Mémoires de Mme de Genlis
La Révolution
Depuis longtemps la Révolution se préparait, elle était inévitable, le respect pour la monarchie était tout à fait détruit, et il était de bon air de braver en tout la Cour, et de se moquer d'elle. On n'allait faire sa cour à Versailles qu'en se plaignant et en gémissant ; on répétait que rien n'était ennuyeux comme Versailles et la Cour, et tout ce que la Cour approuvait était désapprouvé par le public ; les pièces de théâtre applaudies à Fontainebleau étaient communément sifflées à Paris.
...
Les finances étaient en fort mauvais état ; on imagina, pour y remédier, d'assembler les états généraux. Il n'y a rien de pis que de demander des conseils en demandant de l'argent, car on reçoit toujours alors des conditions fort dures. Quelques personnes dans la société prévirent des troubles et des orages, mais en général la sécurité alla jusqu'à l'extravagance.
M. le duc d'Orléans150 et M. de Lauzun étant un soir chez moi (l'assemblée des notables était déjà réunie), je dis que j'espérais que ces assemblées réformeraient beaucoup d'abus ; M. le duc d'Orléans prit la parole, et soutint qu'on ne supprime-rait seulement pas les lettres de cachet ; M. de Lauzun et moi nous soutînmes le contraire : un pari s'engagea entre M. le duc d'Orléans et M. de Lauzun ; ils l'écrivirent, et m'en firent dépositaire ; je l'ai gardé pendant plus de quinze ans. Ils pariaient cinquante louis. Et M. le duc d'Orléans soutenait, comme je l'ai déjà dit, contre l'opinion contraire de M. de Lauzun, que l'assemblée des états ne produirait la réforme d'aucun abus, pas même celui des lettres de cachet.
J'ai montré cet écrit successivement à plus de cinquante personnes, et ces idées de M. le duc d'Orléans étaient celles de presque tous les gens de la société. On regardait une révolution comme une chose impossible. Cette sécurité a été bien funeste, elle a empêché de prendre les précautions qui auraient pu la prévenir.
La Révolution
Depuis longtemps la Révolution se préparait, elle était inévitable, le respect pour la monarchie était tout à fait détruit, et il était de bon air de braver en tout la Cour, et de se moquer d'elle. On n'allait faire sa cour à Versailles qu'en se plaignant et en gémissant ; on répétait que rien n'était ennuyeux comme Versailles et la Cour, et tout ce que la Cour approuvait était désapprouvé par le public ; les pièces de théâtre applaudies à Fontainebleau étaient communément sifflées à Paris.
...
Les finances étaient en fort mauvais état ; on imagina, pour y remédier, d'assembler les états généraux. Il n'y a rien de pis que de demander des conseils en demandant de l'argent, car on reçoit toujours alors des conditions fort dures. Quelques personnes dans la société prévirent des troubles et des orages, mais en général la sécurité alla jusqu'à l'extravagance.
M. le duc d'Orléans150 et M. de Lauzun étant un soir chez moi (l'assemblée des notables était déjà réunie), je dis que j'espérais que ces assemblées réformeraient beaucoup d'abus ; M. le duc d'Orléans prit la parole, et soutint qu'on ne supprime-rait seulement pas les lettres de cachet ; M. de Lauzun et moi nous soutînmes le contraire : un pari s'engagea entre M. le duc d'Orléans et M. de Lauzun ; ils l'écrivirent, et m'en firent dépositaire ; je l'ai gardé pendant plus de quinze ans. Ils pariaient cinquante louis. Et M. le duc d'Orléans soutenait, comme je l'ai déjà dit, contre l'opinion contraire de M. de Lauzun, que l'assemblée des états ne produirait la réforme d'aucun abus, pas même celui des lettres de cachet.
J'ai montré cet écrit successivement à plus de cinquante personnes, et ces idées de M. le duc d'Orléans étaient celles de presque tous les gens de la société. On regardait une révolution comme une chose impossible. Cette sécurité a été bien funeste, elle a empêché de prendre les précautions qui auraient pu la prévenir.