Libres ... " Not for Sale"
dimanche 8 janvier 2006
Ni coupables, ni victimes : libres ? Oui, libres de toute prostitution
par Malka Marcovich, historienne
Article en réaction à l’article du Monde du 8/1/03 : Ni coupables ni victimes : libres de se prostituer, par Marcela Iacub, Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet (1), Malka Marcovich était rapporteure du rapport 2002 : « Le système de prostitution : une violence à l’encontre des femmes », Commission Nationale Contre les Violences Faites aux Femmes. Le Monde a refusé de publier cette réplique.
Jusqu’alors, les féministes qui s’opposaient à la marchandisation du corps des femmes, étaient qualifiées de « réactionnaires », « ordre moral », faisant pacte avec la droite conservatrice, voire homophobes, alliées des intégristes de tout bord. Grâce à votre article, c’en est fini. On nous accuse (nous les féministes) désormais de parler à la place des personnes prostituées - ce que vous (auteures et signatrices du texte) faites d’ailleurs sans complexe -, de nous immiscer dans la sexualité d’autrui et d’être « rétrogrades ».
Pour vous la prostitution c’est l’autre. Un « métier » pour d’autres femmes dont la fonction est de satisfaire les besoins archaïques et irrépressibles de vos pères, de vos frères, de vos fils, de vos amis et collègues, et de vos compagnons.
Non, nous n’avons jamais qualifié ces messieurs de « pervers ou de salauds qu’il faut punir et soigner ». Malheureusement, c’est Monsieur-tout-le-monde, le mâle qui impunément va vider son soi-disant trop plein de testostérone, parce qu’on lui a appris que c’était une nécessité biologique, celui entraîné par l’effet de groupe : sportifs, militaires, bandes « de mecs », prédateurs qui sillonnent le monde et nos villes, font du tourisme normalisé, se fournissent sur Internet.
Vous parlez de liberté sexuelle. Mais liberté sexuelle pour qui ? Dans le même temps vous demandez à l’Etat d’organiser des lieux délimités, « un espace de prostitution ». Quel paradoxe, quelle piètre vision de la liberté, et quelle régression ! C’est donc à l’Etat d’organiser une vie sexuelle pour les hommes, dans un cadre aseptisé et normalisé, « dans de bonnes conditions ». Bravo ! Quel projet alléchant !
Liberté sexuelle pour qui ?
La loi permet de définir un cadre et de tracer la frontière de la transgression. Organiser la prostitution, c’est donner carte blanche aux « acheteurs » masculins, qui semblent pour vous bien virtuels. Depuis plus de deux ans, les médias ont fait leurs gros titres sur la traite. Personne ne peut ignorer ce qu’ont vécu les femmes étrangères qui sont achetées par vos hommes sur les trottoirs de nos villes. Ces hommes, complices des proxénètes et des trafiquants, vous n’en dites mot. C’est sur les féministes que vous déversez votre diatribe. Quelle négation du combat des femmes, de celles qui se sont mobilisées sur ces sujets depuis plusieurs dizaines d’années, qui se sont battues pour le droit à l’avortement, pour la contraception, pour la criminalisation du viol, dont certaines ont vécu des violences sexuelles, des incestes, la prostitution. Attaquez-vous aussi avec les mêmes arguments les Blancs qui prennent la parole contre le racisme, les Français qui demandent la régularisation des sans-papiers ? Et dites-vous également que l’on n’a pas le droit de se prononcer contre les violences sexuelles, contre les violences conjugales, contre la torture si on ne les a pas subies ? Que connaissez vous de la prostitution ? Quelle parole voulez-vous censurer ?
Ce qui se joue dans l’espace de la sexualité entre deux individus (ou plus) ne nous intéresse vraiment pas. Pas plus que nous ne voulons que vous veniez voir ce qui se vit dans notre lit, nous ne demandons à l’Etat de rentrer dans l’intimité sexuelle des personnes. La prostitution n’est pas une question individuelle mais sociale. Le système prostitutionnel normalise l’achat et la vente d’autrui. Il engendre des profits considérables pour ceux qui l’organisent. Il fait la promotion d’un type de sexualité où seul le désir masculin se doit d’être satisfait. Il normalise les rapports entre les hommes et les femmes, la domination, la marchandisation de la sexualité. Vous prétendez avoir une vision avant-gardiste. Vous ne faites que reprendre avec une terminologie contemporaine, une vision stéréotypée hygiéniste du XIXème siècle où la sexualité est réduite à une mécanique. Quelle modernité !
Dans votre appel, la prostitution semble tellement hors de votre vue, que vous ne vous êtes même pas rendu compte que la loi Sarkozy transformera le racolage sous toutes ses formes en délit, ce qui aura des conséquences sur l’ensemble des femmes. Toute femme attendant dans l’espace public pourra être coupable et emprisonnée, et pas seulement les femmes en situation de prostitution. Cette loi lancera un message symbolique à tous les hommes : toute femme attendant dans la rue sera bonne à acheter. Vous vous dites féministes, mais en quoi votre lettre porte-t-elle une revendication collective d’émancipation pour l’ensemble des femmes ? Que protégez-vous ? Qui protégez vous ?
En faisant la distinction entre liberté et contrainte, vous faites porter la charge de la preuve sur les personnes prostituées. Au nom de quelques-unes - toujours et sempiternellement les mêmes qui font la une de nos médias - vous empêchez la grande majorité des personnes en situation de prostitution de dénoncer le système dont elles se sentent les victimes. Vous les enfermez plus encore dans le silence et leur interdisez toute parole de dénonciation. Vous n’êtes à l’écoute que de celles qui présentent une vision conformiste des rapports de sexe. Toutes les autres devront désormais justifier la violence qu’elles subissent pour trouver grâce à vos yeux. Vous stigmatisez justement celles que vous prétendez défendre.
Oui, nous refusons d’être coupables, nous refusons d’être victimes, nous voulons être libres de tout système qui tire profit et organise la vente de nos corps et de notre sexe. Nous voulons mettre un frein au développement de cette industrie meurtrière qui fait que toute femme est potentiellement prostituable, et tout homme un « consommateur » en puissance. Nous sommes horrifiées devant l’argument qui dit qu’« il vaut mieux ça que d’être caissière à Prisunic ». Quel mépris pour les caissières qui bientôt devront rougir de ne pas avoir choisi le « métier » dont vous faites la promotion, à qui vous refusez le droit au désir et qui devraient pratiquer, en échange d’argent, masturbation, fellation, sodomie, et autres demandes sexuelles. Quelle vision réductrice de l’être humain, du masculin que vous réduisez à son unique phallus ! Reprenons votre titre dans d’autres contextes : « ni victimes ni coupables : libres de venir balayer les rues et de ramasser les poubelles en France. » Quel manque de solidarité pour l’ensemble de la société humaine ! Et quelle ignorance du monde, Mesdames les écrivaines et artistes.
Malka Marcovich - Rapporteure du rapport 2002 : « Le système de prostitution : une violence à l’encontre des femmes », Commission Nationale Contre les Violences Faites aux Femmes.
1. Le texte auquel répond Malka Marcovich était signé par Christine Angot, Agnès B., Catherine Breillat, Judith Brouste, Christine Buci-glucksmann, Ingrid Caven, Madeleine Chapsal,Beverly Charpentier, Régine Deforges, Claire Denis, Arielle Dombasle, Gloria Friedmann, Viviane Forrester, Irène Frain, Françoise Gaillard, Paula Jacques, Nelly Kapriélian, Sonia Kronlund, Camille Laurens, Mathilde Monnier, Marie-José Montzain, Geneviève Morel, Marie Nimier, Orlan, Alina Reyes.
Ni coupables, ni victimes : libres ? Oui, libres de toute prostitution
par Malka Marcovich, historienne
Article en réaction à l’article du Monde du 8/1/03 : Ni coupables ni victimes : libres de se prostituer, par Marcela Iacub, Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet (1), Malka Marcovich était rapporteure du rapport 2002 : « Le système de prostitution : une violence à l’encontre des femmes », Commission Nationale Contre les Violences Faites aux Femmes. Le Monde a refusé de publier cette réplique.
Jusqu’alors, les féministes qui s’opposaient à la marchandisation du corps des femmes, étaient qualifiées de « réactionnaires », « ordre moral », faisant pacte avec la droite conservatrice, voire homophobes, alliées des intégristes de tout bord. Grâce à votre article, c’en est fini. On nous accuse (nous les féministes) désormais de parler à la place des personnes prostituées - ce que vous (auteures et signatrices du texte) faites d’ailleurs sans complexe -, de nous immiscer dans la sexualité d’autrui et d’être « rétrogrades ».
Pour vous la prostitution c’est l’autre. Un « métier » pour d’autres femmes dont la fonction est de satisfaire les besoins archaïques et irrépressibles de vos pères, de vos frères, de vos fils, de vos amis et collègues, et de vos compagnons.
Non, nous n’avons jamais qualifié ces messieurs de « pervers ou de salauds qu’il faut punir et soigner ». Malheureusement, c’est Monsieur-tout-le-monde, le mâle qui impunément va vider son soi-disant trop plein de testostérone, parce qu’on lui a appris que c’était une nécessité biologique, celui entraîné par l’effet de groupe : sportifs, militaires, bandes « de mecs », prédateurs qui sillonnent le monde et nos villes, font du tourisme normalisé, se fournissent sur Internet.
Vous parlez de liberté sexuelle. Mais liberté sexuelle pour qui ? Dans le même temps vous demandez à l’Etat d’organiser des lieux délimités, « un espace de prostitution ». Quel paradoxe, quelle piètre vision de la liberté, et quelle régression ! C’est donc à l’Etat d’organiser une vie sexuelle pour les hommes, dans un cadre aseptisé et normalisé, « dans de bonnes conditions ». Bravo ! Quel projet alléchant !
Liberté sexuelle pour qui ?
La loi permet de définir un cadre et de tracer la frontière de la transgression. Organiser la prostitution, c’est donner carte blanche aux « acheteurs » masculins, qui semblent pour vous bien virtuels. Depuis plus de deux ans, les médias ont fait leurs gros titres sur la traite. Personne ne peut ignorer ce qu’ont vécu les femmes étrangères qui sont achetées par vos hommes sur les trottoirs de nos villes. Ces hommes, complices des proxénètes et des trafiquants, vous n’en dites mot. C’est sur les féministes que vous déversez votre diatribe. Quelle négation du combat des femmes, de celles qui se sont mobilisées sur ces sujets depuis plusieurs dizaines d’années, qui se sont battues pour le droit à l’avortement, pour la contraception, pour la criminalisation du viol, dont certaines ont vécu des violences sexuelles, des incestes, la prostitution. Attaquez-vous aussi avec les mêmes arguments les Blancs qui prennent la parole contre le racisme, les Français qui demandent la régularisation des sans-papiers ? Et dites-vous également que l’on n’a pas le droit de se prononcer contre les violences sexuelles, contre les violences conjugales, contre la torture si on ne les a pas subies ? Que connaissez vous de la prostitution ? Quelle parole voulez-vous censurer ?
Ce qui se joue dans l’espace de la sexualité entre deux individus (ou plus) ne nous intéresse vraiment pas. Pas plus que nous ne voulons que vous veniez voir ce qui se vit dans notre lit, nous ne demandons à l’Etat de rentrer dans l’intimité sexuelle des personnes. La prostitution n’est pas une question individuelle mais sociale. Le système prostitutionnel normalise l’achat et la vente d’autrui. Il engendre des profits considérables pour ceux qui l’organisent. Il fait la promotion d’un type de sexualité où seul le désir masculin se doit d’être satisfait. Il normalise les rapports entre les hommes et les femmes, la domination, la marchandisation de la sexualité. Vous prétendez avoir une vision avant-gardiste. Vous ne faites que reprendre avec une terminologie contemporaine, une vision stéréotypée hygiéniste du XIXème siècle où la sexualité est réduite à une mécanique. Quelle modernité !
Dans votre appel, la prostitution semble tellement hors de votre vue, que vous ne vous êtes même pas rendu compte que la loi Sarkozy transformera le racolage sous toutes ses formes en délit, ce qui aura des conséquences sur l’ensemble des femmes. Toute femme attendant dans l’espace public pourra être coupable et emprisonnée, et pas seulement les femmes en situation de prostitution. Cette loi lancera un message symbolique à tous les hommes : toute femme attendant dans la rue sera bonne à acheter. Vous vous dites féministes, mais en quoi votre lettre porte-t-elle une revendication collective d’émancipation pour l’ensemble des femmes ? Que protégez-vous ? Qui protégez vous ?
En faisant la distinction entre liberté et contrainte, vous faites porter la charge de la preuve sur les personnes prostituées. Au nom de quelques-unes - toujours et sempiternellement les mêmes qui font la une de nos médias - vous empêchez la grande majorité des personnes en situation de prostitution de dénoncer le système dont elles se sentent les victimes. Vous les enfermez plus encore dans le silence et leur interdisez toute parole de dénonciation. Vous n’êtes à l’écoute que de celles qui présentent une vision conformiste des rapports de sexe. Toutes les autres devront désormais justifier la violence qu’elles subissent pour trouver grâce à vos yeux. Vous stigmatisez justement celles que vous prétendez défendre.
Oui, nous refusons d’être coupables, nous refusons d’être victimes, nous voulons être libres de tout système qui tire profit et organise la vente de nos corps et de notre sexe. Nous voulons mettre un frein au développement de cette industrie meurtrière qui fait que toute femme est potentiellement prostituable, et tout homme un « consommateur » en puissance. Nous sommes horrifiées devant l’argument qui dit qu’« il vaut mieux ça que d’être caissière à Prisunic ». Quel mépris pour les caissières qui bientôt devront rougir de ne pas avoir choisi le « métier » dont vous faites la promotion, à qui vous refusez le droit au désir et qui devraient pratiquer, en échange d’argent, masturbation, fellation, sodomie, et autres demandes sexuelles. Quelle vision réductrice de l’être humain, du masculin que vous réduisez à son unique phallus ! Reprenons votre titre dans d’autres contextes : « ni victimes ni coupables : libres de venir balayer les rues et de ramasser les poubelles en France. » Quel manque de solidarité pour l’ensemble de la société humaine ! Et quelle ignorance du monde, Mesdames les écrivaines et artistes.
Malka Marcovich - Rapporteure du rapport 2002 : « Le système de prostitution : une violence à l’encontre des femmes », Commission Nationale Contre les Violences Faites aux Femmes.
1. Le texte auquel répond Malka Marcovich était signé par Christine Angot, Agnès B., Catherine Breillat, Judith Brouste, Christine Buci-glucksmann, Ingrid Caven, Madeleine Chapsal,Beverly Charpentier, Régine Deforges, Claire Denis, Arielle Dombasle, Gloria Friedmann, Viviane Forrester, Irène Frain, Françoise Gaillard, Paula Jacques, Nelly Kapriélian, Sonia Kronlund, Camille Laurens, Mathilde Monnier, Marie-José Montzain, Geneviève Morel, Marie Nimier, Orlan, Alina Reyes.