Marie Docher et Odile Fillod m'ont répondu : "nous ne sommes pas du même club",
je leur ai alors demandé : " quelle serait la différence entre nous ? ", elles m'ont répondu sur facebook, je ne divulguerai donc pas leur message ici, mais je qualifierai cette réponse de niveau "borborygmal", inconsistant, inepte, absurde, me prêtant des idées que je n'ai pas et ne partage pas pour en conclure qu'elles ne les partagent pas. Passionnant.
Deux féministes répondent à Judith Butler après les attentats de novembre :
Elles écrivent notamment :
" citation de Judith Butler : « Qu’ils aient choisi pour cible un concert de rock – un endroit idéal pour un massacre, en fait – a été expliqué : ce lieu accueillait l’« idolâtrie » et « une fête de perversité ». Je me demande comment ils connaissent le terme « perversité ». On dirait qu’ils ont des lectures étrangères à leur domaine de spécialité. »
Leur commentaire :
Par son « en fait » et par cette dernière remarque, Judith Butler semble sous-entendre que le communiqué attribué à l’EI revendiquant les attentats est un faux. Est-il nécessaire de souligner encore une fois que cela demanderait à être sérieusement argumenté ? Et si ce passage ne constitue pas une telle insinuation, que signifie-t-il ? En s’interrogeant en ces termes sur les lectures et le vocabulaire des membres de l’EI, Judith Butler montre qu’elle semble ignorer que de nombreux occidentaux ont rejoint l’EI. Elle fait surtout preuve non seulement d’une vision orientaliste teintée de mépris à l’égard des partisans de l’EI, mais aussi d’une méconnaissance crasse de l’idéologie de l’islamisme radical. Comment en effet peut-elle ignorer que le mot « pervers » est utilisé des dizaines de fois dans le Coran, et en particulier à de multiples reprises pour qualifier les « incroyants », par exemple dans un passage qui justement peut sembler appeler les croyants à les châtier ?[v]Sans doute Judith Butler n’a-t-elle jamais pris la peine de lire le Coran, ce qui est fort dommage car cela lui permettrait de comprendre pourquoi les salafistes, les adeptes de l’islam wahhabite et autres fondamentalistes prônant une lecture littérale du Coran, c’est-à-dire une infime minorité des musulmans mais une minorité malheureusement très agissante, prônent par construction le rejet, en tant qu’ « idolâtrie » et « perversion », de valeurs fondamentales pour nos sociétés telles que le respect des lois votées selon un processus démocratique ou le principe d’égalité des droits entre femmes et hommes – ce qu’impliquerait de même une lecture littérale des textes sacrés du judaïsme et du christianisme[vi]."
Et :
" Bien que Judith Butler semble pour l’instant ne pas pouvoir concevoir qu’il existe des alternatives entre être dans l’impasse et se jeter dans les bras d’un État policier, nous voyons dans ce passage une bonne nouvelle. Oui, c’est une bonne nouvelle, parce que sans trop nous avancer, il nous semble que nous les connaissons bien, ses amis. Nous les connaissons bien car nous partagions les mêmes combats. Ils étaient même nos amis aussi, eux ou leurs semblables. Et puis nos amitiés se sont défaites jusqu’à éclater avant les attentats de novembre, selon une logique presque mécanique, violente. Pourquoi ?
Pour une raison assez simple : ils ont construit depuis des années un système de pensée binaire dont le logiciel est bien trop simpliste pour décoder le monde. Et si nos amitiés ont volé en éclat, c’est que nous ne pouvions ni ne voulions les suivre dans l’impasse dans laquelle ils fonçaient."
PS :
Marie Docher et Odile Fillod m'ont répondu : "nous ne sommes pas du même club",
je leur ai alors demandé : " quelle serait la différence entre nous ? ", elles m'ont répondu sur facebook, je ne divulguerai donc pas leur message ici, mais je qualifierai cette réponse de niveau "borborygmal", inconsistant, inepte, absurde, me prêtant des idées que je n'ai pas et ne partage pas pour en conclure qu'elles ne les partagent pas. Passionnant.
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Les
mots sont très importants – blog
Judith Butler à Paris, ou l’impasse du Bataclan
Loin d’entendre reprocher aux commentateurs cherchant à faire des distinctions d’ergoter sur des nuances – là encore, qui, quand, où donc ? –, nous avons au contraire constaté un soin constant, de la part des journalistes comme de tous les intervenants, à distinguer les musulmans en général non seulement des djihadistes et de l’autoproclamé État islamique, mais plus généralement des courants islamistes et salafistes. Il est extrêmement grave de laisser entendre à l’ensemble de la communauté internationale anglophone que « la différence entre musulman, djihadiste et EIIL se brouille dans le discours public ». C’est tout simplement faux, scandaleusement faux.
Les experts étaient en effet certains qu’il s’agissait d’une attaque menée par des djihadistes ayant fait allégeance à l’EI, car ils connaissent très bien ces réseaux et avertissaient de longue date de l’imminence de leur passage à l’acte. Pourquoi faire cette remarque sur les experts ? Judith Butler insinue-t-elle, comme Hani Ramadan[iv], que les auteurs de l’attentat ne sont peut-être pas ceux que l’on prétend, ou qu’ils n’ont rien à voir avec l’EI ? Le cas échéant, cela demanderait à être sérieusement argumenté.
En s’interrogeant en ces termes sur les lectures et le vocabulaire des membres de l’EI, Judith Butler montre qu’elle semble ignorer que de nombreux occidentaux ont rejoint l’EI. Elle fait surtout preuve non seulement d’une vision orientaliste teintée de mépris à l’égard des partisans de l’EI, mais aussi d’une méconnaissance crasse de l’idéologie de l’islamisme radical. Comment en effet peut-elle ignorer que le mot « pervers » est utilisé des dizaines de fois dans le Coran, et en particulier à de multiples reprises pour qualifier les « incroyants », par exemple dans un passage qui justement peut sembler appeler les croyants à les châtier ?[v]
Sans doute Judith Butler n’a-t-elle jamais pris la peine de lire le Coran, ce qui est fort dommage car cela lui permettrait de comprendre pourquoi les salafistes, les adeptes de l’islam wahhabite et autres fondamentalistes prônant une lecture littérale du Coran, c’est-à-dire une infime minorité des musulmans mais une minorité malheureusement très agissante, prônent par construction le rejet, en tant qu’ « idolâtrie » et « perversion », de valeurs fondamentales pour nos sociétés telles que le respect des lois votées selon un processus démocratique ou le principe d’égalité des droits entre femmes et hommes – ce qu’impliquerait de même une lecture littérale des textes sacrés du judaïsme et du christianisme[vi].
Faut-il rappeler que la France s’est au contraire opposée – et n’a pas participé – à l’intervention de la coalition occidentale menée par les États-Unis contre Saddam Hussein ? Faut-il rappeler que la France a également au contraire tenté de mobiliser la communauté internationale pour qu’elle intervienne contre Bachar Al-Assad et s’apprêtait à le faire à l’été 2013, mais que le projet a capoté notamment à cause de l’opposition des États-Unis ?[vii]
Cette présentation faussée de l’histoire a pour effet de consolider l’amalgame construit par ceux qui cherchent à enrôler le plus grand nombre dans une guerre contre « l’Occident », cette entité uniforme qui serait notamment caractérisée par une indifférence totale aux massacres de populations dès lors qu’elles sont musulmanes. Comme le résumait l’ancien juge anti-terroriste Marc Trévidic en septembre 2015, évoquant les attentats qui ne manqueraient pas de se produire à court terme en France : « Les djihadistes se présentent comme les seuls vrais défenseurs d’un Islam opprimé par l’Occident. C’est ce que j’entendais sans arrêt lors des auditions. Ils évoquent les guerres d’Irak, le conflit israélo-palestinien, sélectionnent les arguments pour légitimer leur action »
Par ailleurs, si Judith Butler s’indigne de l’inaction occidentale face au massacre de la population syrienne par Bachar Al-Assad, que n’a-t-elle protesté contre l’absence d’intervention de son pays en 2013 (sauf erreur de notre part, elle ne l’a pas fait) ? Pourquoi ne proteste-t-elle pas contre le soutien imposé au reste du monde par les Etats-Unis, la Russie et l’Iran au régime de Bachar Al-Assad, soutenu également par le Hezbollah ? Peut-être serait-il temps pour elle de prendre clairement ses distances vis-à-vis de ce dernier, que dans une autre inversion ébouriffante elle a qualifié, avec le Hamas, de mouvement « progressiste » et « de gauche »[viii].
Judith Butler ne fait pas ici seulement preuve d’ignorance, car elle affirme en outre que ces soi-disant aspects bénéfiques de l’état d’urgence amènent les gens à le désirer. Au-delà de la distorsion des faits, le raisonnement est indigent. Insinuer que « les gens » seraient assez stupides et vénaux pour adhérer à n’importe quelle mesure sécuritaire juste pour bénéficier de services gratuits est profondément méprisant.
Ensuite, les manifestations sur la voie publique ont été interdites par arrêté préfectoral à Paris, en Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne entre samedi 14 midi et jeudi 19 novembre midi. Etait-il, encore une fois, choquant de prendre de telles mesures locales et temporaires dans ce contexte ? Des rassemblements ont quand même eu lieu à Paris sans être réprimés, et il y en a eu dans toute la France[ix].
L’État n’a pas suspendu « le droit de manifester », ni a fortiori la « liberté de réunion ». L’état d’urgence donne seulement la possibilité, au cas par cas, d’interdire des manifestations présentant un risque pour l’ordre public, et c’est cela qui a été fait et continue à l’être ici et là – avec certes un risque d’arbitraire, mais dont le coût politique pour le gouvernement serait à notre avis bien trop exorbitant pour qu’il s’aventure à en abuser.
Ensuite, malgré cette recommandation exprimée par le ministre des affaires étrangères, l’expression « état islamique » et l’acronyme « EI » sont très largement utilisés dans la presse et par des représentants politiques. Qu’est-ce donc pour elle que « la France » ? Lit-elle la presse française, regarde-t-elle vraiment la télévision française ?
Enfin, « Daech » est la translittération de « داعش », acronyme de l’auto-désignation en arabe du groupe en question, utilisé pour la première fois en 2013 par un opposant syrien sur le plateau d’une chaîne saoudienne[xii]. On ne voit donc pas en quoi utiliser ce terme arabe ferait moins entrer un mot arabe dans la langue française qu’utiliser comme le fait Judith Butler « ISIL » (« EIIL » en français) – et si elle était arabisante, elle se serait rendu compte que Hollande essaie même de le prononcer correctement, ce qui l’amène à dire plutôt « daach ». En outre, laisser entendre que « la France » serait en quelque sorte « arabo-phobique » sur le plan linguistique est parfaitement insensé (que d’ignorance là encore, au point qu’on finit par se demander si elle est feinte), et c’est une fois de plus insultant et potentiellement lourd de conséquences.
Il faut semble-t-il rappeler qu’une telle disposition serait non seulement totalement illégale en temps normal, mais qu’elle est même explicitement exclue par la loi relative à l’état d’urgence : l’assignation à résidence pouvant être prononcée à l’encontre de personnes « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics […] ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes visées »[xiv]. Que la revue Vacarme ait publié un article surfant sur les mêmes amalgames et désinformation (en allant encore plus loin) n’est sans doute pas un hasard[xv].
Marine Le Pen réclame quant à elle depuis le mois d’août 2015 que les « étrangers connus pour leurs liens avec l’islamisme radical » ne soient plus seulement fichés mais expulsés[xvi]. Elle n’a donc pas attendu les attentats du 13 novembre pour exprimer cette demande, ni ne l’a à notre connaissance élargie à cette occasion. Par ailleurs, elle n’a pas récemment traité les nouveaux migrants de « bactéries ». Ce qu’elle a déclaré est parfaitement infondé et relève d’une rhétorique abjecte, mais c’est assez différent : elle a qualifié d’ « immigration bactérienne » le prétendu risque sanitaire induit par la présence de « maladies contagieuses non européennes liées à l’afflux migratoire »[xvii].
L’idéologie xénophobe de Marine Le Pen est bien connue, et il est clair que Nicolas Sarkozy chasse sur les mêmes terres : nul besoin de travestir leurs propos. Il est surtout malhonnête de laisser croire que le discours de ces deux personnes est représentatif de l’état général ou majoritaire de l’opinion publique française ou de ses représentants politiques.
Le fait que deux au moins des tueurs impliqués dans les attentats du 13 novembre soient (re)venus de Syrie a pour l’instant donné lieu à une seule décision de la France : le rétablissement des contrôles à ses frontières – ou plutôt son annonce, car on peut douter qu’elle soit en capacité de le faire. Est-il délirant de tenter d’éviter que des personnes connues pour être parties « faire le djihad » en Syrie et projetant des attentats en Europe rentrent tranquillement en France sans être le moins du monde inquiétées ? Judith Butler n’a peut-être pas idée du gouffre qui existe entre le degré de contrôle des frontières états-uniennes et celui des pays membres de l’UE.
Par ailleurs, alors que suite aux attentats de Paris et dès le 19 novembre, la Chambre des représentants des Etats-Unis a voté à une large majorité un durcissement des conditions d’accueil des réfugiés syriens et irakiens, François Hollande a de son côté précisé le 16 novembre devant le Congrès que les attentas ne remettaient nullement en question l’engagement d’accueillir 30 000 réfugiés pris par la France en septembre. Il a notamment rappelé au contraire qu’un certain nombre d’entre eux, venant de Syrie et d’Irak, fuient les territoires contrôlés par l’EI et « sont les victimes de ce même terrorisme ». Une déclaration qui contraste de manière frappante non seulement avec la décision états-unienne, mais aussi avec celle de Donald Trump, candidat à l’investiture républicaine pour la prochaine présidentielle, qui avait promis en septembre d’expulser tous les réfugiés en provenance de cette zone de guerre admis jusqu’à présent s’il était élu[xviii] – même Marine Le Pen n’a pas osé se vautrer dans une telle xénophobie.
Rappelons enfin que la France a tenté avec l’Allemagne d’imposer à tous les pays de l’UE d’accueillir un certain quota de migrants. Nous ne pensons pas que la politique française vis-à-vis des migrants soit satisfaisante, très loin de là. Mais de là à dire que la France mène une « guerre nationaliste contre les migrants »… Que dire alors des Etats-Unis, ou encore de la Hongrie, qui a refusé les quotas au motif qu’un afflux d’immigrés « musulmans dans leur majorité » constituerait une menace pour l’identité chrétienne de l’Europe[xix] ? Bref, il semble qu’une fois de plus, Judith Butler aime à (se) faire peur en tordant le sens des mots et en projetant abusivement sur la France une réalité qui est plutôt états-unienne.
Comme ailleurs dans son texte, Judith Butler procède ici par sous-entendu, d’une façon aussi peu rigoureuse que déplaisante. Car que viennent faire ici les tués en Palestine ? Qu’est-ce qui rassemble les victimes citées si ce n’est qu’elles sont toutes présumées musulmanes ou de culture musulmane ? Pourquoi ne pas citer par exemple (au hasard) les Yézidis tués par centaines par l’EI ou les victimes de Boko Haram ? Après avoir prétendu faussement qu’une doxa anti-islam s’étalait à la télévision française, s’agit-il ici d’insinuer que les français seraient insensibles à la mort de ces catégories de personnes en particulier ? Quoi qu’il en soit, cette « inégalité de traitement » des victimes est très loin d’être propre à la France, et il existe de nombreuses raisons autres que l’indifférence/racisme anti-arabes ou anti-musulmans pour l’expliquer.
Pour une raison assez simple : ils ont construit depuis des années un système de pensée binaire dont le logiciel est bien trop simpliste pour décoder le monde. Et si nos amitiés ont volé en éclat, c’est que nous ne pouvions ni ne voulions les suivre dans l’impasse dans laquelle ils fonçaient. Penser le monde en deux camps opposés est non seulement une impasse, mais alimente la division et les haines. Ces camps, ces groupes, sont des amalgames de gens extrêmement variés qu’ils regroupent par mots-clés. Celui auquel ils n’appartiennent pas, mais auquel ils se rattachent pour de multiples raisons, c’est le camp des dominés, des racisés, de l’anti-impérialisme ou anticolonialisme, des musulmans, par définition victimes et par construction à défendre quoi qu’il arrive si l’on est de gauche, et l’autre camp est celui des dominants, du racisme, de l’islamophobie, de l’impérialisme et du néo-colonialisme, des chrétiens ou catholiques (zombies ou non), des blancs, des juifs et des philosémites, des laïcards, du charlisme. Et la frontière qui sépare ces deux camps est aussi imperméable qu’odieuse : elle est inscrite dans la couleur des peaux.
Le réel résiste à cette bicatégorisation, bien heureusement. Mais du fond de leurs confortables salons, ils lancent des anathèmes à qui n’est pas impeccablement aligné sur leur ligne, et l’on se rend compte avec effroi, souvent, qu’ils n’ont aucune idée de ce dont ils parlent (en particulier de l’islam et ses multiples courants, des multiples cultures des personnes issues de l’immigration, des pays et des quartiers transformés par le développement du salafisme), et que leur ignorance est consternante pour des gens qui sont parfois chercheurs, écrivains, enseignants à l’université. Apparaît alors, au détour d’une insulte en « phobe » dont ils sont devenus les champions ou d’un « post » sur leurs réseaux sociaux, que les gens qu’ils défendent bec et ongle ne sont qu’un objet qu’ils ne connaissent pas mais qui leur sert de posture. Alors quand cet objet vient tuer aveuglément dans leur quartier, quand ils comprennent qu’ils en sont aussi la cible, bien-sûr qu’ils sont dans le mur, bien sûr qu’ils ne décodent pas. Alors s’ils se sentent aujourd’hui dans une impasse, c’est vraiment une bonne nouvelle.
Dans la même semaine, Judith Butler se demande « qui devient maintenant une droite acceptable dès lors que Le Pen devient « le centre » », Larbi El-Roumi affirme que « la gauche du PS et des Verts, en votant l’état d’exception, sa prolongation et son futur renforcement, a manifesté le lien […] qui existe entre elle et la droite », et Pierre Tevanian qualifie Abdennour Bidar de « marchand de fascisme à visage spirituel » » (quels mots utilisera-t-il pour désigner Abou Bakr al-Baghdadi ?). Si l’extrême droite est au centre, si la gauche de la gauche est à droite et si Abdennour Bidar est un fasciste, qui est à gauche ? Eux, bien-sûr, ainsi que le Hamas et le Hezbollah selon Butler, mais qui d’autre ? Le P.I.R. de Houria Bouteldja ? Tariq Ramadan ? Et Judith Butler s’est-elle demandé ce qu’elle deviendrait, en tant qu’états-unienne, femme, juive, lesbienne, autrice de Trouble dans le genre, et tout simplement en tant que philosophe critique si cette gauche-là arrivait au pouvoir ?
Une réunion de voisins samedi matin dans le quartier Reunion-Saint Blaise dans le XXème a été éclairante. Une fois que nous avons pu nous libérer des deux personnes qui déversaient ces discours, ces mots que nous connaissons jusqu’à la nausée, agitant pétitions et anathèmes sans discontinuer, nous avons enfin pu parler autour d’un thé avec, entre autres, une voisine, Fatiha, quarante ans, française, musulmane, voilée. Au bout d’un moment elle nous confie : « moi, ces gens qui sont toujours en train de s’occuper des Arabes et des Noirs [geste du menton pour désigner un des organisateurs], je mets un bémol, un gros bémol. Ce sont des schizophrènes. En plus ils nous mettent dans le même sac que des terroristes ». S’en est suivi un long regard entre nous qui faisait une fois de plus exploser leurs catégories.
On pourrait croire que ce groupe d’amis au fond pas très nombreux, inconnu du grand public, n’a aucune influence. C’est malheureusement faux. Dès mardi, France Inter évoquait le texte de Judith Butler publié la veille durant l’interview de Virginie Despentes, puis Libération et L’Obs entre autres se chargeaient de le relayer. L’activisme que certains ont développé depuis janvier 2015 sur les réseaux sociaux, n’hésitant pas à falsifier des documents, à tordre le sens des mots selon les bonnes vieilles méthodes de l’extrême droite, cautionnant même de leur statut d’universitaire des soupçons de complot, a eu plusieurs conséquences.
Il a servi à alimenter, à justifier des ressentiments encore plus exacerbés chez des concitoyens qu’ils nomment « racisés », dont on ressent les effets non seulement sur les réseaux sociaux, mais également dans la rue depuis janvier, dans les quartiers où nous vivons et ailleurs. Cet activisme a également muselé la parole de tous ceux qui, à gauche, disent depuis des années que l’islamisme radical est une bombe à retardement à la puissance grandissante. Les mères de famille des banlieues n’ont pas été entendues, les Maghrébins vivant ou non en France, intellectuels, artistes, étudiants, activistes qui tirent cette sonnette d’alarme sont traités de traîtres ou de larbins, et les autres, comme nous, de racistes et d’islamophobes, si bien que certains ont progressivement migré vers la droite pour être enfin entendus.
Nous restons à gauche même si nous perdons des amis, même si c’est plus qu’inconfortable. Nos valeurs ne se négocient pas sur l’autel de leur aveuglement et de leur collaboration passive à un projet politique qui nous révulse. Leur posture est devenue une imposture intellectuelle parfaitement en phase avec une propagande que nous dénonçons et dont la stratégie est « d’approfondir les failles dans les sociétés occidentales entre les populations d’origine musulmane et les autres, taxées d’islamophobie, pour créer à terme des situations de guerre civile selon la logique « provocation – répression – solidarité » » (Malek Boutih, Génération radicale, 2015, p.33).
Où est Judith Butler aujourd’hui ? Où sont ses amis ? Dans quel pays merveilleux ont-ils décidé de vivre ? Nous espérons qu’ils lisent la presse et se rendent compte qu’une semaine après les tueries de Paris, les citoyens de ce pays sont descendus dans la rue, en Province, à Paris, qu’ils marchent, de Bastille à République, pour accueillir les migrants, pour contester l’état d’urgence, pour se manifester lors des débats de la COP 21. Nous espérons qu’ils savent que nous nous réunissons dans les quartiers de forte mixité sociale pour être ensemble, qu’ils entendent ces jeunes qui disent leur ras-le-bol sur les réseaux sociaux. Nous espérons qu’ils lisent les lettres des amis et familles des victimes qui refusent de répondre par la haine et la colère à la violence qui vient de bouleverser leurs vies.
Judith, vous semblez ne pas réaliser que vous jouez avec des allumettes au cœur d’une forêt déshydratée. Et vous créez un écran de fumée qui cache tout un pan de la réalité de ce pays que vous semblez si mal connaître. Vous ne voyez pas les mobilisations sur le terrain de dizaines de milliers de militants, d’activistes pour l’accueil, la coopération, les échanges, au niveau international et local. Vous ne voyez pas tous ces gens d’origines, cultures et opinions diverses qui travaillent, militent, vivent ensemble – la liste des tués est éloquente et parle de cette mixité sur laquelle les assassins ont tiré. Vous ne voyez pas tous ces enfants nés de tous ces couples mixtes dont Houria Bouteldja regrette l’existence[xx].
Bien sûr qu’il y a des groupuscules racistes, bien sûr qu’il y a une partie de la population qui craint l’arrivée de migrants, bien sûr que la politique étrangère de la France est hautement critiquable. Mais caricaturer le Front National pour dire : « voilà ce qu’est la France » nous pose un gros problème. Nous ne sommes pas nationalistes, nous n’exprimons ici aucune « fierté » de notre pays, aucun patriotisme, et nous restons vigilantes quant à l’évolution du droit et des libertés dont l’État doit rester garant. Nous exprimons juste le désir de continuer à vivre ensemble. Nous espérons aujourd’hui qu’une fois acculés dans l’impasse que vous évoquez, Judith, peut-être celle qui longe le Bataclan, nos anciens amis ouvriront enfin les yeux, et vous avec. Alors, c’est avec grand plaisir que nous vous rejoindrons pour prendre un verre en terrasse.
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