippolyte Taine montrait que le jacobinisme détruisait toute réalité sociale organique : « Entre les individus il ne doit subsister qu’un lien, celui qui les attache au corps social ; tous les autres nous les brisons nous ne souffrons pas d’agrégat particulier ; nous défaisons de notre mieux le plus tenace de tous, la famille ».[98]
Freud isole le sujet, le réduit à sa relation à lui en donnant de la famille une peinture effroyable.
Mais ces deux leviers ne produiraient pas leurs effets si les interprétations données au sujet sur sa vie secrète et ses intentions profondes ne produisaient un bouleversement émotionnel, souvent dramatique, où ses plus sincères attachements balayés, ruinés, vont apparaître comme autant d’illusions forgées par lui-même et destinées à dissimuler ses atroces et odieux désirs d’incestes, de meurtres, d’aberrations sexuelles insupportables, le tout engendrant une culpabilité insoutenable.
Freud trouva dans les pratiques de l’inquisition son modèle thérapeutique « Je rêve ainsi d’une religion du diable extrêmement primitive dont les rites s’exercent en secret et je comprends maintenant la thérapeutique rigoureuse qu'appliquaient les juges aux sorcières. Les liens de connexions ne manquent pas »[99].Freud utilisait les 3 croix pour conjurer le malin[100]. Dès lors l’évidence est manifeste pour Freud : « Pourquoi est-ce que les confessions faites sous la torture, ressemblent tant aux communications faites par nos malades en cours de traitement ? »[101]
Dès lors, le psychanalyste s’offre comme la seule solution à la névrose désespérée qu’elle a engendrée. « Le patient apparaît désorienté, dépendant et avide de trouver une solution réconfortante venant du thérapeute ».[102] Ici encore on voit les effets du concept central de défense, de résistance. On se défend contre des idées inavouables, dont on a honte et la psychanalyse brise les défenses et vous met à nu.
Il s’agit donc d’une entreprise de suggestion où la vérité est imposée au disciple par un rituel initiatique et une manipulation affective jusqu’au terme où la vérité de la psychanalyse est révélée tout à la fois au maître et au disciple dont les existences se renforcent et se justifient. De la sorte le seul moyen permettant de prouver les assertions psychanalytiques est la relation sur le divan qui est elle-même biaisée par Freud qui va suggérer aux sujet ses propres idées pour paraître les retrouver ensuite.
Ce qui nous trompe c’est qu’une fois installée l’idéologie totalitaire n’a plus à prouver sa véracité, elle est admise comme allant de soi, à l’instar des vérités éternelles, et tout doute devient un sacrilège laïque : « Les mouvements totalitaires cessent d’être obsédés par les preuves ’’scientifiques’’ dès qu’ils sont au pouvoir »[103]. Le terme de l’initiation est la fin de la psychanalyse, le moment où l’analysé est devenu lui-même psychanalyste selon les critères définis par les organes détenteur du pouvoir à un certain moment donné et en un lieu donné. La vérité de la psychanalyse est donc confirmée, encore une fois, puisque le disciple est devenu maître.
SEULE FAÇON DE REPONDRE AUX OPPOSANTS : LE DIVAN
Freud a prétendu que s’il avait appliqué à ses critiques la méthode qu’il appliquait à ses malades c’est parce que leur opposition avait la même source et qu’on l’avait mis au « pilori »[104]. La vérité est toute autre. Freud a toujours estimé que sa vérité se dévoilerait à tout un chacun s’il parvenait à éliminer les résistances. Une opposition doit être traitée non comme une opposition fondée sur un contenu logique, demandant une argumentation, mais comme une attaque exigeant une défense dans un rapport relationnel procédural. Dans ’’L’Interprétation des Rêves’’, un rêve échappant à l’explication par le désir est récupéré par le désir de s’opposer à sa théorie.
La Sainte Inquisition permettait la défense de la personne accusée de sorcellerie mais le défenseur ne pouvait être que l’incarnation de la sorcellerie donc son existence même, en tant que défenseur d’un sorcier, confirmait le bien fondé de l’accusation.[105] « Un manuel manuscrit à l’usage des inquisiteurs leur enjoint de poursuivre comme fauteurs d’hérésie les avocats qui accepteraient de défendre des hérétiques »[106] Ce devint « un principe reconnu du droit canonique qu’un avocat d’hérétique devait être suspendu de ses fonctions et noté d’infamie à perpétuité »[107] On comprend l’admiration de Freud pour cette vénérable institution.
Toute opposition extérieure, toute mise en question sera la vérification du système puisque la proposition adverse sera traitée comme l’opposition d’un adversaire qui sera discrédité comme affecté d’incompétence mentale[108] –« Les hommes en général se comportaient à l’égard de la psychanalyse précisément de la même façon que les névrosés en cours de traitement pour leurs troubles... La situation était à la fois alarmante et réconfortante. Alarmante parce que ce n’était pas un mince affaire que d’avoir tout le genre humain comme patient et réconfortante parce tout se réalisait après tout comme les prémisses établies par la psychanalyse l’avaient prévu. »[109]
« Nous traitons nos adversaires comme des malades ». Ce qui signifie deux choses.
D’abord, que tout énoncé théorique est intégré à la relation avec l’analyste. Mais, ensuite et par là même, la proposition est intégrée au système totalitaire où une opposition à l’analyste est totalement exclue puisque parfaitement conforme au système. Être en accord ou être en désaccord est parfaitement compatible avec le système. En effet, toute opposition dans ce système est, par essence, une résistance à l’interprétation de l’analyste. Le totalitarisme renferme l’homme tout entier et ne laisse rien en dehors de lui-même. « Les mouvements totalitaires posèrent leur supériorité, dans la mesure où ils étaient porteurs d’une Weltanschauung qui leur permettait de pendre possession de l’homme dans sa totalité ».[110]
En cherchant à définir la singularité du jacobinisme, Hippolyte Taine le compare aux despotismes de l’histoire, il trouve que ce qui le caractérise c’est qu’il ne laisse rien à l’homme en dehors de ce qu’il lui impose, « ne rien laisser en lui qui ne soit prescrit, conduit et contraint ».[111]
Un tel mécanisme caractérise à ce point le mouvement totalitaire que le piège se referme naturellement sur l’accusateur qui devient accusé à son tour. Depuis son origine, le mouvement psychanalytique connut des opposants qui se virent appliquer le broyeur totalitaire et rejeter dans la catégorie infamante des perturbés mentaux. O.Rank, Ferenczi, Bleuler, Jung furent, parmi d’autres les victimes de ce procès, eux qui, avant de succomber à leur tour, avaient porté les mêmes accusations sur d’autres. Bien évidemment, les victimes pouvaient aussi bien se défendre en mettant l’accusateur dans la même situation. La fin de la correspondance entre Freud et Jung en témoigne, à merveille.
Freud fut séduit par l’affirmation de l’avocat de la défense dans ’’Les frères Karamazov’’ qui, récusant l’accusation, rejette toute argumentation psychologique parce qu’on peut y défendre des thèses contraires, la psychologie étant « une arme à double tranchant » (en Russe, littéralement, un bâton à deux bouts).[112] L’avocat en effet, répondant au procureur, évoque « la subtilité de la psychologie qui nous attribue dans telles circonstances la férocité et la vigilance de l’aigle, et l’instant d’après la timidité et l’aveuglement de la taupe ».[113] C’est alors que Freud, adoptant sans état d’âme cette tactique, quand il reçoit en retour ses propres arguments retournés contre lui, dit « pouce ! », et siffle la fin du jeu.
Dans une note de son article « La sexualité féminine » (1931)[114], il prévient les critiques qui, s’opposant à sa théorie, tenteraient de le faire en le psychanalysant. En effet il vient d’affirmer que la femme, dans son évolution, doit renoncer au phallus atrophié, que représente le clitoris, pour admettre le vagin. Il avertit les psychanalystes, féministes ou femmes, qu’il n’admettra pas le genre de critique, lui reprochant de justifier théoriquement un « complexe de masculinité », visant à dominer et à réduire les femmes. Car « cette espèce d’argument psychanalytique nous rappelle ici, comme il le fait souvent, le fameux argument de Dostoïevski de l’arme à double tranchant. Les opposants, de leur côté, penseront qu’il est tout à fait compréhensible que les membres du sexe féminin puissent refuser une notion qui semble contredire une égalité si ardemment convoitée avec les hommes. L’utilisation de l’analyse comme arme de controverse manifestement n’aboutit à aucune décision ».
CONCLUSION
Parler de psychanalyse, comme j’en parle depuis 60 ans, me laisse l’impression et ce, de plus en plus au cours du temps, de me déplacer dans une atmosphère irréelle.
En 1949, je soutenais un ’’DES’’ sur « Les rapports de Freud et de Schopenhauer » et je n’aurais pas pu imaginer le moins du monde que je tiendrais un jour les propos que je viens de tenir devant vous. Compte tenu, bien sûr, de la critique que nous en faisons et de son importance sans cesse décroissante dans la psychologie et dans la psychiatrie mondiale. Mais nous sommes en France.
A plusieurs reprises, on a tenté de sauver le soldat Freud. D’aucuns qui s’en réclament encore l’ont abandonné, ce qui s’est passé sur tous les champs de bataille.
Je revois encore Daniel Lagache, dans son bureau du Boulevard Saint Germain se demandant, devant moi, sur quoi fonder la psychanalyse. Comme il envisageait la philosophie, je me suis permis de lui faire remarquer que la philosophie n’avait jamais rien fondé jusqu’ici, à quoi il me répondit : –« Vous, Vous savez ! »
Ce que j’ai su, depuis, c’est que d’autres ont cherché dans les sciences cognitives[115] et les neurosciences ce fondement ou du moins, une quelconque confirmation, un sauvetage. C’est un oxymoron. Comment une science dont les incertitudes sont encore si nombreuses pourrait fonder un dogmatisme religieux ? Dans le numéro de mars 2001 de « American Journal of Psychiatry », on trouve un article de Reiser qui a cherché cet accord, sur ’’Le Rêve dans la Psychiatrie Contemporaine’’ où, bien évidemment, les thèmes freudiens sont omniprésents. La conclusion de l’article est d’autant plus remarquable qu’elle confirme ce qu’on savait. Elle affirme que les théories de Freud sur le rêve « ne sont ni directement validées ni réfutées par les données empiriques revues dans cet article. De ce fait, je me demande s’il ne serait pas judicieux d’éviter de se préoccuper de savoir si les données des neurosciences réfutent ou confirment les formulations et la théorie originelles de Freud. » …Bene, optime, recte !
Je ne suis pas venu ici pour vous annoncer la mort de Freud ou de la psychanalyse. Nous savons, aujourd’hui, que ce genre d’arrogance ridiculise définitivement son porteur. On a annoncé périodiquement la mort des dieux, « nouvelle très exagérée », aurait dit Mark Twain.
Plutarque raconte qu’un soir le pilote égyptien d’un navire a été appelé, près de l’île de Paxos, trois fois par une voix qui lui demanda de proclamer que le grand Pan était mort. Comme le dit Ramsay Macmullen « Le paganisme est mort, c’est un fait, mais comme le dernier des stégosaures ou comme un récif corallien ? »
Auguste Comte a fait là dessus une réflexion essentielle :
–« Personne, sans doute, n’a jamais démontré logiquement la non-existence d’Apollon, de Minerve, ni des fées orientales ou des diverses créations poétiques ; ce qui n’a nullement empêché l’esprit humain d’abandonner les dogmes antiques quand ils ont enfin cessé de convenir à l’ensemble de sa situation ».[116]
Bref, on n’a pas démontré qu’ils n’existaient pas : on a cessé d’y croire.
Nous sommes dans une culture dont la psychanalyse est une partie, même les auteurs critiques de Freud peuvent encore ressentir sa séduction et rêver, avec Ernest Renan, qu’on est quitte envers sa foi, « quand on l’a soigneusement roulée dans ce linceul de pourpre où dorment les dieux morts ».
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[1] Professeur honoraire des Universités, Agrégé de philosophie, Docteur es lettres et sciences humaines, Docteur en médecine, Psychiatre. Conférence donnée le 10 juin 2001.
[2] Freud, Abrégé de psychanalyse, trad.fr., 71-72
[3] Knight Dunlap, 1920 : Mysticism, Freudianism, and Scientific Psychology.
[4] Sur cette question voir T.Szasz, « Anti-freud ».
[5]Très connu comme journaliste satirique (Die Fackel, le Flambeau) Karl Kraus (1874-1936) fut un écrivain prolixe aussi acharné contre la psychiatrie que la psychanalyse.
[6] Egon Friedel, né Friedman (1873-1938) de parents juifs, se convertit au christianisme et se suicida lors de l’entrée des allemands en Autriche (cf. Szasz, p.70).
[7] Cit. in Szasz, p.30
[8] id., p.39
[9] H.Arendt a insisté sur « le scientisme de la propagande totalitaire », Arendt p.71
[10]Au cours du XX° siècle on a beaucoup discuté pour savoir si l’on avait affaire à des systèmes politiques totalement nouveaux eu égard à la tyrannie ou au despotisme. La communication de Élie Halévy est de novembre 1936 et l’article de Jacques Bainville, « L’Allemagne totalitaire », du 1er juillet 1933.
[11] Taine, 1884, volume 2, Livre deuxième (premières lignes du chapitre 1, vol.2, pages 47-48).
[12]H. Arendt, p.79
[13]VII, A, note p.102-103 (trad. angl.)
[14]cf.id.p.37
[15]Correspondance avec Fliess, édition Masson, p.76 et sq. La correspondance avec Fliess est manifestement un délire à deux qui explique parfaitement bien la construction de la psychanalyse. Cf. Wilcocks, 1994, Bénesteau, 2002.
[16]Cit. in Bouveresse, p.13-14. Prédiction, hélas, confirmée au quotidien.
[17]Cit. in Dolnick, p.240
[18] in Dolnick, p.240
[18]Arendt, Le système totalitaire, p.66
[19]Correspondance Freud-Binswanger: p.188.
[20]1« Tous les …travaux et théories du professeur Freud sont fondés sur des investigations cliniques… Une inflexible détermination l’a toujours guidé, celle de rester en contact des plus étroits avec le matériel réel apporté quotidiennement à son observation. » E. Jones, Préface au C.P., T.I, p3-4
[21] Lettre à Rosenzweig (1934)
[22]« Nouvelles conférences sur la psychanalyse», Trad. angl., p.129
[23] id., p.203
[24]« Leçons élémentaires de psychanalyse», 1938, C.P.V, 377
[25]ibid., p.378
[26]Nouvelles conférences, p.128
[27]« Introduction », p.31
[28] « Sigmund Freud présenté par lui-même », Gallimard, p.98
[29]« Leçons élémentaires sur la psychanalyse » 1938, in C.P., V, 376
[30]Psychanalyse, 1922, C.P., V, p.129-130
[31]ibid.128
[32] ibid
[33]Cinq psychanalyses, trad. fr. p.167
[34]Lettre de Freud à Pfister, p.175-176
[35] Correspondance avec Freud, p.154
[36] Ferenczi « Journal clinique », p.148
[37]Cit. in Szasz, p.106
[38]in Crews,1995 p.394.
[39] « L’interprétation », Préface à la deuxième édition
[40]H.Arendt signale, dans le totalitarisme, « le mépris radical pour les faits en tant que tels » car, ajoute-t-elle, « les faits dépendent entièrement du pouvoir de celui qui peut les fabriquer », p.76
[41] ibid, p.77
[42]Ricoeur, p.41
[43]id., p.42
[44]id., p.44
[45]Je ne dis évidemment pas que Nietzsche a inspiré Hitler. Je veux dire que l’idéologie Nazi renvoie à Nietzsche : « Les nazis utilisèrent Nietzsche : la- dessus il n’y a rien à dire. Plus encore : pour qu’une chose soit utilisable dans une fin précise, il faut que quelque chose se prête en elle à l’utilisation.» Philonenko (Nietzsche au miroir de la Belle Époque) in Nietzsche, 1892-1914, (Maisonneuve et Larose, 1997), p.14
[46]A un journaliste, Papini, il avouait : « Mon âme, de par sa constitution, est portée vers les essais, le paradoxe, le dramatique et est extérieure à la rigueur pédante qui est le propre de l’homme de science » et il ajoutait que ses livres « ressemblaient davantage à des ouvrages d’imagination qu’à des traités de psychologie » et enfin, « bien que j’eusse l’apparence d’un scientifique je fus et je reste un poète, un romancier » Cité in J.L. Rice, p.216. Selon Frederick Crews (communication personnelle), il s'agirait d'un faux brillant certes mais dont l'origine reste néanmoins mystérieuse.
[47]Lettre à Fliess, 1/02-1900 (éliminée, elle ne se trouve que dans l’édition complète de Masson). Dans cette lettre, Freud se plaint de n’être pas reconnu dans sa ville et reproche même à Fliess de l’avoir surestimé, l’humeur est dépressive puis brutalement arrive le passage sur ce qu’il estime être réellement en tant que figure héroïque et de ce fait, c’est certain, sa grandeur ne sera reconnue que plus tard. Le narcissisme rebondit comme c’est habituel chez ces personnalités.
[48]Cf. Bakan, 1958 ; M Robert 1974 ; Klein, 1981 ; Rice (Emmanuel), 1990 ; Farrell (John) 1996 Freud’s paranoid quest.
[49]« Les âges de l’intelligence » ; p.7
[50]Citation de Fliess par Freud in lettre à Fliess du 7/8/1901 (édit.Masson, p.447). Selon sa méthode habituelle, Freud considère que le refus d’une interprétation ne tient pas à sa valeur mais aux intentions du dénégateur : « Si, dès qu’une de mes interprétations vous gêne, vous vous empressez d’affirmer que ’’le lecteur de pensées’’ ne perçoit chez les autres que ce qu’il projette de ses propres pensées, vous cessez d’être mon public et vous ne devez accorder à ma méthode de travail pas plus de valeur que lui en accordent les autres », lettre à Fliess du 19/9/1901, ed. Masson, p.450
[51]In Dolnick, p.36
[52] Traumdeutung, Chapitre V, IV, 2 : « Les rêves de la mort de personnes chères »
[53]Nous savons aujourd’hui qu’il s’agit d’un événement physiologique spontané, comme les érections au cours du sommeil paradoxal.
[54]« Ma libido envers ma mère (matrem) fut éveillée à l’occasion d’un voyage, avec elle, de Leipzig à Vienne, durant lequel nous avons du passer une nuit ensemble et où il dut y avoir l’opportunité de la voir nue (nudam) » la traduction française dit « sans doute » (3/10/97).
[55]Ricœur, p.188
[56]Trad. Masson, 230-231
[57]« Cinq psychanalyses », trad. fr., p.167
[58]Manuscrit C, trad. fr., p.68
[59]H. Arendt, p.70
[60]17/12/1911, 288F
[61]J.P.Vernant note que « cette démonstration a toute l’apparente rigueur d’un raisonnement fondé sur un cercle vicieux » Œdipe et ses mythes, p.2 et Vernant de préciser, tout naturellement, « Pour que le cercle ne fut pas vicieux, il eût fallu que l’hypothèse freudienne, au lieu de se présenter au départ comme une interprétation évidente et allant de soi, apparaisse au terme d’un minutieux travail d’analyse comme une exigence imposée par l’œuvre elle-même, une condition d’intelligibilité de son ordonnance dramatique, l’instrument d’un entier décryptage du texte ».
[62] Trois essais sur la théorie de la sexualité, tr.fr.p.12 ; Macmillan, p.316, Cioffi, p.122.
[63]Sigmund Freud. 1913: « Weitere Ratschläge zur Technik der Pychoanalyse: zur Einleitung der Behandlung » in S. Freud. Gesammelte Werke, Volume VIII pp. 454-478.
[64]1913, Le début du traitement. in « la technique psychanalytique » trad. fr., PUF, p.98
[65]Collected Papers II, p.359
[66]Standard Edition, vol.12, p.138
[67]Ruth Mack Brunswick (cit. in Dolnick, p.255-256)
[68]Cité par Reik, 1956
[69]« Tout l’art consiste à utiliser, et en même temps à transcender les éléments de réalités et d’expériences vérifiables empruntées la fiction choisie puis à les généraliser pour les rendre définitivement inaccessibles à tout contrôle de l’expérience individuelle » H.Arendt, p.88-89
[70]Le système possède toujours un moyen de prouver qu’une assertion qui lui est contraire est vraie. Par exemple, Freud construit une explication des rêves selon laquelle le rêve est l’expression d’un désir. Devant des obstacles qui rendent difficile cette application, il affirme que des rêves peuvent être dus au désir de lui donner tort.
[71]« J’ai eu récemment des soupçons sur l’explication d’un cas de fétichisme, pour l’instant seulement un cas de vêtement et un cas de botte. Mais ce devrait être le cas général » (correspondance à Jung, p.278)
[72]« Dans l’analyse préscientifique, les agents curatifs peuvent ressembler soit aux propriétés de la maladie soit aux propriétés opposées » Nisbett et Ross, p.116. Dès lors, l’interprétation pourra se satisfaire de l’un ou de l’autre et passer de la sorte d’un jugement à son contraire : « On ne sait jamais à l’avance, s’il faut admettre l’un ou l’autre, le contexte seul en décide » Interprétation des Rêves, p.401.
[73]Nisbett et Ross, p.24 ; 243
[74]Études sur l’hystérie 1895, p.121 et p.140
[75]Introduction à la psychanalyse, p.309
[76]Introduction à la psychanalyse p.165 et sq.
[77]Id, p.166
[78]Marcelli, p.96
[79]1Cf. Kerr (, 1994), p.245
[80]Introduction à la psychanalyse, p.183
[81]id., p.184 et sq.
[82]id., p.186
[83]Cf. Forrester « Le langage aux origines de la psychanalyse » (Gallimard), p.171
[84] Introduction à la psychanalyse, p.185
[85]Webster, p.270. Freud avait échoué dans l’interprétation des rêves du philosophe Gompertz, lequel n’avait pas offert de « résistance » ; le Viennois expliqua à Fliess qu’il « est aisé pour un philosophe de transformer une résistance interne en réfutation logique » (lettre à Fliess, 9/12-1899).
[86]« L’Interprétation », p.90
[87]Analyse terminée analyse interminable, tr. fr., p.16b
[88]Cf. par ex., Introduction à la psychanalyse, p.300; L’Inconscient, C.P.IV, 101 et Quelques leçons élémentaires sur la psychanalyse, 1938, C.P., V, 381
[89]Freud « Leçons élémentaires sur la psychanalyse », 1938, CP,V, p.376
[90]Freud, 1938, 381
[91]Introduction à la psychanalyse Trad. fr., p.484
[92]Introduction à la psychanalyse
[93]à Fliess, 7/08/1901 : étrangement, la traduction française donne « tous sont des malades donc des êtres particulièrement irrationnels et dont les réactions sont imprévisibles ».
[94]H. Arendt, p.74
[95]Dolnick, p 279
[96]Aujourd’hui, plus qu’autrefois encore, des individus se donnent spontanément à la croyance et s’attribuent le titre de psychanalystes, se sont des « transférés de profession ». Le psychanalyste, disait Lacan, s’autorise de lui-même. Nous sommes d’emblée dans le fanatisme commercial. Un spécialiste les dévoile au premier coup d’œil
[97]H. Arendt, pages 39 et 47. cf. 74
[98]Taine, Les Origines…, vol.2, p.68 et « Dès lors les affections et les obéissances ne se dispersent plus en frondaisons vagabondes ; les mauvais supports auxquels elles s’accrochaient comme des lierres, castes, églises, corporations, provinces, communes ou familles, sont ruinés et rasés, sur ce sol seul nivelé l’État seul reste debout et offre seul un point d’attache ; tous ces lierres rampants vont s’enlacer en un seul faisceau autour du grand pilier central », id., p.68-69
[99]1Lettre à Fliess, 24-1-1897 ; la dernière phrase a disparu de la trad.fr.p.167.
[100]Kerr, 1994, p.470. Bénesteau (2002) chap 6, 7, 8.
[101]à Fliess, 17/01/97. Des esprits facétieux disent que le mérite de Fliess est d’avoir stimulé la créativité de Freud, nous en voyons les bienheureux effets !!! Les caviardages sont certainement des coquilles !!
[102]Hoehn-Sarie, cit.in Am. J. Psychiatry, 1986, 6, 691.
[103]H. Arendt, p.71
[104]« Nouvelles Conférences », trad. angl., p.177
[105]« Les conciles de Valence et d’Albi, en 1248 et 1254, tout en prescrivant aux inquisiteurs de ne pas se laisser arrêter par les vaines chicanes des avocats, rappelèrent d’une manière significative la disposition de la loi canonique, en la déclarant applicable à l’avocat qui oserait défendre un hérétique » H.C. Lea, Histoire de l’Inquisition, I, p.504-505
[106]ibid.
[107]ibid.
[108]« La plupart de ce qui est opposé à la psychanalyse, même dans les travaux scientifiques, part d’une information insuffisante qui semble, à son tour, fondée par des résistances affectives » C.P., V, p.127. En ce siècle de barbarie, on se contente d’imbéciles ou de « diseurs de bêtises », l’esprit est le même mais la sémantique s’appauvrit.
[109]Freud « Les résistances à la psychanalyse » 1925
[110]H. Arendt, p.63
[111]Taine, vol.2 page 93.
[112]Cf. James Rice, p.217 et sq.
[113]« Les frères Karamazov », p.631 et « Voilà, messieurs les jurés, une autre sorte de psychologie. C’est à dessein que je recours moi-même à cette science pour démontrer clairement qu’on peut en tirer n’importe quoi. Tout dépend de celui qui opère »
[114]2C.P., V, p.258. trad. fr., p.143-144.
[115]K.M. Colby, R.J. Stoller, « Cognitive science and psychoanalysis », The analytic Press, 1988.
[116]A.Comte « Discours sur l’Esprit Positif »
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