Hommage à Maya Surduts
Une page se tourne, dans l’histoire du mouvement féministe,
dans mon histoire.
Maya Surduts, âme d’une grande partie du mouvement féministe
depuis les années 70, est morte ce matin, 13 avril.
Maya et moi étions proches pendant des années.
Nous
rentrions des assemblées ensemble. Nous partagions quelques mêmes
passions : la messe de Pâques de la Cathédrale Orthodoxe de la rue Daru,
les papiers mâchés de Palekh.
Elle, famille juive d’Estonie, moi, juifs de ..
un peu toutes les Russies.
Son petit appartement dans un vieil immeuble a une
atmosphère « typiquement russe », tons chaud, couleurs,
coussins, peintures partout, miniatures, livres. Un curieux tableau grand
format d’une papaye ouverte en deux … qui m’a toujours fait rire.
Elle m’emmène
voir l’expo d’un ami peintre russe. Je l’emmène en voiture … ranger la cave de
son appartement trop petit, entrer dans une maison de repos de banlieue pour
quelques semaines, nous rendons visite à Francine Comte (féministe, mère de
quatre enfants et auteure d’un livre sur la maternité « Jocaste
délivrée ») atteinte d’un cancer.
Maya atterrit quelques semaines chez moi quand elle se casse
la cheville et ne peut plus rester dans son appartement sans ascenseur. Elle
fulmine contre mon fax : « tu ne maîtrise absolument pas cet
appareil ! » … pour sur !
Je lisais Yechayahou Leibowicz (letton
comme Maya puis israelien, « docteur » en série : chimie,
médecine, philo, auteur de nombreux livres de morale) une autre de nos passions
communes. Je lui prête le livre. Quelques mois après je passe chez elle, et je
lui demande si je peux reprendre le livre : elle me répond : « Il est aussi bien ici ! ». Le
communisme en action… si ça lui fait plaisir, il l’accompagnera ...
Maya était connue pour son caractère calme … enfin pas tout
à fait calme. Connue pour avoir fait politiquement les bons choix, enfin très
souvent, pour n’avoir jamais été fourbe ou méchante avec quiconque. Mais Maya
Surduts pensait que la politique est une affaire de rapport de force.
En 2004, je la mets en garde contre la présence de Tariq
Ramadan au Forum social européen, elle ne sait pas qui il est, elle pige vite,
elle ira avec Suzy Rojtman protester à l’entrée du FSE. Je lui fait part de mes
lectures et réflexions sur l’islam, au fur et
à mesure de mon étude de ce sujet. Elle approuve.
C’est grâce à elle et Sylvie Jan que, de nombreux pays
musulmans sont venues témoigner des femmes féministes, aux Assises pour les
droits des femmes en particulier. Mon amie Shoukria Haïdar, notamment, tadjik,
communiste, féministe … et alliée avec Massoud.
Puis, à un moment … elle me dit : « Tu sais qu’il y a
d’autres problèmes que la laïcité ! ». Je suis peut-être un peu
obsédée en effet, pensais-je, mais d’un autre côté, si l’islam l’emporte ici,
comme il l’a fait en Iran, en Algérie, nos problèmes féministes on pourra se
les carrer quand même !
Quelques temps après, un nouveau drame, encore une jeune
fille abominablement meurtrie au nom de l’islam : moi qui crains je l’avoue
de m’exprimer en public sur ce sujet, je craque, j’appelle Maya, je lui dis
qu’il faut que j’explique aux filles les causes de ces actes, qu’il ne suffit
pas, comme le mouvement des femmes le fait depuis des décennies, de s’en
prendre aux effets, mais qu’il faut maintenant parler du droit islamique. Elle
me répond, presque en murmurant : « Tu ne peux pas venir, si tu
parles de ce sujet, le Collectif explose ». Elle dit vrai, sans doute, le
Collectif exploserait …
Je suis convaincue qu’elle fait le pire des choix, mais je
la comprends. « On fait avec ce qui reste » disait-elle. Rapport de
force oblige. Pensée du rapport de force qui emprisonne.
Quelques temps plus tard encore je suis attaquée par les
filles de Prochoix, comme je l’ai écrit dans des articles précédents. Je lui
demande son aide. Elle me répond, murmurant encore : « Ces filles
sont capables de tout, ce sont des tueuses. Mais je dois te le
dire franchement : je ne peux pas t’aider, le Collectif ne le comprendrait
pas … ». Un jour Maya m’avait dit « Je suis une gentille
moi ! ». C’était drôle étant donné ses engueulades fameuses, mais
c’était vrai : gentille, franche, faisant passer la cause défendue avant
beaucoup de choses, et parfois à regret …
Notre seul désaccord fondamental portait sur les
corneilles : elle trouvait ces oiseaux beaux, elle admirait le spectacle
d’une corneille dans le parc devant la chambre de sa maison de repos … je les
trouve horribles, j’aime les moineaux.
Maya avait peur de vieillir, « je suis très
fatiguée » m’avait-elle juste dit il y a deux mois, lors d’un colloque sur
la GPA. J’aurais préféré qu’elle vieillisse quand même un peu plus …
elisseievna
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