« Il faut informer les parents des dangers de la pornographie pour
leurs enfants »
Le professeur Israël Nisand, chef du pôle gynécologie obstétrique du CHU de
Strasbourg, s’exprime sans détour sur les conséquences néfastes de la
pornographie sur les jeunes.
Il préside le colloque Médecine et psychanalyse qui se tient jusqu’au
22 septembre à la faculté de médecine de Clermont-Ferrand.
La Croix : « Le porno fait du mal à nos
enfants ! », dites-vous. Qu’est-ce qui provoque ce cri d’alarme ?
Israël Nisand : Je consacre deux heures par
semaine à l’association info ados à Strasbourg. Je vois
régulièrement des jeunes de 4e et 3e dans
les établissements scolaires. Récemment, des chefs d’établissement m’ont
demandé de rencontrer aussi des plus jeunes, alertés par un certain nombre
d’événements dans leurs écoles, notamment des séances de fellation collective
dans les toilettes.
Par ailleurs, les questions posées par les jeunes lorsque je les rencontre
sont directement liées à la pornographie, voire de plus en plus à la zoophilie.
Il est stupéfiant de voir l’absence de réaction de notre société à ce sujet. La
loi de 2001 relative à l’éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges
et les lycées n’est pas appliquée. C’est désormais la pornographie qui éduque
nos enfants à la sexualité.
Quelles sont les conséquences de ce phénomène ?
On observe chez les adolescents une sexualité de plus en plus
« trash », violente, et une consommation addictive de pornographie
très précoce. Certains enfants de 9-10 ans regardent de la pornographie
trois heures par jour. Le sociologue Richard Poulin,
professeur à l’université d’Ottawa que je cite dans mon ouvrage Et si
on parlait de sexe à nos ados ? (1), montre le lien très net qui
existe entre la date du premier rapport sexuel, certaines pratiques
(utilisation d’objets, sodomie) et la consommation de pornographie. Celle-ci
donne une image dégradée et méprisante de la femme.
Les garçons disent qu’ils regardent des films pornos pour savoir ce que les
« meufs » aiment. Ce que la pornographie montre, c’est que lorsque
les femmes disent « non », elles veulent dire « oui ». Ces
documents fixent des normes, et construisent la sexualité des jeunes autour de
l’idée qu’on peut forcer les femmes, puisque finalement, elles aimeront
ça.
Cette situation me pousse à poser une question citoyenne : qu’en
sera-t-il des rapports hommes-femmes dans l’avenir ? C’est une véritable
incitation aux viols. On ne peut pas laisser les jeunes construire leur
sexualité avec ces images qui sont aussi très angoissantes et induisent une
logique de performance. Que des adultes consentants visionnent des films pornos
ne me gêne pas, si c’est leur choix. Mais que des enfants construisent leur
fantasmagorie sexuelle sur ces films qui vont de plus en plus loin m’inquiète
beaucoup. D’autant qu’il faut savoir que les « tendances » actuelles
de la pornographie s’attaquent aux derniers tabous que sont la zoophilie, mais
aussi le viol et l’inceste.
Quelles propositions faites-vous ?
J’ai rencontré en mars dernier François Hollande, et je lui ai fait trois
propositions. En premier lieu, il faut informer les parents des dangers de la
pornographie pour leurs enfants. Il faut savoir que dans 30 % des cas, les
jeunes regardent leur premier film porno en empruntant un document qui
appartient à leurs parents. Il arrive encore qu’un garçon de 14 ans
reçoive un de ces films pour son anniversaire !
Deuxièmement, il faut prévenir les addictions en discutant avec ses
enfants, les garçons, mais aussi les filles, car très tôt, celles qui ne
veulent pas regarder ces images sont considérées comme bégueules, et on se
moque d’elles. Il faut dire aux jeunes que ces images sont nuisibles. Elles ne
correspondent ni à la réalité, ni à ce qui se passe entre deux êtres humains.
Elles sont faites pour être vendues.
Enfin, il y a encore quelques années, il fallait aller chercher les images
pornographiques. Aujourd’hui, elles surgissent sans qu’on les ait demandées. Je
demande que les serveurs d’accès Internet ne puissent plus montrer une seule
image pornographique sans que l’on ait donné un numéro de carte bancaire. Car
aujourd’hui, les jeunes surfent facilement sur les sites pornographiques sans
débourser un seul centime. Les parents pensent parfois que le contrôle Internet
suffit, mais les adolescents peuvent aller sur l’ordinateur d’un copain ou y
avoir accès sur un smartphone.
On sous-estime le problème. Je suis véritablement inquiet. Ceux qui
minimisent ce phénomène et qui ne font rien pour le contrer, oublient ce qu’est
le développement psychique d’un enfant. Abreuver les jeunes d’images
pornographiques, c’est de la barbarie.
(1) Et si on parlait de sexe à nos ados ?, Israël
Nisand, Brigitte Letombe, Sophie Marinopoulos, Éditions Odile Jacob,
248 p., 21 €.
Recueilli par MARIE
AUFFRET-PERICONE
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