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COVID et CRIMES

OUT LAWS

OUT - LAWS



Un temps les féministes pensèrent que les hommes s’étaient emparés de la loi à tout jamais, se déclarèrent out-laws et révolutionnaires radicales.» Aujourd’hui, le débat porte plutôt sur la norme : certains réclament aussi fort de la loi, qu’ils récusent la norme.
Faut-il oui ou non des normes (de droit) et lesquelles ? Quelles incidences pour les femmes peuvent avoir cette curieuse vision du droit - oui à la loi non à la norme - ?



NORME / NORMALISATION


Norme peut signifier modèle uniforme, seul autorisé : interdit de principe, liberté limitée à un seul type. La normalisation facilite les échanges, linguistiques ou économiques, mais elle porte atteinte à la liberté individuelle.

Norme peut signifier limite, pose d'interdits : liberté de principe, interdit limité à des cas précis.
Poser des limites n'empêche pas l'existence d'un nombre illimité de modèles différents à l'intérieur des bornes posées.

A cause de la confusion entre norme et normalisation d'une part, à cause d'une conception relativiste selon laquelle rien ne saurait fonder un jugement des choix individuels, il règne aujourd'hui une forte idéologie du refus de tout interdit, de tout jugement, de toute loi fondée sur un jugement de valeur. Un puéril "interdit d'interdire".» mêlé sans peur de la contradiction, à la demande de "droits" et d'éthique.
Au risque, à défaut d'interdits et de limites, à force d'ultra libéralisme, de ne plus laisser de choix et de droits qu'aux plus forts : quid alors du droit de choisir des femmes ?

Le véritable droit de choisir, c’est celui de choisir librement, sans pression, sans tromperie, en toute connaissance de cause, sans être victime de dol. Liberté qui suppose un certain équilibre des forces entre tou-tes les décideu-ses, et donc pour empêcher le déséquilibre… des lois efficaces : des limites, des normes bien sûr, et la mobilisation pour les faire appliquer.



LOI : LA NORME DELIBEREE


La loi est la norme délibérée, discutée, réfléchie, étudiée en assemblée, (à la Douma.)

Seule la loi permet de penser les rapports de domination dans le "peuple", de soulever la chape de l'idéologie dominante. Sans espace (Agora) de débat, de pensée (pensée = "douma" en russe) commune, les injustices "traditionnelles" dans le "on" sont invisibles, impensées comme "injustices". Il n'y a même pas d'espace pour se demander ce qui est juste.

La loi n'est pas prétendue parfaitement juste, elle n'est que l'état d'un débat sur le juste, l'état d'une réflexion critique, raisonnée, argumentée, sur la domination, les discriminations, les injustices. La loi repose sur l'utilisation de la raison critique et du dialogue.

Le refus de la loi, du jugement et des interdits laisse le champs libre à la normalisation la plus coercitive qui soit, inconsciente de ses injustices : La norme instinctive, impensée.





NORME MORALE ET REFLEXION ETHIQUE


La loi est toujours la traduction d’une conception morale.
Refuser à la morale tout rôle dans la loi, a d’abord été utile pour la loi (selon notre conception morale), en tant que moyen de séparer l’Etat et l’Eglise, dont les partisans tendent à se présenter comme détenteurs de « la » morale.
La distinction entre la morale et le droit avait une valeur quand les conceptions morales voulaient que l’on punisse les « intentions », les « mauvaises pensées ». Ce que le droit doit s’abstenir de faire pour ne pas en revenir au droit de l’inquisition. Il est toujours sain d’écarter ces conceptions morales du droit, mais comme elles ont quasi disparues, elles ne représentent plus une menace pour celui ci.

Aujourd’hui, refuser de parler de morale, c’est à dire de réflexion sur le bien et le mal, comme étant la base de la réflexion sur la Loi, prononcer du bout des lèvres le mot d’éthique, comme s’il signifiait autre chose que morale et connaissance de la morale, conduit à une forme de renoncement à la réflexion dans le droit qui nous paraît toute aussi dangereuse que le dogmatisme religieux, parce qu’il ouvre la voix à des dogmatismes d’autant plus redoutables qu’ils s’ignorent eux-mêmes.

Ecarter la morale du droit correspond d’une part à une vision relativiste : « à chacun sa morale », donc le droit doit être « au-delà » des différentes conceptions morales, ou bien être lui-même distinct selon les morales de chaque catégorie ou communauté de personnes. Le danger de cette vision relativiste a souvent été dénoncé : pour résumer ici, on dira qu’elle légitime la double échelle morale qui soumet les femmes à des exigences, à une répression plus forte que les hommes, à un droit différent, sous prétexte qu’elles seraient « différentes ».
En tant qu’universalistes nous pensons qu’il n’y a pas « des » morales, mais « une » morale, « une » loi universelle pour toutes et tous. Seulement à la différence des dogmatiques et autres voix du Seigneur, qui se sentent branchés en direct sur la pensée de Dieu ou la nature et qui donc connaissent « la » morale et « les valeurs », nous pensons …que nous ne « la » connaissons pas (ou très peu), et qu’elle suppose le fait de réfléchir à la vision des autres de la morale (qui n’est pas une « morale des autres ») .

Le rejet de la morale en matière de droit, correspond d’autre part à une conception positiviste ou sociologiste du droit : le droit devrait refléter la réalité sociale, répondre à ses besoins, dans toute leur variété ; sans aucun jugement normatif. Le droit devrait se plier aux faits sociaux, rechercher seulement quelle « huile » il faut mettre dans les rouages sociaux pour leur permettre de fonctionner le plus aisément possible selon leur propre réalité. Bref, le droit devrait se contenter d’incarner, de transcrire au mieux la coutume. Cette conception nous paraît être celle du Doyen Carbonnier, qui n’a de cesse de louer la coutume (voir ci dessous) et de demander si « Toute loi en soi est un mal ? » .

Là encore, la réflexion sur le bien et le mal est évacuée du domaine législatif, et cela nous paraît extrêmement dangereux, pour les femmes comme pour tout le monde.

A écarter ainsi la réflexion morale du droit, on court en effet le danger de retomber dans un dogmatisme qui ne dit pas son nom, dans une croyance à un droit « naturel », à une morale « naturelle », « naturel-les » au sens de qui vont de soi, qui est « évident », dont il n’y aurait pas à discuter, et surtout, c’est là ce qui est grave, auquel il est inconcevable de s’opposer.
C’est bien là le danger majeur du rejet de la norme, surtout lié à l’appel à de la loi.

Actuellement, le refus de la norme, se traduit par une conception morale selon laquelle il serait interdit d’interdire, il faudrait respecter les « libre choix » des un-es et des autres, juger serait un acte répugnant, toute restriction à ces choix serait une atteinte, condamnable, honteuse (mais pas explicitement « immorale ») aux droits fondamentaux (mais pas explicitement « une faute »).
Pour ceux et celles, et ils sont nombreux actuellement, qui partagent cette vision, dénoncer une liberté est à priori répréhensible, porter un jugement suscite à priori une réaction d’indignation. Lorsque l’on essaie de leur dire que telle « liberté » doit être dénoncée parce qu’elle permet que l’on porte atteinte à autrui, ils sont sourds ! Sourds et souvent furieux.
Quand on leur dit en particulier que telle ou telle liberté porte atteinte à des femmes, ils vous répondent qu’ils ne les contraignent à rien et qu’elles sont la liberté de se défendre. Vision totalement idéaliste, irréaliste, où la réflexion sur les rapports de force et de domination est réduite au zéro le plus absolu.
Le pire est qu’ils demandent des lois, pour garantir ces prétendues libertés qui leurs paraissent être des droits si indiscutables, si évidents. Des lois c’est à dire la possibilité de mettre la force publique au service d’un rapport de force qui est déjà un rapport de domination. Imposer sa domination et le silence, au nom d’une prétendue vérité, c’est bien la logique de toute tyrannie idéologique.

Pour notre part, nous tenons à la réflexion sur les normes morales, qui doivent faire partie des « normes délibérées ».



COUTUME : LA NORME INSTINCTIVE


La coutume est l'usage qui est reconnu par "on", et devant les juges dans certains cas, comme obligatoire.
La coutume est une "norme instinctive" parce qu'elle se réclame du "génie», de l'instinct du peuple, "Volkgeist" (l'esprit du peuple). Certains idéologues et juristes éminents lui attribuent du fait de son origine dans le "souverain" peuple, une valeur suprême, supra-constitutionnelle.
La coutume c'est l'idolâtrie de l'instinct.

La coutume peut apparaître comme l’expression d’une démocratie idéale, le reflet d’une sagesse, d’une création par le peuple des normes dont il a besoin avec toute la souplesse et le réalisme voulus, loin des visions abstraites ou technocratiques ; toute loi, venant perturber ce processus, peut alors apparaître comme un mal.» à condition d’oublier de se poser la question des rapports de force et domination sociale.

Evidemment, les laudateurs de la coutume refusent de se demander qui dans le "on" considère comme juste et rend obligatoire la coutume, c'est à dire qui domine qui dans "le peuple souverain". Ils refusent de considérer qu'il est juste de modifier les traditions du peuple, ou de forcer leur évolution "spontanée", au nom de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Le fait que les coutumes reflètent et confortent des rapports de domination n’est pas forcément manifeste.
Les coutumes oppressives paraissent souvent si "évidentes", si naturelles aux groupes dominants qu'ils ne les incluent même pas dans les écrits ou les législations pouvant traduire ces coutumes, lesquelles ne régissent que les rapports des dominants entre eux. Elles n’apparaissent alors pas explicitement.
Il faut, pour comprendre ce phénomène, réfléchir à ce qu’est un conflit. Les conflits entre deux parties trop inégales, sont vite, quasiment immédiatement, étouffés : l’un assène, impose sa « loi » à l’autre, point. Le conflit est ainsi « résolu » avant d’avoir eu le temps de surgir, ne serait ce qu’à la conscience des deux parties en présence. La revendication éventuelle de celle qui est écrasée, n’est pas formulée, pas pensée. C’est pourquoi les « dominés » n’ont souvent pas conscience de l’être.
Le conflit n’étant pas explicite, les règles qui gouvernent son règlement ne le sont pas non plus. Elles n’en existent pas moins, attestées par les faits, si l’on se donne la peine de les analyser.

Par contre, face à des puissances supérieures qui contesterait le mode de règlement de ces conflits, le groupe dominant d’un « peuple » défendra farouchement, explicitement, sa souveraineté "législative" dans les domaines régissant les groupes opprimés, au nom du particularisme irréductible et sacré de leur façon d'opprimer, d'opprimer les femmes par exemple. Mais bien sûr, il le fera en se présentant lui-même comme dominé, il le fera au nom du droit de son groupe tout entier à la souveraineté. Grâce à cette tromperie, il pourra même être soutenu dans cette prétendue revendication d’indépendance, par les groupes dominés eux-mêmes, (comme on l’a vu malheureusement avec les femmes Iraniennes par exemple).

L'importance des médias peut donner à croire que la coutume, c'est à dire la norme légitimée, adoptée par le "peuple", l'opinion publique, se forme, aujourd'hui, comme la loi, grâce aux médias, à la suite d'un débat, et qu'il suffira bientôt d'un sondage pour déterminer la loi.
Il nous apparaît évident, que le débat démocratique nécessite des formes, permettant un véritable dialogue, un échange raisonné des arguments, un lieu d’écriture des textes, que les médias ne permettent pas : « "n'entrons pas dans les détails techniques, s'il vous plait pour nos auditeurs".»
L'aspect le plus ennuyeux pour les femmes de cette tendance actuelle au débat-spectacle, c'est la pression exercée par les médias sur les intervenants pour qu'ils ou elles parlent d'eux même : la vie privée doit faire partie du spectacle. Ainsi, les médias tendent à dénier le droit au respect de la vie privée, de façon moins claire mais tout aussi contraignante que le « d’où tu parles ? » de 1968, et suivant la même logique : « de chez moi » aurait répondu Pierre Dac, « alors parles-nous de chez toi ».»
Or le combat pour le respect du secret de la vie privée est toujours d’actualité pour les femmes, parce que précisément, étant le corollaire du droit à disposer de soi même, la coutume le leur a quasiment toujours dénié.


« La désuétude.. on entend par là la disparition d’une règle que plus personne n’applique depuis longtemps. Mais c’est un phénomène refusé par le droit. (.»). Le juge saisi ne peut faire autrement qu’appliquer ces textes-là, s’il ne dispose officiellement d’aucun argument de droit pour établir qu’ils ont été officiellement supprimés de l’ordonnancement juridique par l’effet d’une norme juridique ultérieure contraire, abrogeant ou modifiant la précédente. D’ailleurs on est bien en peine de citer des exemples de désuétude parlants, on pense parfois à l’interdiction faite aux femmes de porter le pantalon, dont il semble qu’elle n’ait jamais été abrogée. Cela ne va pas bien loin. »
Auriez vous espéré que la coutume pourrait jouer en notre faveur ? Vous voilà désillusionnée. Le seul exemple qui vient à l’esprit de ce juriste concerne en fait une exception qui conforte la règle : l’interdiction du port du pantalon, sous peine d’être cataloguée « non féminine » est loin d’être désuète.» dans la coutume actuelle.
Le pire est qu’il oublie l’article L 323-36 du Code du Travail sur l’emploi obligatoire des pères de famille et d’autres textes peut-être.
Toute loi n’est pas mauvaise en soi.» sauf les « désuètes » !



DE LA DEFINITION, COMME « FENETRE OUVERTE SUR LES MŒURS » DANS LA LOI.»


Le droit repose sur des syllogismes : tout paraît donc réglé mathématiquement : soit l’on est dans la situation définie, et la loi s’applique, soit l’on est dans une autre, soumis à une autre loi.
Mais rien n’est mathématique, car une définition n’est jamais qu’un assemblage de concepts qui l’ont rien d’objets mathématiques, dont chacun peut prêter à de multiples définitions différentes…
Est-on dans tel cas dans la situation définie ou non ? Les meilleurs logiciens ne pourront pas le dire s’ils ne s’entendent pas sur les termes définissant ladite situation… Les juges, ne pouvant commettre de déni de justice, le disent parce qu’ils sont obligés de le dire, et souvent en inventant le droit, en contredisant une interprétation précédente, ou en définissant de nouvelles distinctions dans la situation.

Si une notion de la loi n’est pas définie par la loi, qui la définira ? La coutume bien évidemment, le « sens commun » dominant.
Jean Carbonnier parle de ces notions juridiques qui seraient des « fenêtres ouvertes sur les mœurs » : il cite par exemple.. la notion de faute elle-même, qui peut être « le manquement à une règle de droit aussi bien qu’à une règle de mœurs » .
La définition est bien la porte ouverte à la coutume dans la loi ; plus ou moins grande ouverte selon la précision que le parlement veut bien donner à ses notions.
Il est clair que si une notion peut être entendue différemment selon la conception que l’on se fait des droits des femmes, le flou des définitions ne peut que renvoyer à l’ « évidence » apparente des préjugés sexistes dominants.


.» ET DES CONSEQUENCES DE CETTE PERMEABILITE EN DROIT PENAL


La croyance à la précision de la définition juridique est particulièrement répandue à propos du droit pénal. Certes le droit pénal est restrictif, mais cela signifie seulement que la liste des infractions et ses définitions, les éléments constitutifs des infractions qu’il réprime, doivent être entendus de manière restrictive : cela ne signifie pas qu’elles sont précises en soi.
Le législateur devrait même, selon certains théoriciens, se garder de les rendre trop précises, sous peine d’avoir à y revenir sans cesse pour les adapter aux nouvelles variantes des faits qu’elles décrivent.

Qu’est ce qu’une atteinte sexuelle ? Vous ne trouverez nulle part dans le Code Pénal la définition de ce concept, donné en quelque sorte comme primaire, évident, par le législateur. Alors qu’il n’a bien sur rien d’évident.
C’est ainsi qu’une Cour d’appel a pu juger qu’une main aux fesses n’était pas une atteinte sexuelle car selon elle, seul un contact entre deux sexes pouvait être une atteinte sexuelle. Cette décision n’est que le reflet d’une conception masculine « traditionnelle » selon laquelle certains comportements agressifs envers les femmes sont tolérables, admissibles, parce qu’ils ne seraient pas vraiment agressifs, pas vraiment graves. Le juge n’a donc pas à s’en préoccuper : « de minimis non curat praetor » .

Pour étendre (ou au contraire le restreindre) le domaine d'application de la loi pénale, il n'est pas toujours nécessaire de créer de nouvelles incriminations (ou d'en supprimer) : il suffit donner une acception, une définition plus précise du fait incriminé, en montrant un des aspects de ce fait jusque là "invisible" aux yeux des juges (ou au contraire en précisant que tel événement n'est pas une manifestation de ce fait).
Ce qui signifie que la restriction de la loi pénale peut être très sournoise et hypocrite : vous avez toutes les lois pour vous protéger contre des offenses dira-t-on aux plaignantes, en faisant mine de ne pas voir… que ces offenses ne sont même pas "vues" comme des offenses possibles par le juge.



POLITESSE (BONS USAGES, GALANTERIE, CIVILITE ET TUTTI QUANTI) :
LA NORME IMPENSEE


Une noble russe à qui l’on demandait les règles du savoir-vivre, répondit « O vous savez, il n’y a pas de règles, il faut seulement faire en sorte que tout le monde se sente bien. »
Le contraire de la tactique du gendarme . La règle de politesse tue la politesse ; mais comme bien peu le savent, examinons ces « règles » qui correspondent à nombre de contraintes sociales.

Le « bon » usage (linguistique ou autre), le savoir-vivre, la politesse sont les usages reconnus « bons » par "on".
La politesse est la "norme impensée", parce que la politesse est une règle qui refuse de se penser.

Conformisme et Conservatisme

Le respect des autres est souvent cité par les manuels de savoir-vivre comme fondement des règles de politesse. Mais la relation entre telle ou telle règle énoncée et le fait de respecter autrui, est rarement démontrée par leurs auteurs.
Le bien fondé de ces règles leur apparaît comme évident, et en tout état de cause, le conformisme étant en soi pour eux une valeur, suivre les règles que l’ «on » suit, serait un bien pour la seule raison que tout le monde les suit.
La morale de la politesse est celle du conformisme, et du conservatisme :
- le bien est la coutume : ce qui est et a toujours été fait, et qui vient peut être de l’instinct,
- le bien est qu’il y ait une règle et que tous s’y plient uniformément, sans réfléchir, sans la remettre en cause.
Ceux qui se dérobent aux us seront justement punis, la punition va jusqu’au bannissement.
La morale de l’usage est aussi celle de l’irresponsabilité : « on » c’est personne. Nul n’est l’auteur de la règle, qui aurait sa propre vie, nul n’a à en répondre. Les auteurs de manuels ou grammaires disent se référer à l’usage existant, ne rien imposer par eux-mêmes.» tout en affirmant que l’usage évolue et en prétendant savoir quel est le « bon ».

Les guides vous « expliquent » :
« Ce que vous trouverez dans ce livre ne vous paraîtra artificiel que dans la mesure où vous ne vous serez pas suffisamment regardé en face pour reconnaître vos devoirs vis à vis de vous-même et envers le monde qui vous entoure. Y vouloir échapper n’aboutit à rien d’autre que se vouer à des ennuis supplémentaires. Suivre, sans s’y perdre, les lois de l’usage, c’est s’accorder à soi -même la paix la plus sûre et le maximum de liberté. »

Vaugelas, grammairien du XVII°, insiste :
« .»tant s'en faut que j'entreprenne de me constituer juge des différends de la langue que je ne prétends passer que pour un simple témoin qui dépose ce qu'il a vu et ouï, ou pour un homme qui aurait fait un recueil d'arrêts qu'il donneroit au public. C'est pourquoi ce petit ouvrage a pris le nom de Remarques et ne s'est pas chargé du frontispice fastueux de Décisions ou de Lois ou de quelque autre semblable ; car encore que ce soient en effet des lois d'un souverain, qui est l'usage, (.») j'ai dû éloigner de moi tout soupçon de vouloir établir ce que je ne fais que rapporter."
"Il en est de l'usage comme de la Foy, qui nous oblige à croire simplement et aveuglément, sans que nostre raison y apporte sa lumière naturelle.» néanmoins nous ne laissons pas de raisonner sur cette mesme foy et de trouver de la raison aux choses qui sont par dessus la raison."

Michel Lacroix commente :
« L'homme poli (..) s'il est conformiste, c'est parce qu'il entend s'affirmer comme membre du groupe. Les règles de bienséance sont des signes d'adhésion, des protestations d'unité. Ce sont autant de témoignages de solidarité, - de cette solidarité minimale qui consiste à se reconnaître membre d'un groupe et à vouloir qu'il dure. »
« Se conformer à l'usage : telle est une des maximes qui expriment le plus adéquatement la morale du savoir-vivre. " Ce qui se fait", "What is done" - nous découvrons tout un mode de pensée dans lequel ces simples mots vont souvent tenir lieu de justification. La sphère des convenances exclut tout débat intérieur. L'esprit de libre examen n'y a guère droit de cité. Ce que le savoir-vivre demande, c'est une baisse de régime des facultés rationnelles. Les convenances semblent très bien s'accomoder du sommeil de la raison. (…)
Corrélativement, on observe une valorisation du passé, une exaltation de la tradition. Dans le discours de la politesse, une règle valable est une règle qui a subi l'épreuve du temps. La légitimité des convenances découle de la durée. L'ancienneté est un argument et il est significatif de voir que le savoir-vivre revendique un statut de "droit coutumier" (Aline Raymond Le savoir-vivre, les usages, le monde. Paris Bibliothèque de la Maîtresse de Maison, 4 eme édition, 1909 pXVI). Les auteurs (…) résistent au changement.(…) L'image qui se présente volontiers sous leur plume pour traduire ce tempo lente de l'évolution des manières est l'arbre. (…) Des branches se détachent de temps à autres tandis que de jeunes rameaux amorcent leur croissance. Si la politesse change, ce n'est qu'à la façon d'un arbre. »

Michel Lacroix relève la fréquence de la référence éthologique dans les manuels récents :
« Convoquer l'animal dans un livre de civilité c'est une façon de dire "Entre l'homme et l'animal, il n'y a pas de solution de continuité; hommes et bêtes se ressemblent par leurs rites, qui s'inscrivent dans un fond biologique commun." (…) La pensée des auteurs n'a plus qu'à se couler dans un syllogisme : Les animaux ont un savoir-vivre instinctif. Or l'homme appartient au règne animal. Donc une part au moins du savoir-vivre humain relève de l'instinct."

Régression du langage au signe

Le caractère « impensé » de la politesse est lié à sa nature de « signe », de code.
La politesse est un ensemble de codes censés faciliter la vie quotidienne, en déjouant heurts et conflits, en faisant gagner du temps dans la communication. Des signes qu’il faudrait avoir le réflexe de faire sans réfléchir, par exemple tendre la main droite signifie qu’elle n’est pas armée. La politesse est aussi censée apprendre « la vertu » aux enfants, avant qu’ils soient en âge de réfléchir, par imitation. " Apprendre à un enfant à dire " S'il vous plaît" ou "Merci, maman", c'est lui apprendre à être reconnaissant. Le respect s'apprend dans ce dressage. "

L’ennui avec les signes c’est qu’ils sont ambiguës. Derrière la forme de la politesse, et en particulier de la galanterie, peut se masquer la réalité de l’agression perverse, à commencer par l’humiliation de ceux et celles qui ne détiennent pas les codes.

La galanterie fait toujours référence à la supériorité de la force physique de l’homme.
Par une attitude « galante», un homme peut :
- agir envers une femme simplement comme il agirait envers un autre homme physiquement moins fort, ce qui est « moral ».
- ou bien, ce qui est réellement aimable, lui signifier qu’il est bien décidé à ne pas abuser de sa force, car ce serait : "Ce qu’on appelle agir de Turc à Maure, et non pas en gens d’esprit." .
- ou bien au contraire lui signifier perversement : "tu vois comme tu es à ma merci"…tout en niant la menace dissumulée par l’apparence polie.

Valoriser excessivement ces codes pour eux-mêmes, tend à faire régresser la communication et la réflexion à un stade antérieur au langage, à empêcher la communication : il serait convenable de « faire comprendre » par des sous-entendus, il ne serait « poli » de ne pas parler de certaines choses, il faudrait rester dans le non-dit, savoir que tel comportement « veut dire ».» Une raison de plus donnée aux femmes pour les faire taire.
Quant au « dressage » des enfants à la politesse, on peut se demander s’il n’a pas pour effet, comme toute « pédagogie noire » une sidération de la pensée à propos des comportements ainsi inculqués, un apprentissage de la soumission à l’autorité.

Conséquence logique du refus de réfléchir au bien et au mal, ce ne sont plus les anciennes leçons de « morale » qui sont données, mais des leçons de «civilité ». Comme si une injure, une destruction, étaient autre chose que des violences physiques et verbales et des injustices. A quoi bon apprendre aux adolescents qu’il y aurait des choses, règles de « civilité » ou autre, qui vont tellement de soi qu’on ne les discute pas, au risque de les enfermer dans les préjugés machos et autres ? Il vaut mieux les aider à utiliser la raison dont ils ont largement passé l’âge pour réfléchir à leurs actes, aux rapports humains, au racisme, au sexisme, à l’homophobie, aux rapports de domination.»etc.

Minizup et Matuvu

Ce que les laudateurs de la politesse, comme ceux de la coutume, ne veulent bien sûr pas voir, c’est qu’il y a dans la « société » dont la cohésion est présentée comme valeur première, des groupes qui sont pas soumis exactement aux mêmes contraintes par la « politesse ».

Il y a d’une part, une forme d’hypocrisie dans la présentation du fondement de la politesse. Censée être trait d’union et source d’harmonie, elle est aussi signe de distinction, et instrument de ségrégation, d’humiliation.

D’autre part, il est imposé à certaines d’êtres plus polies que d’autres.»
« Les femmes, en effet, sont dressées à être des dames.. Le respect des tabous verbaux, le maniement de l’euphémisme, le langage châtié, font partie des structures de politesse. Les femmes sont censées être plus polies que les hommes, lesquels ne sont censés être polis qu’en présence des dames. (.») D’une façon générale, la pression sociale dans le sens de ce jeu de la politesse s’exerce plus sur les femmes que sur les hommes. ». Marina Yaguello
« Il est surtout du devoir des femmes d’user de politesse envers tout le monde, même à l’égard des gens les plus grossiers. » J.B.J. de Chantal cité par Benoîlte Groult .
Or la politesse obligeant systématiquement à céder la préséance, elle est souvent impraticable si l’on veut préserver ses intérêts, ou d’une manière générale, mener à bien toute entreprise supposant une lutte ou une concurrence avec les autres. Aux hommes politiques, aux managers, on demande plutôt de montrer qu’ils sont capables d’être tout sauf réellement polis face aux adversaires, parce qu’ils doivent se montrer avant tout capables de vaincre.

" Se ganter serré, se chausser serré, s'habiller serré sont une même chose : l'aveu d'une petite nature; un être noble à quelque classe sociale qu'il appartienne est avant tout un être qui ne veut pas, qui ne peut pas être gêné." Princesse Bibesco
Personne ne discute des usages vestimentaires, la pensée s’arrête ici à quelques formules « respect de soi-même et des autres » : effet du dressage infantile ? Mais si les hommes commencent à se plaindre de la cravate qui sert, ce sont les femmes qui subissent les pieds bandés, corsets (contre lesquels les féministes, et pas seulement « mademoiselle » Chanel, ont mené bataille), jupes droites, talons, cosmétiques, chirurgie esthétique etc.»
Elles n’auraient pas d’ »autorité naturelle » : dans une jupe entravée, on ne peut pas avoir une gestuelle très assurée. Elles auraient une santé fragile, seraient moins disponibles : en portant talons, jupes et tailles serrées, on est forcément sujettes à insuffisance circulatoire, maux de dos, de tête et d’intestins, ce n’est pas la faute à Hormone, et le temps perdu pour chercher le rouge à lèvre etc.. n’est ni de travail ni de repos.



LA TYRANNIE DE L'IMPENSÉ


Les règles imposées par le « on », ne sont le plus souvent que le reflet de la loi du plus fort, imposées au point que l’on n’en a plus vraiment conscience.

La force de la coutume ou des usages vient simplement d’abord de l’ignorance du droit : qui a appris qu’il existe en France une hiérarchie des normes ?
Par exemple, bien des français, et non des moindres, croient que les règles de grammaire sont législatives. " En qualité de président de l'AFP, je me dois de respecter la légalité académicienne" déclare Jean Miot au Figaro …

Elle vient encore de la rationalisation.
De toute façon les témoins de l’Usage ont une raison, même s’ils ne voient pas bien laquelle.
" Quand une opinion n’a d’autre base que le sentiment , plus elle sort maltraitée d’un débat, plus les hommes qui l’adoptent sont persuadés que leur sentiment doit reposer sur quelque raison restée hors d’atteinte. Tant que le sentiment subsiste, il n’est jamais à court de théories; il a bientôt réparé les brêches de ses retranchements". (Jean Poulain de la Barre De l’égalité des deux sexes 1ère édition en 1673 Ed.Fayard 1984.)

Le plus grave est que ces règles imposées par les normes instinctives ou impensée prennent rang de normes naturelles et sacrées à la fois.
Ce dont on ne connaît pas la raison, ce devant quoi la pensée a été sidérée, ne peut avoir qu’une raison cruciale. C’est pourquoi, à cause de leur « évidence » ces règles sont perçues comme fondamentales, comme des piliers du monde, des lois que nulle ne peut ignorer. Leur violation paraît inconcevable, blasphématoire, impardonnable, folle, elle effraye comme la violation d'un tabou, elle est réprimée férocement, viscéralement. Les insoumises, qui ne font que se défendre contre l'injustice, sont perçues comme agressives, criminelles et répugnantes.
Ce qui va de soi, ne pourrait aller autrement, celles qui vont autrement, portent atteinte à ce qui est, ce sont des criminelles, à la fois faibles et ridicules face au groupe, et dangereuses pour lui.

Plus raisonné, le rejet de la norme contribue aussi au règne de l’impensé : le refus de la norme c’est le refus de voir les normes qui se mettent en place, par la répétition des faits, le refus de voir l’impensé. Refus de voir l’ »impensé » et croyance à une pensée évidente de l’éthique, à de l’indiscutable, voici bien que se profile une attitude tyrannique , « Stal », contre celles et ceux qui osent porter atteinte à ces libertés évidentes.

Le législateur devra donc redoubler de vigilance pour lutter contre les injustices et discriminations venant de la coutume et des usages, contre cette tyrannie souvent sournoise , et demander raison à toutes les revendications, même celles faites trop « évidemment » au nom de la liberté.

Daniele Trudeau explique que les inventeurs du bon usage au XVII° reléguèrent la raison au second plan, au moment où l’allégeance de tous à un bien commun, manifestée par l’uniformité des usages et de la langue en particulier, devait permettre la formation de l’Etat français.
« L’usage est souverain » pour Vaugelas. Traduit clairement en langage politique, ce lieu commun correspond à la pire forme de tyrannie : le souverain n’est ni le peuple, ni l’élite, ni le Roi, ni même une loi divine que tout le monde connaitrait, mais une entité, dotée d’une rationalité supérieure et sacralisée, que personne ne maîtriserait. Depuis, du Volkgeist, on tend à passer dans la référence à ces entités « Majuscules » à Poltergeist.
Nous reviendrons dans un prochain article sur la nature de la tyrannie de l’impensé et son histoire récente, liée aux conceptions du langage et de la famille.



Elisseievna