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Etty Hillesum, une vie bouleversante
Par Anne Ducrocq
Vivant dans une joie miraculeuse et charismatique l’une des pages les plus noires de l’Histoire, une jeune juive hollandaise de vingt-neuf ans s’apprête à être déportée avec une liberté d’esprit surprenante face aux événements et face à elle-même. Jour après jour, dans un combat lumineux et singulier pour rencontrer la vérité et la réalité telle qu’elle est, elle confie à son journal son cheminement mystique et son inébranlable parti pris d’espérance : la vie est “belle et pleine de sens” à chaque instant.
L’attention portée à la vie brève et féconde d’Etty Hillesum dépasse de loin le cercle des initiés. Son itinéraire est celui d’une femme sensuelle et “banalement moderne” qui, en se laissant transformer par l’amour des hommes et les événements du monde, est devenue un être éminemment libre. Le feu intérieur de cette jeune femme juive, qui se proposait d’“aider Dieu” au sein de l’enfer des camps, a quelque chose à nous dire de la liberté et de la bonté qui habitent ceux qui consentent à dire “oui” à la vie, quelle qu’elle soit, à dire “oui” malgré tout.
Elle œuvra pendant plus d’un an dans le camp de détention de Westerbork comme assistante sociale volontaire auprès des réfugiés juifs (elle s’y sent plus “utile” qu’ailleurs). Déportée anonyme avec ses parents et l’un de ses frères, Misha, elle est embarquée le 7 septembre 1943 dans un convoi de 987 personnes et meurt à Auschwitz le 30 novembre 1943. Elle laisse derrière elle onze petits cahiers à spirale, confiés à une amie, et des centaines de lettres écrites, qui sont devenus, quarante après sa mort, son inoubliable et unique ouvrage posthume, "Une vie bouleversée".
Le nom d’Etty Hillesum restera pour toujours associé, et à juste titre, à celui de l’homme qui l’initia à elle-même, Julius Spier, “l’accoucheur de mon âme”, confie-t-elle. Ce juif allemand, héritier de la psychologie de Carl-Gustav Jung, s’était spécialisé dans la chirologie (établissement de diagnostics à partir de la morphologie et des lignes de la main). La faculté qu’il possédait de percer les secrets de la vie par l’observation de la paume de la main, un “second visage” pour lui, semble avoir été troublante.
Le 3 février 1941, Etty tira pour la première fois, timidement, la sonnette de son cabinet du 27, Courbetstraat, pour entreprendre une thérapie. Elle s’embrasa immédiatement pour cet homme aux yeux “vieux comme le monde.” Des relations complexes se tissèrent entre la jeune femme et le psychologue quinquagénaire : elle fut à la fois sa cliente, son élève, sa secrétaire et son amie de cœur, et ils ne cessèrent de se défier pour se faire grandir mutuellement. Douze mois plus tard, elle écrit “je suis venue au monde un 3 février” et fête ses un an et la “plus belle année” de sa vie avec joie.
Un désir inextinguible
“Ce que je trouvais beau, je le désirais de façon beaucoup trop physique, je voulais l’avoir. Aussi, j’avais toujours cette sensation pénible de désir inextinguible.”
La courte vie d’Etty Hillesum est jalonnée de relations amoureuses “avides” avec des hommes beaucoup plus âgés qu’elle. À vingt-sept ans, son amant en titre, Han Wegerif, est un comptable de soixante-deux ans. Sa vie sexuelle, libre et désordonnée, a longtemps masqué son besoin de tout prendre et de tout donner, son besoin de vivre incarnée. Femme à l’insatiable curiosité érotique, elle a besoin de goûter, de se “gaver” de l’autre, de tous les autres. Elle communique par son corps. Pourtant, sans le savoir, sa “fichue” sensualité dissimule les prémisses de son désir d’absolu : elle constate en elle “un lent mais constant déplacement du physique au spirituel [...]. Je sais que les possibilités du corporel atteignent bientôt leurs limites.” Dans la fréquentation quasi-quotidienne de S., comme elle le nomme dans son journal, elle comprend peu à peu qu’elle a en elle trop d’amour pour un seul être.
Apprivoisant progressivement le tempérament impétueux - tant physiquement qu’intellectuellement - d’Etty, Julius Spier l’éduquera à un “amour plus large que celui qui se concentre sur une seule personne” et la guidera, jusqu’à son dernier souffle, dans le chemin pour se trouver et aller vers l’autre. Julius, fiancé à une femme à Londres, pose et impose sa fidélité à la volcanique Etty qui accepte le “défi”. L’homme lui échappe à moitié, mais le désir qui la déchire pendant des mois sera fécond : c’est de l’amour qui flambe entre eux qu’est né sa force spirituelle d’Etty. Derrière son amour pour lui, elle découvre, un amour impersonnel, démultiplié, pour tous les autres et pour Dieu. L’avancée inéluctable de la menace qui pèse sur les juifs d’Europe et la frustration de cet amour sans retour charnel expliquent sa vertigineuse conversion du cœur.
S’expliquer avec soi-même
Un matin de printemps, le 8 mars 1941, sous le choc de sa rencontre avec Spier, elle commence à écrire un journal pour “voir clair”. Menant un travail d’introspection systématique, tour à tour lucide, exaltée ou drôle pour lutter contre l’angoisse, elle se découvre et se transforme, tandis qu’autour d’elle l’irréparable de la Shoah se commet.
En trois ans, son évolution spirituelle est fulgurante, grâce à son effort inlassable pour ordonner sa vie : “je dois me replonger sans cesse dans la réalité, m’expliquer avec tout ce que je rencontre sur mon chemin, accueillir le monde extérieur dans mon monde intérieur et l’y nourrir - et inversement”.
On assiste, en direct, à l’éclosion d’une personnalité, “à l’immense élan d’une force nue, toujours plus nue, plus libre, insoumise aux puissances du mal qui sévissent alors”, comme l’écrit Sylvie Germain dans la biographie qu’elle lui a consacrée. Son retour à soi n’est pas un retour sur soi, elle va vers plus grand qu’elle. Pour Etty, le maître mot c’est comprendre, comprendre la réalité. Elle ne se laisse pas faire et cherche à entendre ce que les événements ont à lui dire.
“Je connais l’air traqué des gens, l’accumulation de la souffrance humaine, je connais les persécutions, l’oppression, l’arbitraire, la haine impuissante et tout ce sadisme. Je connais tout cela et je continue de regarder au fond des yeux le moindre fragment de réalité qui s’impose à moi.” Elle apprend, ni plus ni moins, à aimer sans compter : “À la fin de la journée, j’éprouvais toujours le même sentiment, l’amour de mes semblables. Je ne ressentais aucune amertume devant les souffrances qu’on leur infligeait, seulement de l’amour pour eux, pour leur façon de les endurer, si peu préparés qu’ils fussent à endurer quoi que ce fût...” Lentement, elle prend conscience de son identité profonde, au-delà de ses conditionnements familiaux et des événements historiques douloureux.
Cet espace intérieur qu’elle découvre et creuse patiemment lui permet de “tenir le coup” au camp de transit de Westerbork, au nord du pays, dans un paysage de lande déserte. L’étau se resserre. Elle pressent qu’elle sera happée par la “fatalité de masse”, elle ne la fuit pas. Elle oriente sa nouvelle force intérieure (ce qu’elle appelle ses forces créatrices) vers le secours à porter à tous, sans se cantonner à elle et à ses proches.
“Le Seigneur est ma chambre haute”
Au fur et à mesure qu’Etty s’engage sur ce chemin de la vie intérieure, elle se rapproche non seulement d’une contemplation de la bonté et de la beauté de la vie, mais aussi d’un sentiment de proximité avec Dieu. Sa fréquentation des Évangiles, en particulier celui de Matthieu, va grandissant. C’est encore Julius Spier qui l’introduit et l’initie à Dieu, il prie et médite la Bible chaque jour. Sous son influence, elle découvre la prière et partage ses lectures de Maître Eckhart, Thomas a Kempis, Rilke ou encore saint Augustin.
Ne sachant que faire de son désir fou de Julius Spier, elle prie et entre dans l’acceptation. Il a fallu du temps pour qu’Etty, qui se qualifiait elle-même de “jeune fille qui ne savait pas s’agenouiller”, apprenne à se tourner vers l’intérieur et à prononcer le nom de Dieu.
Le 9 mars 1941, le journal d’Etty fait mention pour la première fois du nom de l’Innommable : “Le monde surgit comme une mélodie de la main de Dieu : toute la journée, ces mots de Verevey ont résonné dans ma tête. Moi aussi je voudrais être comme une mélodie qui surgit de la main de Dieu.” Elle sent que “Dieu écoute au plus profond ” d’elle et leur relation se personnalise chaque jour davantage. Son journal devient presque une lettre à Dieu.
Dans cette intimité nouvelle, dans cet espace intérieur, elle apprend à accueillir l’autre, à le “laisser s’épanouir”, à lui “ménager une place où il puisse grandir et déployer ses virtualités”. “Chaque jour je suis [...] sur les champs de bataille ou, peut-on dire, les champs de massacre. Parfois s’impose à moi comme une vision des champs de bataille de la couleur verte d’un poison, je suis auprès des affamés, des torturés, des moribonds, chaque jour ; mais je suis aussi proche du jasmin et du morceau de ciel derrière ma fenêtre. Dans une vie, il y a place pour tout. Pour une foi en Dieu et pour une mort misérable.” La vie, dont elle a rassemblé et réorienté en elle les forces, se met à déborder.
En tant que “fonctionnaire” du camp, elle a un temps encore le droit de sortir en ville. Les promenades en bicyclette dans les rues d’Amsterdam qu’elle aime tant sont interdites aux juifs ? “Autrefois, dans le désert, nous nous sommes très bien débrouillés sans vélo, et pendant quarante ans”, relève-t-elle.
Comme juive encore, il lui est interdit de prendre le tramway, d’entrer dans les magasins, les squares et les jardins ? L’angoisse l’opprime ? Elle se détache des événements et bâtit, par la prière, “un mur protecteur plein d’ombre propice”. Le ciel qui se déploie au-dessus de sa petite rue sombre suffit alors à la ravir. Et un pur bonheur d’“être là” jaillit, s’impose et revêt le chaos d’une lumière surabondante.
Julius Spier tombe malade au cours de l’été 1942 et meurt le 15 septembre, d’un cancer du poumon, à la veille d’être déporté. Ce matin-là, Etty est auprès de son grand amour. “C’est toi qui a libéré en moi ces forces dont je dispose. [...] Tu as servi de médiateur entre Dieu et moi mais maintenant, toi le médiateur, tu t’es retiré et mon chemin mène désormais directement à Dieu.
Je servirai moi-même de médiatrice pour tous ceux que je pourrai atteindre”, note-t-elle ce jour-là dans son journal. Il meurt, mais elle ne le perd pas ; elle le porte en elle, comme elle porte tout. La vie va alors s’accélérer et sa fin, qu’elle pressent prochaine, se rapproche.
Les premiers trains pour les camps d’extermination ont commencé à quitter Westerbork : chaque mardi à 11 heures, plus de mille personnes partent pour “aller travailler en Pologne”. Son nom ne saurait tarder à être sur la liste. Elle regarde la souffrance dans les yeux jusqu’au bout. Certains amis lui proposent de la cacher. Sa famille vient d’être internée. Elle choisit de ne pas se “soustraire au sort imposé à tant d’autres” et décide de rester au camp. Volontaire pour accompagner Dieu dans les camps jusqu’au bout, elle ne se dérobe pas : “Chacun veut encore tenter de se sauver tout en sachant très bien que s’il ne part pas, un autre le remplacera.
Que ce soit moi ou un autre qui parte, qu’importe, ce qui compte, c’est que tant de milliers de gens doivent partir.” Si le journal s’achève en 1942 - ses derniers cahiers, tenus jusqu’à son départ, n’ont pas été retrouvés -, il nous reste toutes les lettres qu’elle écrivit jusqu’au bout, à ses amis.
Ne plus haïr personne
Etty Hillsemum a payé le prix pour être médiatrice, montrer une route : entre 1941 et 1943, en deux ans, de façon extrêmement concentrée, elle a prouvé qu’en tenant tête au mal, en rassemblant des forces dispersées et en s’approchant du silence intérieur, on se rapproche d’une force vive, imprenable. La libido mal maîtrisée et possessive de ses jeunes années n’était qu’un appel de la vie au don de soi, Etty peut désormais se laisser toucher par tout. “Je ne hais personne. Je ne suis pas aigrie. Une fois que cet amour de l’humanité a commencé à s’épanouir en vous, il croît à l’infini.” Sur la carte postale qu’elle griffonna avant d’être embarquée dans une bétaillère et qui fut retrouvée par des paysans, elle écrit ces derniers mots : “J’ouvre la Bible au hasard et trouve ceci : le Seigneur est ma chambre haute.” Elle et les siens seraient partis en chantant.
Etty a su “s’expliquer”, même avec la barbarie : “La saloperie des autres est aussi en nous. Et je ne vois pas d’autre solution que de rentrer en soi-même et d’extirper de son âme tout cette pourriture. Je ne crois plus que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur, que nous n’ayons d’abord corrigé en nous. L’unique leçon de cette guerre est de nous avoir appris à chercher en nous-mêmes et pas ailleurs.”
Bibliographie :
Une vie bouleversée, éd. du Seuil, 1985 et Lettres de Westerbork : les deux textes réunis sont disponibles dans la collection “Points-Seuil”, 1995.
Etty Hillesum, de Sylvie Germain, éditions Pygmalion/Gérard Watelet, 1999.
Portrait d’Etty Hillesum, de Ingmar Granstedt, éd. Desclée de Brouwer, 2001.
Etty Hillesum, un itinéraire spirituel, du jésuite Paul Lebeau, éditions Albin Michel, coll. “Spiritualités vivantes”, 2001.
http://chemins.eklesia.fr/cdh/hillesum.php
Etty Hillesum
Chemins : Chemins d'hommes : Etty
I - Etty Hillesum
Bref résumé de sa vie :
Etty, jeune juive hollandaise a trouvé pendant l'occupation allemande, une voie originale. Amoureuse d'un homme qui lui échappe à moitié, elle découvre à travers lui et la poésie de Rilke, dans un grand combat intérieur, un chemin de conversion au christianisme qui lui est propre. Son journal intime et ses lettres tracent le chemin d'un feu intérieur qui la conduira à transcender une époque bien douloureuse. Déportée et tuée dans un camp de la mort en novembre 1943, elle est, avec A. Franck et E. Stein une des grandes figures juives de cette époque douloureuse.
Commentaire du livre de S. Germain * :
A propos du rapport avec autrui et du rapport avec l'ennemi, Etty esquisse déjà une surenchère de don, qui rappelle les appels à la passivité plus que passive d'un autre philosophe juif E. Lévinas dans Autrement qu'être ou au delà de l'essence : (SG p. 80) : La dépense de soi y est totale, mais aucun pouvoir n'est ici brigué, aucun prestige personnel n'est convoité : ce qui est espéré, c'est que l'autre, mis au défi par l'inlassable générosité d'être du donateur finisse par se sentir ébranlé dans ses opinions et certitudes. (...) Quand on veut avoir une influence morale sur les autres, il faut s'attaquer sérieusement à sa morale personnelle (SG p. 91 citant I p.209-210) On retrouve aussi note SG p. 94 les accents d'Edith Stein qui dit que cet homme qui se tient devant nous est le prochain. Il est indifférent que nous lui soyons apparenté ou non, que nous l'aimions ou non.. Etty surenchérit en disant que " beaucoup, ici (à Westerbrock) sentent dépérir leur amour du prochain parce qu'il n'est pas nourri de l'extérieur (I p. 79). L'amour du prochain est comme une prière élémentaire qui vous aide à vivre. La personne même de ce "prochain" ne fait pas grand chose à l'affaire (ibid).
Les notes d'Etty, comme elle le souligne elle même ne forment pas une oeuvre mais forment un patchwork, un empilage de traits. A ce propos, SG note page 129 que " L'écriture de l'amour est une expérience limite du langage, c'est pourquoi elle ne peut produire une oeuvre complète, achevée mais seulement d'admirables esquisses, des poèmes en filigrane de brume et d'étincelles, des promesses à l'infini, à chaque instant ténues et jamais épuisées car sans cesse renouvelées. L'amour de l'écriture se poursuit "noir sur blanc"; l'écriture de l'amour pérégrine blanc sur blanc - blanc sur vide et tout autant noir sur nuit aux heures des grandes épreuves." Etty est en perpétuel combat contre elle même. Elle note d'ailleurs "L'incroyable banalité de ce mal en nous... Débusquer en soi-même ce fond commun, ce mal latent et le combattre de front... Le dénoncer à sa propre conscience. "Que chacun fasse un retour sur lui même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu'il voit devoir anéantir chez les autres" (I p. 205, SG p.134-5) Mais Etty va lutter contre ce mal intérieur et dans un passage déterminant que l'on vous invite à découvrir de vous même, elle va aller jusqu'à s'agenouiller. Comme mue par une force intérieure, elle va s'abaisser, prenant intérieurement le chemin du serviteur, retrouvant (inconsciemment ?) ce chemin du Christ, qui n'a pas retenu le rang qui l'égalait à Dieu mais s'est fait homme et a pris la condition de serviteur (Philippiens 2). Ce mouvement d'Etty est ainsi signe d'un abandon, d'une descente de sa tour d'orgueil et de savoir pour se laisser aller au don...
Elle aura alors des paroles très belles sur son lien à Dieu. Pour le traduire, mieux qu'elle ne l'a fait elle même, SG reprend ce beau texte de : Janusz Konczak " Je t'ai retrouvé Dieu et je m'en réjouis comme un enfant comme un enfant égaré qui aperçois au loin une silhouette familière (...) Péniblement, luttant contre toutes sortes de tentations, affrontant les tempêtes de mes sens déchaînés et les paroles de faux prophète, j'ai fini par te retrouver mon Dieu. Voilà pourquoi j'arrive si tard et qu'heureux comme un enfant de ces retrouvailles, je ne veux t'appeler ni Grand, ni Juste, ni Bon, mais tout simplement : "Mon" Dieu. "Mon" Dieu, car j'ai confiance en Toi." Janusz Konczak Seul à Seul avec Dieu Points -Seuil 1995 Tradº Z Bobowicz p. 53-55 cité par S.G. p. 150
Les pages indiquées (SG) font référence au livre " Etty Hillesum" de Sylvie GERMAIN aux Editions Pygmalion Gerard Watelet ISBN 285704586.7 110 Mai 99
Collection Chemins d'éternité dirigée par Olivier Germain-Thomas.
Compléments*.
Une des raisons de sa conversion peut s'expliquer par cet amour impossible avec un homme qui est fiancé à une autre (exilée à Londres). La frustration d'un amour sans retour peut expliquer cette conversion du coeur, ce passage à l'agapé (amour qui ne cherche pas son intérêt, cf. 1 Cor 13)... Déjà en p.38 de son journal elle s'exprime ainsi "Je me sentais libérée : tout mon amour, toute ma compréhension, tout mon intérieur, toute ma joie allait vers lui, mais je n'exigeais rien en retour, je ne demandais rien, je le prenais tel quel..." L'autre originalité d'Etty est son attitude vis à vis de l'ennemi :
"L'Absurdité fait place à ordre et cohérence. Il nous faut offrir notre espace intérieur et ne pas les fuir.
Le lien entre son amour et l'Amour s'exprime d'ailleurs en p.42 "l'Amour de tous les hommes est supérieur à l'amour d'un seul homme". Et cette découverte, avivée par le discernement que procure la rédaction de son journal intime, laisse progressivement une place à Dieu : "Un puits profond en moi et dans ce puits Dieu" (p.55) et la conduit jusqu'à l'agenouillement (91-95) perçue comme une force intérieure à laquelle elle ne peut résister.
S'ouvre alors un immense paysage intérieur, paysage de l'âme :"Au fond, je suis croyante. Il me faut tomber au fond (p.96).
L'amour du prochain, et de l'ennemi se précise alors, malgré sa monstruosité extérieure "retrouver la trace de l'homme dans sa nudité, sa fragilité, de cet homme bien souvent introuvable, enseveli par les ruines monstrueuses de ses actes absurdes" (p. 117).
Dieu paraît absent de cette absurdité, mais la simple beauté d'un "jasmin, si tendre et si gracieux au milieu de la grisaille" lui fait faire le pas "je crois en Dieu" (p. 145).
Elle découvre de plus en plus le sens du silence et du respect : "Laisser celui qu'on aime entièrement libre. Le laisser vivre sa vie, c'est la chose la plus difficile au monde." (p.153) pour ne plus que se taire et être.
Sa prière est alors plus précise :"Je vais t'aider à ne pas t'éteindre en moi. Une chose m'apparaît plus claire, ce n'est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t'aider, et ce faisant, nous nous aidons nous même." (p. 175). Elle peut alors se recueillir en soi-même...et cette couche profonde, elle l'appelle Dieu. (207). Mais elle précise aussitôt : "Quand je dis, j'écoute au dedans, en réalité c'est plutôt Dieu en moi qui est à l'écoute... Ce qu'il y a de plus profond et de plus essentiel en moi écoute l'essence et la profondeur de l'autre. Dieu écoute Dieu. (p. 208).
Cette force intérieure lui permettra de faire face aux souffrances immenses rencontrées à Westerbrock. Mais la encore, Etty la transcende :"Souffrance : le grand obstacle c'est la représentation et non la réalité. La réalité on la prend en charge avec toute la souffrance, toutes les difficultés qui s'y attachent. La souffrance est féconde." (p. 230). Elle souhaite en briser les représentations et conclue "l'Enfer, une invention des hommes..." (p. 241). La puissance de l'Amour d'Etty, c'est d'en 'avoir converti la force bénéfique pour la communauté humaine... (p.213).
* Extraits de "Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Journal Intime 1941-1943 et autres lettres de Westerbrock Seuil 1995"
Autres livres sur Etty Hillesum (en dehors des deux livres cités plus haut) :
- Portrait d'Etty Hillsum de Ingmar Granstedt, Desclée de Brouwer, 2001, 224p. 20 Euros.
- Etty Hillesum, un itinéraire spitituel Paul Lebeau
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