La plus belle des
Françaises
Née à Rome, il a plus de mille ans, d’un père inconnu et d’une
patricienne, elle n’a cessé d’ensorceler le monde. Fréquentant les cours et les
salons, elle dévoile ses charmes partout. Nul ne peut échapper à ses
sortilèges. Biche ou louve délicieuse, insatiable, exigeante, irrésistible ;
c’est la plus belle des Françaises !
Les historiens débattent toujours pour savoir, quand et où, elle commença
à faire parler d’elle.
D’aucuns prétendent qu’à la bataille de Gisors, en 1198, la gente dame
avait gagné le cœur de Richard Ier, et avec lui, tout son royaume. Elle lui
aurait alors susurré à l’oreille que le droit divin était de son côté (1).
D’autres rapportent une anecdote un peu leste. En 1348, lors d’un bal à
Calais alors que la demoiselle dansait avec son amant Édouard III Plantagenêt,
elle se découvrit une cuisse d’où elle détacha une élégante jarretière. Il n’en
fallut pas plus pour conquérir toute l’administration de la perfide Albion (2).
Mais depuis, c’est incontestable, partout où l’Angleterre a régné, on
peut l’admirer radieuse quoique discrète sur les frontons des bâtiments
publics, partout dans les documents officiels…
Cette femme est craquante à souhait ; c’est dire à quel point les
artistes adorent la croquer. Il est impossible de dénombrer ses soupirants.
Pensez donc que collectionner les admirateurs sur plus d’un millénaire cela
représente du monde ! Rappelons-en, quand même quelques-uns.
Ainsi, ce François de Montcorbier ( 3), triste sire qui versifiait avec
talent – et tuait à l’occasion – s’amouracha de la belle. Elle lui souffla une
« Ballade », depuis fort à l’honneur, chez la Muse comme la racaille.
Érudit, appréciant la bonne chère et médecin de son état, Alcofribas
Nasier (4), ne se lassait pas de l’admirer. C’est pour le remercier de ses
caresses qu’elle lui confia un secret sur l’origine de toutes les maladies (5).
À peu près au même moment, la plus belle des Françaises devint également
l’égérie de François Ier. Elle obtint alors de légaliser sa relation en
acquérant le statut de première dame du royaume. Et comme ce que femme veut,
Dieu le veut… tout ceci fut dûment consigné par écrit dans la bonne ville de
Villers-Cotterêts (6).
Dès lors, cette maîtresse femme se déchaîna pour partout faire briller sa
majesté. Je passe un siècle et ses bagatelles pour nous arrêter en l’an de
grâce 1634. C’est l’époque où elle s’enticha d’un cardinal. Les échanges de
billets, épîtres et belles lettres furent assidus entre la dame et la pourpre
cardinalice. Le démon du midi s’en mêla et elle menaça, si on ne lui offrait
pas incontinent une splendide Académie (7), de disparaître à tout jamais parmi
les astres de la Pléiade. Naturellement elle triompha et, un an plus tard, le
ministre du Très-Chrétien la portait sur les fonts baptismaux !
Avec notre fabuliste le plus talentueux elle versifia sur la folie d’un
aveugle :
Tout est
mystère dans l’amour
Ses flèches, son carquois, son
flambeau, son enfance :
Ce n’est
pas l’ouvrage d’un jour
Que
d’épuiser cette science.
Je ne prétends donc
point tout expliquer ici :
Mon but est
seulement de dire, à ma manière,
Comment
l’aveugle que voici
(C’est un dieu),
comment, dis-je, il perdit la lumière ;
Quelle suite eut ce
mal, qui peut-être est un bien ;
J’en fais juge un
amant, et ne décide rien.
La Folie et l’Amour
jouaient un jour ensemble :
Celui-ci n’était pas encor privé des yeux.
Une dispute vint :
L’Amour veut qu’on assemble
Là-dessus
le conseil des dieux ;
L’autre
n’eut pas la patience ;
Elle lui
donne un coup si furieux,
Qu’il en
perd la clarté des cieux.
Vénus en
demande vengeance.
Femme et mère, il
suffit pour juger de ses cris :
Les dieux
en furent étourdis,
Et Jupiter, et
Némésis (8),
Et les juges
d’Enfer, enfin, toute la bande.
Elle
représenta l’énormité du cas ;
« Son fils, sans un
bâton, ne pouvait faire un pas :
Nulle peine n’était
pour ce crime assez grande :
Le
dommage devait être aussi réparé. »
Quand on
eut bien considéré
L’intérêt
du public, celui de la partie,
Le
résultat enfin de la suprême cour
Fut de
condamner la Folie
A servir
de guide à l’Amour (9).
Appréciant autant l’art culinaire que celui de la conversation galante ou
philosophique on ne s’étonnera pas de la retrouver, au début du XVIIIe siècle,
avec le duc de Saint-Simon à tous les petits soupers du Régent. J’y vois là la
preuve incontestable que Philippe d’Orléans était un esthète et certainement
pas un débauché.
La liste de ses amies est aussi longue que celles des messieurs…
Je n’en citerai qu’une, Pauline Mary Tarn (10). C’était une poétesse,
issue de la meilleure société britannique. Ensemble, l’Anglo-saxonne et la
Gauloise formèrent un duo de génies.
Ces deux jolies têtes, si bien faites, eurent plus d’un tour littéraire
dans leur extraordinaire magasin d’idées
(11) :
Dans un vieux quartier de la ville, j’aperçus une étrange petite boutique
où nul étalage et nulle enseigne n’attiraient les regards, et dans laquelle
aucun marchand n’épiait les promeneurs.
J’entrai. Un homme dont je ne pus voir que la silhouette, tant l’ombre
était impénétrable autour de nous, apparut sans bruit.
« Que pouvez-vous bien vendre ici ? lui demandai-je dans l’irréflexion de
ma surprise.
— Des idées, me répondit-il d’un ton très simple. »
Il prit un coffret et, semblant remuer de la poussière :
« Seriez-vous utopiste, par hasard ? Pardon de l’indiscrétion.
Voulez-vous des idées de paix et de bonheur universels ? Elles ne sont pas
chères et j’en vends beaucoup en ce moment. Tenez, en voici tout un lot pour 2
fr. 50 »
Et, devant mon geste de refus :
« Ah ! vous avez raison : je ne garantis pas leur solidité. Voici
maintenant une idée de financier, mais elle est extrêmement rare et coûteuse.
Je ne pourrais pas vous la céder à moins de trois mille francs.
— Diable ! fis-je, trois mille francs, c’est… »
Il m’interrompit avec calme.
« Une idée moins neuve que celle-ci a fait la fortune d’un fondateur de
trusts américains. Je n’en profite pas personnellement, parce que cela
m’ennuierait trop d’être riche. Je perdrais mes amis et la considération du
quartier. »
Quelque chose comme un reflet d’or brillait entre ses doigts.
« Maintenant, si, comme moi, vous méprisez l’opulence, ou si, ce qui est
plus probable, cette idée vous semble d’un prix trop élevé, voici, à très bon
compte, un songe de poète. Trois sous, cela est raisonnable, ne trouvez-vous
pas ? »
Et il me montra une lueur d’arc-en-ciel emprisonnée dans une boîte de
couleurs.
« Enfin, comme vous me paraissez appartenir à la clientèle sérieuse, je
vous propose, (sa figure se plissa d’une grimace qui aurait pu être un
sourire,) je vous propose une magnifique idée de libertin, tout à fait inédite,
vous savez, et d’un raffinement exceptionnel. Je vous la laisserais à mille
francs. Elle vaut davantage, mais c’est pour que vous reveniez souvent m’en acheter
d’autres. J’en ai véritablement une collection sans pareille.
— Oui, dis-je, mais quelques-unes de vos marchandises me paraissent bien
usées.
— Ah ! répondit-il avec orgueil, celles-là, comme les meubles antiques,
sont justement les plus appréciées par ma clientèle. Mais ne voyez-vous rien
qui puisse vous satisfaire ?
— Je désire une idée que vous ne pourrez jamais me vendre : une idée
personnelle. »
La plus belle des Françaises jeta ensuite son dévolu sur un capitaine
d’infanterie amoureux de Jeanne d’Arc. Dévissant des fleurs et des arbres, elle
lui inspira un petit texte :
Dans le jardin à la française, aucun arbre ne cherche à étouffer les
autres de son ombre, les parterres s'accommodent d'être géométriquement
dessinés, le bassin n'ambitionne pas de cascade, les statues ne prétendent
point s'imposer seules à l'admiration. Une noble mélancolie s'en dégage
parfois. Peut-être vient-elle du sentiment que chaque élément, isolé, eût pu
briller davantage. Mais c'eût été au dommage de l'ensemble, et le promeneur se
félicite de la règle qui imprime au jardin sa magnifique harmonie (12).
Femme de goût, la plus belle des Françaises a depuis quelques années deux
confidents algériens, Kamel Daoud et Boualem Sansal. Félicitons-la pour de si
bons choix. Je renonce à vous nommer toutes ses conquêtes au Maghreb, en
Afrique noire, au Liban ou dans les deux Amériques. Son cœur compte beaucoup
plus d’élus dans ces contrées proches ou lointaines que le Bottin mondain
n’admet de petits marquis et grands d’Espagne (13).
Femme de tête, donc de conviction et de courage, la plus belle des
Françaises n’est pas une femme facile. Il faut la respecter. Elle a ses règles,
ses usages. Il est absolument impératif de s’y tenir. Aussi, ne vous attendez
pas à la voir souffrir les obscènes élucubrations de l’écriture dite «
inclusive » (14).
Avec Ben Newick (15) de l’ambassade de Sa Gracieuse Majesté dans la Ville
Lumière, avec Joachim du Bellay, soyons toujours aux côtés de la plus belle des
Français pour La Deffence et Illustration de la Langue Francoyse.
Winston Belmonte
1 - « Dieu et mon droit. » Cf.
https://london.frenchmorning.com/2019/11/11/pourquoi-la-devise-de-la-monarchie-britannique-est-elle-en-francais/
2 - « Honi soit qui mal y pense. » Cf. https://www.monarchiebritannique.com/pages/histoire/symboles-d-un-pouvoir/honi-soit-qui-mal-y-pense-une-histoire-d-ordre.html
3 - Il s’agit de François Villon
(1431- après 1463) auteur, entre autres, de la Ballade des pendus.
4 - Anagramme de François Rabelais
(mort en 1553).
5 - « Vous aultres de l’autre
monde dictes que l’ignorance est mere de tous les maux et dictes vray (…) » Cf.
Cinquième Livre, chapitre VII.
6 - Cf. l’Ordonnance de
Villers-Cotterêts signée en août 1539 :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordonnance_de_Villers-Cotter%C3%AAts
7 - L’Académie française
(https://www.academie-francaise.fr/linstitution/lhistoire) a été fondée par le
cardinal de Richelieu (1585-1642).
8 - Une des filles de Νύξ (déesse de la nuit), Nέμεσις personnifie la
vengeance divine contre la démesure. C’est à ce titre, par exemple, qu’elle
entraîne le trop heureux et trop riche Crésus à sa perte lors d’une expédition
contre Cyrus. Cherchant à échapper à l’étreinte de Zeus, elle se cache sous
mille formes différentes avant de se transformer en oie. Mais le maître de
l’Olympe se métamorphose en cygne et s’unit à elle. Némésis pondit un œuf qui
fut confié à Léda et d’où sortit la fatale Έλένη, l’épouse de Ménélas le roi de
Sparte, à la beauté si funeste, et enlevée par le prince de Troie, Pâris. Les
Grecs combattirent dix années avant de la délivrer. C’est l’un des épisodes
célébrissimes de l’Iliade et l’Odyssée d’Homère.
9 - Jean de La Fontaine
(1621-1695), Livre douzième, fable XVI.
10 - Cette femme de lettres est plus connue sous son pseudonyme Renée
Vivien (1877-1909).
11 - Renée Vivien Le Magasin d’idées, Du Vert au Violet, Alphonse Lemerre
éditeur, 1903. Cf.
https://fr.wikisource.org/wiki/Du_vert_au_violet/Le_Magasin_d%E2%80%99Id%C3%A9es
12 - Charles de Gaulle, La Discorde chez l'ennemi, 1924.
13 - On appelle « grand d’Espagne » (Grande de España en castillan) un
noble qui n’a pas à se découvrir devant le roi qui l’appelle « cousin » (primo
en castillan) et auquel on s’adresse par le prédicat « Son Excellence »
(excelentísimo señor en castillan). Cette dignité a été créée en 1520 par
Charles Quint (1500-1558). Dans un sens plus large et imagé, la Grandeza de
España concerne essentiellement une grandeur d’âme toute chevaleresque. Michel
del Castillo nous en donne un magnifique exemple dans son récit consacré au
Caudillo (Le temps de Franco, Fayard, juillet 2009, p. 369) où il rapporte la
réaction du socialiste Felipe González à l’annonce de la mort du généralissime
:
« À Séville, des adversaires politiques sablaient le champagne ;
quelqu’un tendit une coupe à Felipe González qui l’écarta d’un geste : “Je ne
bois pas à la mort d’un Espagnol.” La plus noble peut-être des oraisons
funèbres. »
Le secrétaire général du PSOE (Partido Socialista Obrero Español), encore
clandestin au décès de Franco, a témoigné à cette occasion de toute sa noblesse
de caractère.
14 - Voir plus bas, à ce sujet, la déclaration de l’Académie française en
date du 26 octobre 2017.
15 - Cf.
https://parisdiarybylaure.com/the-balustrade-challenge-at-the-british-embassy/
& https://www.facebook.com/story.php?story_fbid=220876523147214&id=110186227549578&scmts=scwspsdd