Connaître l’islam tel qu’il est par le Texte et non tel qu’on voudrait qu’il soit.
En arabe, le mot islam (إسلام islâm) signifie
littéralement « soumission ». Ce substantif, d’un point de vue grammatical, est
le nom d’action de la quatrième forme construit avec les trois consommes S – L
– M (م – ل– س) constitutives d’une racine trilitère commune avec l’hébreu (ם – ל – ש) et l’amharique. Le mot ne doit pas être
confondu avec le sens général de la racine dont il est issu. En effet, si cette
racine évoque la paix [salâm (سلام) en arabe, chalôm (שלום) en hébreu et selami (ሰላም) en amharique], le troisième
monothéisme se veut une soumission très stricte au Dieu unique d’Abraham et
n’écarte nullement la violence contre les récalcitrants (1) . C’est ainsi que
Muḥammad (محمد) (2) que nous appelons Mahomet (env. 570 - env.
632) a révélé sa doctrine, présentée comme un retour aux sources de la « vraie
foi », dénaturée par les juifs qui « ont encouru la colère de Dieu » et les
chrétiens « qui sont égarés » (3) .
En français le mot islam peut avoir
deux acceptions. Il peut s’entendre comme la troisième religion abrahamique
révélée par le sceau des prophètes (4) ; il peut aussi se définir comme une
civilisation (par ailleurs très
brillante) (5). C’est le premier sens qui retient ici notre attention.
Pour le musulman pieux, l’islam est
la seule religion véridique. Celle qui rétablit le culte sincère d’un
monothéisme absolu (tawḥîd توحيد), celui qu’a prêché
Abraham et qu’ont successivement trahi les juifs et les chrétiens (6).
L’islam repose sur 5 piliers (arkân
al-islâm أركان الإسلام) traditionnels qui sont
la profession de foi (ach-chahâdah الشهادة), la prière (aç-çalâh الصلاة) effectuée à 5 reprises
dans la journée, l’aumône institutionnelle (az-zakâh الزكاة), le jeûne du mois de
Ramadan (çawm chahr ramaḍânصوم شهر رمضان) et le pèlerinage (al-ḥajj
الحج). À ces obligations, on peut ajouter celle de la guerre sainte
(al-jihâd الجهاد) pour la défense –
toujours – et l’expansion de la foi – lorsque le contexte y est favorable –.
Une place tout à fait particulière
est dévolue au « Texte » fondateur de cette religions. Allah (الله), par l’intermédiaire de
l’ange Gabriel, a dicté au Prophète le Coran (al-qur’ân القرآن) qui signifie
littéralement « la récitation » : parole inimitable et parfaite. Celle-ci, bien
évidemment, ne peut être contredite sauf à se rendre coupable de blasphème,
passible de mort. Le Coran, d’un point de vue musulman, est « Le » livre saint
par excellence. Il émane directement de Dieu et Mahomet n’en est que le
transmetteur (et surtout pas l’auteur). Le croyant, en aucune manière, ne peut
aller contre la lettre coranique (7) car ce serait s’opposer à Dieu lui-même
dont la volonté demeure absolue, immuable et intemporelle.
Le Coran a été révélé au Prophète
pendant une vingtaine d’année de 610 à 632 (année officielle de sa mort). On
prétend qu’il « est descendu » dans l’esprit de Mahomet. Historiquement, cette
« descente » (إنزال) concerne deux époques
bien différentes de la vie de Muḥammad :
- La
période mecquoise (610-622) durant laquelle Mahomet, en proie à la ferme
hostilité de ses concitoyens, vit isolé et menacé. Il compte alors peu
d’adeptes. Le message divin, essentiellement eschatologique, insiste sur la
nature du dieu unique et le culte qu’il faut lui rendre.
- La
période médinoise (622-632) durant laquelle le Prophète organise un État, sous
forme théocratique, à Médine où il vient d’immigrer (l’Hégire de hijra هجرة « immigration »). Le ton
de la parole divine devient législatif et sociétal, tranchant singulièrement
avec le temps de La Mecque. Il est nettement moins tolérant pour ne pas dire
franchement agressif.
Les sourates (8) révélées lors de
ces deux époques apparaissent souvent contradictoires et cela n’a pas échappé
aux contemporains de Mahomet. Ce dernier a alors expliqué qu’un verset plus
récent dit abrogatif (ناسخ) venait en remplacement
d’un autre plus ancien dit abrogé (منسوخ). C’est ce qu’exprime le
verset 106 de la Sourate II :
مَا نَنْسَخْ مِنْ آيَةٍ أَوْ نُنْسِهَا نَأْتِ بِخَيْرٍ مِنْهَا أَوْ
مِثْلِهَا أَلَمْ تَعْلَمْ أَنَّ اللَّهَ عَلَى كُلِّ شَيْءٍ قَدِيرٌ
« Nous n'abrogeons aucun verset,
Nous n'en faisons oublier aucun sans le remplacer par un autre qui soit
meilleur ou équivalent. Ne sais-tu pas que Dieu est tout puissant ? »
(Traduction d’Albert KAZIMIRSKI DE BIBERSTEIN, 1869, le verset chez ce
traducteur est numéroté 100.)
« Dès que nous abrogeons un verset
ou dès que nous le faisons oublier, nous le faisons oublier, nous le remplaçons
par un autre meilleur ou semblable. [Cf. XVI, 101 ; XXII, 52] – Ne sais-tu pas
que Dieu est puissant sur toute chose ? – » (Traduction de Denise MASSON, 1972,
p. 20.)
Le fait est rappelé par le verset
101 de la Sourate XVI révélé pour défendre Muḥammad alors accusé d’arranger le
texte au mieux de ses intérêts personnels :
وَإِذَا بَدَّلْنَا آيَةً مَكَانَ آيَةٍ وَاللَّهُ أَعْلَمُ بِمَا
يُنَزِّلُ قَالُوا إِنَّمَا أَنْتَ مُفْتَرٍ بَلْ أَكْثَرُهُمْ لَا يَعْلَمُونَ
« Si nous remplaçons dans ce Koran
un verset par un autre (Dieu connaît mieux que qui que ce soit ce qu’il
révèle), ils disent que tu l’inventes toi-même. Non ; mais la plupart d’entre
eux ne savent rien. » (Traduction d’Albert KAZIMIRSKI DE BIBERSTEIN, 1869, le
verset chez ce traducteur est numéroté 103.)
« Lorsque nous changeons un verset
contre un autre verset [Cf. II, 106] – Dieu sait ce qu’il révèle – ils disent :
“Tu n’es qu’un faussaire [litt. : inventeur (d’un mensonge)] !” Non !... Mais
la plupart d’entre eux ne savent pas » (Traduction de Denise MASSON, 1972, p.
336.)
Cette règle impliquant l’adaptation
du texte divin à des contingences humaines est difficilement compatible avec
l’intemporalité divine. Elle pose d’ailleurs, aux exégètes, de redoutables
problèmes théologiques qui ne sont toujours pas résolus de façon satisfaisante
sauf à admettre que Mahomet et/ou d’autres hommes sont à l’origine du Coran ou
l’ont manipulé (9). Une telle suggestion est un blasphème. Pourtant ce principe
d’abrogation a permis à l’immense majorité des autorités religieuses, depuis
les débuts de l’islam, d’expurger – en pratique – tous les passages «
pacifiques » (période mecquoise) pour appliquer ceux, très violents, révélés
plus tard (période médinoise). Ainsi, par exemple, le verset dit « du sabre »
qui proclame (Coran IX, 5) :
فَإِذَا انْسَلَخَ الْأَشْهُرُ الْحُرُمُ فَاقْتُلُوا الْمُشْرِكِينَ
حَيْثُ وَجَدْتُمُوهُمْ وَخُذُوهُمْ وَاحْصُرُوهُمْ وَاقْعُدُوا لَهُمْ كُلَّ
مَرْصَدٍ فَإِنْ تَابُوا وَأَقَامُوا الصَّلَاةَ وَآتَوُا الزَّكَاةَ فَخَلُّوا
سَبِيلَهُمْ إِنَّ اللَّهَ غَفُورٌ رَحِيمٌ
« Les mois sacrés expirés [Les
quatre mois : chawwal, dhoulcada. dhoulhiddjé et moharram.], tuez les idolâtres
partout on vous les trouverez, faites-les prisonniers, assiégez-les et
guettez-les à toute embuscade ; mais s’ils se convertissent, s’ils observent la
prière, s’ils font l’aumône, alors laissez-les tranquilles, car Dieu est
indulgent et miséricordieux. » (Traduction d’Albert KAZIMIRSKI DE BIBERSTEIN,
1869.)
« Après que les mois sacrés se
seront écoulés, tuez les polythéistes, partout où vous les trouverez ;
capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades. Mais s’ils se
repentent, s’ils s’acquittent de la prière, s’ils font l’aumône, laissez-les
libres [mot à mot : laissez leur chemin (libre)]. – Dieu est celui qui
pardonne, il est miséricordieux. – » (Traduction de Denise MASSON, 1972, p.
224.)
Ce verset annule (parmi une centaine
d’autres) la célèbre formule « Nulle contrainte en religion… » (Coran II, 256)
:
لَا إِكْرَاهَ فِي الدِّينِ قَدْ تَبَيَّنَ الرُّشْدُ مِنَ الْغَيِّ فَمَنْ
يَكْفُرْ بِالطَّاغُوتِ وَيُؤْمِنْ بِاللَّهِ فَقَدِ اسْتَمْسَكَ بِالْعُرْوَةِ
الْوُثْقَى لَا انْفِصَامَ لَهَا وَاللَّهُ سَمِيعٌ عَلِيمٌ
« Point de contrainte en religion.
La vraie route se distingue assez de l’erreur. Celui qui ne croira pas à
Thagout [nom d’une idole] et croira en Dieu aura saisi une anse solide et à
l’abri de toute brisure. Dieu entend et connaît tout. » (Traduction d’Albert
KAZIMIRSKI DE BIBERSTEIN, 1869, le verset chez ce traducteur est numéroté 257.)
« Pas de contrainte en religion ! La
voie droite se distingue de l’erreur. Celui qui ne croit pas aux Thaghout [la
racine t – gh- t signifie parfois : « être rebelle ». La finale oût appartient,
en hébreu, au féminin pluriel. Ce nom qui paraîtra encore sept fois dans le
Coran, désigne probablement des idoles, à moins qu’il ne s’agisse de « démons »
considérés comme des « rebelles ».], et qui croit en Dieu a saisi l’anse la
plus solide et sans fêlure. – Dieu est celui qui entend et qui sait tout – »
(Traduction de Denise MASSON, 1972, p. 51.)
On ne peut éluder la question de la
femme. Certes, celle-ci a des droits mais elle demeure toujours dans un statut
inférieur au croyant. Cette inégalité (10) , constamment rappelée, scandalise
légitimement toute conscience sincèrement respectueuse de la déclaration des
droits de l’homme. Le musulman peut avoir quatre épouses, les battre si elles
lui manquent, jouir d’innombrables concubines. Bien entendu la réciproque n’est
pas possible. En matière de témoignage et d’héritage, la confiance et la part
concédées à la femme sont la moitié du crédit et du bien accordés au mâle.
Assurément de telles règles sont un mal pour la croyante.
Enfin, le Coran édicte sans aucune
ambiguïté l’infériorité des juifs et des chrétiens vis-à-vis des musulmans, la
mise à mort de ceux qui refusent son message.
On déduit de ces quelques remarques
combien il est difficile au croyant de s’extraire de la contrainte du Livre,
défini comme une vérité absolue qu’il faut éternellement et partout respecter,
voire imposer par la force au besoin. Cependant, on peut, croyons-nous,
distinguer le musulman du mahométan (11) . Le premier, bien qu’éduqué dans la
culture de l’islam, peut tout à fait s’en détacher ou avoir une pratique religieuse
très modérée car il ignore (ou refuse) les implications extrémistes des
enseignements coraniques. Le second, en revanche, est un activiste fanatique.
Il est persuadé de la véracité du message transmis par Mahomet qui demeure à
ses yeux l’indépassable « beau modèle » (أُسوة حسنة cf. Coran XXXIII, 21) :
لَقَدْ كَانَ لَكُمْ فِي رَسُولِ اللَّهِ أُسْوَةٌ حَسَنَةٌ لِمَنْ كَانَ
يَرْجُو اللَّهَ وَالْيَوْمَ الْآخِرَ وَذَكَرَ اللَّهَ كَثِيرًا
« Vous avez un excellent exemple
dans votre prophète, un exemple pour tous ceux qui espèrent en Dieu et croient
au jour dernier, qui y pensent souvent. » (Traduction d’Albert KAZIMIRSKI DE
BIBERSTEIN, 1869)
« Vous avez, dans le Prophète de
Dieu, un bel exemple pour celui qui espère en Dieu et au jour dernier et qui
invoque souvent le nom de Dieu. » (Traduction de Denise MASSON, 1972, p. 516.)
Le mahométan est sincère dans sa foi
exclusive qui l’amène, très logiquement et c’est fondamental, à appliquer à la
lettre des commandements barbares (12) datant du septième siècle. Depuis
l’installation du Prophète à Médine, l’interprétation littérale du Coran s’est
toujours imposée face à toutes les autres car c’est la plus cohérente dans le
paradigme (13) de l’islam.
Terminons cette brève présentation
en rappelant qu’il n’y pas de différence de nature entre « islam » et «
islamisme ». Cette distinction, opérée récemment en Occident mais qui
n’existait pas naguère, s’efforce de masquer un projet unique : imposer partout
où cela est possible une théocratie telle que l’a organisée Mahomet à Médine
dans les dix dernières années de sa vie. Cette société, que d’aucuns jugeront
totalitaire, était très exactement aux antipodes de toutes les valeurs
défendues par l’Occident judéo-chrétien contemporain qui a su évoluer et se
remettre en question, au contraire de l’islam désespérément figé.
Winston BELMONTE
3 C’est ainsi que sont définis juifs et
chrétiens dans la première sourate du Coran selon l’exégèse la plus largement
acceptée. Cf. Cheikh Si-Hamza Boubakeur : Le Coran Traduction et
commentaire, Enag Editions, Alger, 1994.
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