À la table de Momo
À lire beaucoup de commentaires dans la presse ou sur la
toile, Momo (1) serait « Le restaurant marocain » de Londres où il faudrait
absolument aller pour s’initier aux arts culinaires du Maghreb. Qu’il me soit
permis – en connaisseur de la gastronomie locale – de nuancer un jugement
exagérément élogieux.
Assurément, l’établissement est fort bien situé (tout près
de Regent Street) et offre un intérieur raffiné où l’architecture arabe
traditionnelle – réaménagée en fonction des illusions de la clientèle
occidentale – peut évoquer Les Mille et une Nuits. Les frères Tharaud (2),
s’ils étaient encore vivants, eurent sans doute plus fidèlement aménagé une
authentique maison mauresque.
Le personnel est à la fois élégant, silencieux et serviable.
On notera un bel éphèbe, très avenant, à queue de cheval. Les messieurs seront
séduits par une ravissante jeune femme brune aux allures de houri inaccessible
et, cependant, très obligeante. Cette créature a du chien. Son discret tatouage
à la cheville rehausse son charme ésotérique.
Cependant, les mets déçoivent un peu dans une telle
atmosphère. Certes, ils sont bons mais ne sont pas, loin s’en faut,
spécifiquement nord-africains. C’est une sorte de pot-pourri, dans l’acception
ancienne du terme, (je n’ose pas dire « macédoine ») entre des traditions
culinaires barbaresques et levantines. Les plats de Momo n’offrent pas les
saveurs qu’on s’attendrait à trouver dans un décor somptueux hanté par les
mânes de Ziryab (3). On se souvient, en effet, que ce dernier était venu, au
huitième siècle, enchanter Cordoue avec sa musique, ses poèmes, ses arts de la
table comprenant notamment l’ordre et l’agencement des plats.
Dans mes jeunes années, j’ai participé à des diffas (4) dans
le royaume chérifien, plus tard il m’est arrivé d’être invité à la table
parisienne du Glaoui (5). C’était autre chose, une manne céleste et abondante.
Hélas, rien de tel ici où les quantités sont chichement mesurées. En revanche,
l’addition est très déraisonnablement astronomique. Il faut vraiment vivre « à
grande e à francesa (6) » pour venir chez Momo.
Restent les souvenirs évanescents d’un palais sarrasin et
d’une délicieuse princesse tatouée, belle à croquer… ! (7) واللّه
Winston BELMONTE
NOTE 1 : 25 Heddon Street, London W1B 4BH, Royaume-Uni.
NOTE 2 : Jérôme (1874-1953) et Jean (1877-1952) Tharaud,
amis de Péguy et défenseur de Barrès, collaborèrent pendant un demi-siècle à la
rédaction, à quatre mains, de récits de voyage en Europe de l’Est, au
Proche-Orient et au Maroc où ils accompagnèrent Hubert Lyautey, premier
résident général du protectorat. Ils ramenèrent de leurs séjours dans l’Empire
chérifien la matière nécessaire à une œuvre littéraire et historique dans un
style splendide. Ils furent reçus à l’Académie (en 1938 pour l’aîné et 1946 pour
le cadet). Si leurs récits nord-africains restituent parfaitement la grandeur
et les charmes de la civilisation marocaine, on n’en dira pas autant des livres
consacrés à l’univers juif. Ces derniers reprennent à leur compte, hélas, la
plupart des poncifs antisémites des années 20 du siècle dernier.
NOTE 3 : Esthète et musicien kurde originaire de Mossoul,
Ziryâb (زرياب « merle noir » en arabe) se fit connaître dans l’Espagne
musulmane en introduisant le luth arabe et un art de vivre délicat
particulièrement apprécié à la cour omeyyade qui le pensionna.
NOTE 4 : La « diffa » désigne en dialecte maghrébin, une
réception, accompagnée d’un festin, offerte à des hôtes de marque. Le mot
dialectal provient de l’arabe ضيافة (ḍiyâfah) signifiant « hospitalité ».
NOTE 5 : Grand seigneur féodal et très puissant pacha de
Marrakech, Thami El-Mezouari El-Glaoui (prononciation dialectale de التهامي المزواري
الكلاوي 1879-1956) défraya la chronique tout au long du protectorat français
sur le Maroc. Associé à la politique de Lyautey il noua des relations amicales
avec Churchill qu’il reçut dans son palais. À la veille de l’indépendance, il
se brouilla avec Mohammed V avant de demander pardon et apporter son soutien au
monarque, à quelques semaines de sa mort.
Note 6 : Lors de la
première invasion française du Portugal (occupé de novembre 1807 -(1771-1813).
Celui-ci, fait duc d’Abrantès, après la destitution de la monarchie de
Bragance, se signala par ses frasques, ses provocations et son goût des
dépenses les plus folles. Ainsi naquit l’expression portugaise pour dénoncer
les manières et le train de vie très excessifs de Junot. De nos jours, viver à
grande e à francesa traduit plus prosaïquement « mener grand train ».
NOTE 7 : L’interjection arabe Wallah signifie proprement «
par Dieu ». C’est le serment musulman le plus court prenant Dieu à témoin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire